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Le billet
Quel avenir pour le système conventionnel européen ?
Deux évènements récents – la réaction du président Erdogan à la condamnation de son pays par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et l’organisation d’un référendum d’initiative populaire en Suisse – interrogent sur la vigueur et l’avenir du système conventionnel européen alors qu’il constitue un contrepoids indispensable face aux tentations de dérives des États démocratiques à l’heure de la montée en puissance des replis identitaires et de la remise en cause du projet européen.
La Cour européenne des droits de l’homme a été saisie par M. Selahattin Dermitas, co-président du parti pro-kurde en Turquie (le Parti démocratique des peuples) afin de faire constater le caractère arbitraire de sa détention provisoire et la violation de plusieurs de ses droits (et, par conséquent, la violation de l’art. 5 § 1, 3 et 4 (droit à la liberté et à la sûreté et droit d’être jugé dans un délai raisonnable ou d’être libéré pendant la procédure), des art. 3 du Protocole n° 1 (droit à des élections libres) et 18 de la Convention (limitation de l’usage des restrictions aux droits) combiné avec l’art. 5 § 3. Le requérant se plaignait également d’une violation de l’art. 10 (liberté d’expression et de l’article 34 (droit de requête individuelle)). Le requérant estimait avoir été arrêté et maintenu en détention provisoire à compter du 4 novembre 2016, non pour appartenance à une organisation terroriste – comme cela apparaissait sur tous les actes de procédure – mais en raison de ses opinions politiques.
Si la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que la Turquie avait violé plusieurs droits du requérant dans cette affaire, l’arrêt en date du 20 novembre 2018 (Selahattin Demirtas c/ Turquie (n° 2), n° 14305/17) retient ici notre attention car la Cour indique à la Turquie la voie à suivre pour mettre fin à la violation de la Convention dans les plus brefs délais. On lit en effet au paragraphe 283 de l’arrêt, que « eu égard aux circonstances particulières de l’affaire, aux motifs sur lesquels s’est fondé le constat de violation et au besoin urgent de mettre fin à la violation des articles 5 § 3 et 18 de la Convention, la Cour estime qu’il incombe à l’État défendeur d’assurer la cessation de la détention provisoire du requérant, ordonnée dans le cadre des procédures pénales ayant été l’objet de la présente espèce, dans les plus brefs délais, à moins que de nouveaux motifs ou de nouveaux éléments justifiant le maintien en détention provisoire ne soient présentés ».
La réaction du Président turc, Recep Tayyip Erdogan, a été rapide et sans ambiguïté puisqu’il a déclaré, le jour même de l’arrêt, que la Turquie ne s’y plierait pas étant donné que les décisions de la CEDH ne contraignent pas le pays. Il a ajouté que la Turquie allait « contre-attaquer et mettre un point final à cette affaire ». La déclaration présidentielle est glaçante tant elle constitue un affront à la logique même du système conventionnel. Ce dernier repose en effet sur un équilibre subtil entre le caractère déclaratoire des arrêts de la Cour et le principe de subsidiarité qui se traduit par le fait « qu’en général il appartient au premier chef à l’État en cause de choisir les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis » (§ 281). Ce n’est que dans de très rares cas, « lorsque la violation constatée n’offre pas réellement de choix parmi différentes sortes de mesures susceptibles d’y remédier », que la Cour décide d’indiquer la mesure individuelle qui permet de faire cesser la violation des droits du requérant. Sa jurisprudence démontre qu’elle a toujours fait usage de ce droit avec beaucoup de prudence et de retenue et généralement lorsque le requérant était soumis à une mesure de privation de liberté (V. par ex., CEDH, gr. ch., 13 juill. 2000, Scozzari et Giunta c/ Italie, n° 39221/98 et 41963/98, § 249 ; CEDH, gr. ch., 21 oct. 2013, Del Río Prada c/ Espagne , n° 42750/09, § 139).
La subtilité de l’équilibre à préserver avait déjà généré des réactions souverainistes des États parties à la Convention. Cependant, la fermeté de la réaction du Président turc inquiète car elle représente une remise en cause profonde de l’autorité de la Cour européenne dans un contexte de contestation plus large de l’ensemble du projet européen, alors même que l’impératif de préservation des droits de l’homme a besoin d’être rappelé à tous.
Dans ce contexte, nous pouvons nous réjouir du rejet de l’initiative populaire suisse le 25 novembre dernier qui invitait les citoyens à se prononcer « pour l’autodétermination » à l’initiative de l’Union démocratique du centre (UDC). Le référendum avait pour objectif d’inscrire dans la Constitution la primauté du droit national sur le droit international et proposait que les traités internationaux soient dénoncés, si nécessaire, en cas de conflit avec la Constitution fédérale. En d’autres termes, l’initiative populaire visait à fragiliser la protection internationale des droits de l’homme en Suisse et potentiellement, à inviter le pays à se retirer du Conseil de l’Europe et donc du système de la Convention européenne des droits de l’homme.
Malgré le rejet de ce projet par les citoyens suisses, l’ensemble de ces mouvements – auxquels nous pouvons ajouter les résultats des élections régionales en Andalousie du dimanche 2 décembre – doivent alerter et inviter citoyens et gouvernants à se remémorer dans quel contexte le Conseil de l’Europe et les communautés européennes ont été créés.
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