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Le billet

[ 11 décembre 2017 ] Imprimer

Que faut-il penser du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance ?

Le Gouvernement a déposé le 27 novembre 2017 devant l’Assemblée nationale un projet de loi sur la réforme de l’administration qui constitue une des ambitions majeure de son programme. Si l’on s’en tient aux affirmations contenues dans l’étude d’impact du projet de loi, il s’agirait d’aller vers une administration de conseil de service, une administration qui devrait être moins complexe, cela dans un but à la fois de sécurité juridique et en faveur de l’activité économique.

Nul doute que tous les Gouvernements successifs depuis au moins 40 ans auraient souscrit à ses objectifs ; à la vérité nos cabinets d’avant-guerre et nos réformistes des années 1930 aussi.

Il serait ainsi facile d’ironiser sur cette course à la simplification et à l’amélioration des relations entre administrations et usagers dont on a le sentiment qu’elle ressemble à celle du paradoxe de Zenon et que les bouillant Achille gouvernementaux ne rattraperont jamais les circulaires tortues bureaucratiques.

D’ailleurs, la violence de certains des passages de l’avis du Conseil d’État sur le projet qui lui avait été transmis confortent ce sentiment est y ajoute l’impression que l’on a davantage ici affaire à un magasin des accessoires qu’à une réforme administrative en profondeur.

De fait si l’on essaye d’analyser certaines des dispositions contenues dans le projet de loi pour tenter d’en mesurer la portée ou les enjeux, force est de constater que même l’administrativiste le plus rompu à la lecture des textes ne peut masquer une forme de désarroi devant leur complexité.

Que penser ainsi par exemple de l’exercice du droit à l’erreur pour échapper à une sanction administrative, alors qu’il existe déjà une procédure contradictoire permettant en principe d’aboutir au même résultat.

Que penser encore de la réaffirmation de l’opposabilité des circulaires administratives alors que depuis le décret du 28 novembre 1983 nul n’est parvenu, jurisprudence comme législateur, à donner une quelconque substance à ce principe.

Assurément, les critiques que l’on peut adresser à ce texte sont nombreuses et l’on peut également avoir un doute sur le fait que la discussion parlementaire permettra de l’améliorer sensiblement.

Mais ces critiques, toutes justifiées qu’elles soient, ne doivent pas empêcher d’appréhender les choses de manière plus globale et de poser beaucoup plus simplement la question de savoir si ce texte est en mesure d’atteindre les objectifs ambitieux qu’il se fixe ?

À ce stade, l’auteur de ces lignes va s’autoriser l’emploi de la première personne du singulier car les considérations qui vont suivre n’excèdent pas la portée d’une opinion strictement personnelle.

À la question que je posais, donc, j’ai tendance à y répondre par la négative. Non, je ne pense pas que ce texte sera en mesure de créer cette administration de service plus simple et favorisant les activités économiques comme non économiques de notre pays.

Je ne le crois pas car c’est dans son principe même que la démarche m’apparait contradictoire. La leçon de l’échec des tentatives de réforme administrative qui s’accumulent depuis que ce vocable est entré dans le dictionnaire des administrateurs devrait être retenue. Il n’est pas possible de réformer l’administration en utilisant les outils qui sont précisément ceux qui rendent l’administration  française lourde, coûteuse et bureaucratique. Ce n’est pas en réformant un code, en ajoutant de nouvelles procédures, en redonnant du poids aux circulaires administratives, etc…, que l’on réduira cette complexité.

À mon sens, le succès d’une réforme administrative ne peut venir, quels que soient les instruments juridiques dont on dispose et que l’on doit mettre en œuvre, que d’un changement de culture. Un changement de culture de l’administration elle-même et dans le changement de culture, induits par le Président, dans les relations qu’entretiennent les usagers avec ces administrations.

Ce changement de culture passe tout d’abord par l’abandon du paternalisme administratif qui conduit à ce que toute activité aussi banale soit-elle est soumise en France à une multitude de régimes d’autorisations ou de procédures administratives approchants. Voulez-vous poser une lucarne sur votre toit, devenir chauffeur VTC, organiser une manifestation sportive de boxe, devenir guide conférencier ? Il vous faudra passer par un des milliers de régimes d’autorisation institués dans le code ou dans nos textes non codifiés.

Il faut supprimer des centaines, des milliers, de ces régimes d’autorisation. Cela rendra sans objet les circulaires qui en explicitent les conditions d’attribution, cela supprimera bien plus de risque d’erreur que le droit à l’erreur ne pourra en réparer, cela évitera d’attendre le rescrit administratif dans des domaines aussi anecdotiques.

Ce changement de culture passe ensuite par une évolution profonde du cadre managerial administratif. Dans la structure administrative, la bienveillance, l’accommodement des règles, l’accompagnement de projets ne sont jamais valorisés en tant que tels. Et cela vaut aussi bien au stade de la hiérarchie administrative qu’au stade du contrôle juridictionnel comme non juridictionnel des décisions prises.

De tout cela, le projet ne se saisit pas. Il se présente comme une sorte de surcouche de garanties au-dessus d’un système administratif inchangé.

Mais, si le texte ne remplira sans doute pas les objectifs qu’il se fixe, on peut toutefois se demander si les dispositifs qu’il met en place (rescrit administratif généralisé, demande en appréciation de régularité formée devant le juge administratif, droit au contrôle préventif, etc…) ne conduiront pas à faire émerger des formes de contradiction au sein de la sphère administrative. Par exemple en alourdissant les charges de travail, par exemple encore en ne parvenant pas à identifier l’ensemble des règles de droit s’appliquant au projet pour lequel un rescrit est demandé et l’administration sera peut-être réduite à se poser la question du bien-fondé de la majeure partie des dispositifs quelle oblige les usagers à mettre en œuvre.

Ainsi peut-être dans une prochaine étape, ses contradictions pourront conduire à rendre plus évidente la nécessité d’une réforme administrative véritable…

 

Auteur :Frédéric Rolin


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