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[ 5 février 2024 ] Imprimer

Que faut-il retenir de la décision de la Cour d’appel financière sur l’affaire Alpexpo ?

La jurisprudence issue du nouveau régime de responsabilité financière mis en place avec l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 a livré de premiers enseignements en 2023, au travers des cinq arrêts rendus par la chambre du contentieux de la Cour des comptes. C’est au tour de la Cour d’appel financière qui a rendu ce 11 janvier 2024, sa première décision à propos de l’affaire Alpexpo – cette dernière étant également la première affaire qu’avait eu à traiter la Cour des comptes en 2023.

Cette décision d’appel était attendue alors que la décision Alpexpo avait clairement fait apparaître des dissensions entre la Cour des comptes et son parquet, sur la manière d’appliquer le nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics.

Au final, le juge d’appel a confirmé la position des juges de première instance. Les enseignements à tirer de sa décision sont doubles 

■ Les avantages injustifiés procurés à soi-même pour les faits constatés antérieurement au 1er janvier 2023 bénéficient d’une totale impunité – sauf à pouvoir démontrer qu’ils résultent d’une faute grave et ont occasionné un préjudice financier significatif :

Avec l’ancien régime de responsabilité financière, seul l’avantage injustifié procuré à autrui pouvait être sanctionné par la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) (art. L. 313-6 CJF) mais cette dernière avait trouvé le moyen de le sanctionner en s’appuyant sur les dispositions génériques de l’article L. 313-4 lesquelles permettaient de sanctionner les irrégularités constatées dans l’exécution des opérations de dépenses et de recettes. En pratique, il faut relever que cette dernière infraction présentait un peu les avantages d’une « voiture-balai », permettant de récupérer l’essentiel des infractions sanctionnées par la CDBF ; ce faisant, avec certaines affaires, la condamnation d’une telle infraction permettait, dans le même temps, de sanctionner un avantage indu dont le gestionnaire avait pu bénéficier. D’une pierre, deux coups…

Le ministère public avait espéré pouvoir poursuivre les avantages injustifiés à soi-même en utilisant un raisonnement similaire, s’appuyant sur la filiation qu’il était possible d’établir entre les L. 313-4/L. 313-6 et L. 313-9/L. 313-12 du Code des juridictions financières.

Le juge financier a préféré un raisonnement en silos. Il a retenu que - l’avantage injustifié à soi-même ne pouvait être poursuivi que depuis le 1er janvier 2023 ; - les irrégularités en matière de dépenses et de recettes ne peuvent désormais être poursuivies que si elles révèlent une faute grave ayant occasionné un préjudice financier significatif (art. 313-9 CJF). Il devenait donc impossible de sanctionner la dirigeante de fait de cette société à raison des avantages dont elle avait bénéficiés (remboursements de frais de déplacement, dépenses de loisirs), faute de pouvoir établir la significativité du préjudice financier.

■ L’appréciation par le juge financier du préjudice financier reproché au gestionnaire public, peut résulter d’un ordre de grandeur : 

Le ministère public avait poursuivi les directeurs de la société pour défaut de surveillance, estimant que ce dernier avait permis la commission des irrégularités reprochées à la dirigeante de fait. La Cour d’appel financière a estimé, confirmant en cela la chambre du contentieux, que le préjudice financier n’était pas établi. En particulier, il n’apparait pas établi que « le montant des dépenses afférentes aux contrats passés en méconnaissance des règles de la commande publique (…) auraient été moindres (…) si ces règles avaient été respectées ». Au final, la Cour d’appel ne retient qu’un préjudice financier de l’ordre de 15 000 euros, correspondant aux avantages injustifiés précités, dont la dirigeante de fait et son époux avaient bénéficiés ; un montant que la Cour d’appel a considéré comme non significatif.

À ce sujet, le juge d’appel offre une lecture intéressante de la manière avec laquelle le juge financier peut appréhender ce préjudice. Deux points sont à retenir :

● Dans l’appréciation du préjudice financier, il n’est pas nécessaire d’en établir le montant exact ; un ordre de grandeur suffit, ce dernier doit pouvoir être évalué avec une précision suffisante pour pouvoir ensuite être apprécié au regard des éléments financiers de l’entité ou du service concerné ;

● Lorsque cette entité ou ce service ne sont pas tenus d’établir et d’approuver un budget, il convient de se référer aux éléments financiers pertinents selon le régime juridique et comptable applicable à cette entité ou à ce service, tels notamment ceux qui ressortent du bilan ou du compte de résultat.

Le premier point ne suscite pas la discussion, au contraire : il offre au juge financier une latitude salutaire. Le second laisse plus dubitatif et conduit à se demander s’il ne conviendrait pas de retenir une approche plus fine des éléments financiers de référence. Il s’agirait d’éviter que le préjudice financier soit noyé par une approche financière globale, là où il serait possible de distinguer en situant ce préjudice au niveau exact de l’entité/du service auquel les irrégularités constatées peuvent être rattachées. 

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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