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Le billet
Quand les ministres jouent aux apprentis sorciers budgétaires
En cette période troublée où l’attention a été captée par les joutes politiques et juridiques qui ont rythmé les débats électoraux précédant l’élection présidentielle, les deux arrêts rendus par la Cour des comptes le 28 février dernier n’ont pas bénéficié de la résonnance qui aurait dû leur être accordée. Cinq ministres étaient pourtant impliqués, à des degrés divers : Mme Royal, MM. Cazeneuve, Le Drian, Macron et Sapin.
Mais il faut relever que dans ces deux arrêts, la Cour des comptes a refusé de donner suite aux conclusions du ministère public qui l’invitait à condamner ces ministres pour gestion de fait.
La gestion de fait concerne ceux qui se sont immiscés dans les fonctions de comptable public. L’utilisation de l’argent public répond, en effet, à un schéma bien établi : l’ordonnateur, celui qui décide de la dépense publique (un ministre, un préfet, un maire, etc…) ne peut être celui qui manie l’argent public et donc paye la dépense publique. Cette dernière compétence est réservée au comptable public.
Plus globalement, il faut concevoir que tous ceux qui organisent une manière différente de faire sortir de l’argent de la caisse publique se rendent coupables de gestion de fait et peuvent, à ce titre, être condamnés par la Cour des comptes. Cette dernière se présente ainsi comme la gardienne des règles comptables et budgétaires applicables.
Ce sont deux affaires distinctes dont la Cour des comptes a eu à connaître.
Dans une première (n° 2017-3501), impliquant notamment Mme Royal, ce sont des aides liées à la transition énergétique qui ont été versées avant même que le Parlement n’ouvre les crédits correspondants en loi de finances… La Cour des comptes a validé ces versements en s’appuyant sur la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte par laquelle le législateur avait accepté le principe du versement de ces aides.
Mais l’orthodoxie comptable et budgétaire implique que l’État ne puisse dépenser qu’à partir du moment où les crédits ont été ouverts en loi de finances. On l’aura compris, les ministres concernés auront trouvé commode d’anticiper le versement de ces aides… mais ils l’ont fait en méconnaissant les pouvoirs du Parlement en matière budgétaire.
Notre droit budgétaire et comptable est ainsi fait qu’il appartient au législateur, à la représentation nationale de consentir l’impôt et d’ouvrir les crédits nécessaires à la réalisation des politiques publiques.
Cette autorisation budgétaire consentie par le Parlement doit être respectée par l’exécutif. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le Parlement, à l’occasion de l’examen du projet de loi sur la transition énergétique, qui déplorait alors un montage byzantin qui posait des problèmes, notamment, en termes de transparence budgétaire et de respect de la norme de dépense (Sénat, Commission des finances, compte-rendu 9 juin 2015).
Dans la seconde affaire (n° 2017-3401), impliquant notamment M. Le Drian, un mécanisme a permis de faire basculer des crédits consacrés à l’excellence technologique des industries de la défense sur la ligne de crédits destinée à l’entretien des forces pour un montant de 212,4 M€. La Cour des comptes a estimé qu’il n’y avait pas lieu à prononcer la gestion de fait dès lors que les crédits avaient été reversés dans la caisse publique.
Or, ici également, c’est l’autorisation budgétaire accordée par le Parlement qui se trouve méconnue par un tel dispositif. Lorsque le Parlement vote la loi de finances, la répartition des crédits s’impose au Gouvernement. Or, dans cette affaire, les ministres ont pris la liberté de contourner cette répartition en méconnaissance totale des textes applicables et, ce faisant, des pouvoirs du Parlement. Le reversement a donc bien eu lieu mais au mépris de cette répartition initiale…
Ce sont ces éléments qui ont conduit le ministère public près la Cour des comptes à saisir cette dernière afin que l’irrégularité de ces dispositifs soit reconnue. La problématique est, en effet, bien réelle dès lors que l’on perçoit, au travers de ces deux affaires, la légèreté avec laquelle les fonds publics sont utilisés – alors que tant de règles comptables et budgétaires sont écartées au mépris de la compétence détenue par le législateur.
Pour le coup, ce sont les pouvoirs budgétaires du Parlement qui sont remis en cause et au-delà de la représentation nationale, c’est la démocratie qui ne peut que pâtir d’une telle relégation des règles.
Ces deux décisions ne sont manifestement pas à la hauteur des enjeux. La Cour des comptes avait, avec ces deux affaires, les moyens de rétablir une orthodoxie budgétaire et comptable trop souvent bafouée. Car ces affaires dévoilent surtout une accoutumance aux manipulations budgétaires.
Au-delà des dénonciations que la Cour des comptes réitèrent à longueur de rapports lorsqu’elle se penche sur la manière avec laquelle le Gouvernement exécute les lois de finances et donc respecte l’autorisation budgétaire accordée par le Parlement, le relais judiciaire que pouvait représenter la gestion de fait, pouvait constituer une réponse appropriée du juge des comptes, garant du respect des règles comptables et budgétaires applicables. Des décisions qui ont conduit la Cour des comptes à méconnaître sa propre compétence… et ce faisant, celle du Parlement…
Pour une étude approfondie de ces deux affaires, V. AJDA 2017. 948.
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