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Quel mode de scrutin pour les élections législatives ?
Nouvelle échéance électorale des 12 et 19 juin, les élections législatives cristallisent désormais les débats. En recomposant une nouvelle assemblée nationale, le vote des électeurs va conditionner les sorts du gouvernement et de la 1ère ministre, pourtant fraîchement nommés. Le remaniement à venir, qu’il soit partiel ou intégral, devra prendre acte des différents groupes parlementaires qui vont s’installer sur les bancs du palais Bourbon. Cette répartition étant entièrement dépendante du mode de scrutin choisi pour cette élection, il est intéressant de revenir sur le choix opéré et les évolutions potentielles.
Le cadre général de l’élection législative est posé à l’article 24, alinéa 3 de la Constitution : « Les députés à l’Assemblée nationale, dont le nombre ne peut excéder cinq cent soixante-dix-sept, sont élus au suffrage direct. » Le Code électoral précise ensuite que les députés sont élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours et que le vote a lieu par circonscription (C. éléct., art. L. 123 et L. 124).
Parmi les modes de scrutin qu’il était possible d’envisager pour élire les députés, c’est le scrutin majoritaire qui a été retenu en 1958 afin de favoriser l’émergence d’une majorité stable au sein de l’Assemblée nationale. En effet, ce mode de scrutin conduit à l’élection du candidat qui obtient le nombre de voix le plus élevé. Il est qualifié d’uninominal dans le cadre des élections législatives car un seul siège est à pourvoir par circonscription. Bien que prévu à deux tours, un député peut être élu au premier tour s’il obtient la majorité absolue des suffrages exprimés. Si ce n’est pas le cas, un second tour est organisé avec les candidats ayant obtenu un nombre de voix au moins égal à 12,5 % des inscrits au premier tour. Le vainqueur final sera le candidat qui arrive en tête. Le scrutin majoritaire a donc été préféré à la représentation proportionnelle, autre mode de scrutin sur la base duquel étaient élus les députés sous la IVe République.
Le scrutin proportionnel est par principe un scrutin de liste car il conduit à répartir les sièges entre les différentes listes en fonction du nombre de voix obtenues. Parfois, un seuil de représentativité est exigé pour pouvoir bénéficier de la répartition des sièges. Par exemple, pour les élections européennes, une liste peut obtenir des sièges au Parlement si elle recueille 5 % des suffrages. La répartition obéit ensuite à des règles précises et s’opère généralement en deux temps. Ce mode de scrutin est connu pour permettre une représentation plus juste de l’ensemble des partis qui concourent à l’élection. Il favorise l’expression de plusieurs courants, y compris ceux minoritaires, ce qui est démocratiquement très positif. En revanche, et c’est bien pour cela qu’il n’a pas été retenu en 1958, le multipartisme qu’il génère induit une instabilité politique. Rappelons que la IVe République a été qualifiée de partitocratie.
Le choix en 1958 a donc été évident et il a été confirmé à plusieurs reprises jusqu’en 1986. Présentée comme une réalisation d’une des promesses de campagne de François Mitterrand pour une élection plus démocratique – là où certains y ont plutôt vu une tentative pour le Chef de l’État de minimiser une défaite de la gauche que les sondages avaient commencé à annoncer – la loi n° 85-690 du 10 juillet 1985 a modifié l’article L. 123 du Code électoral afin d’instaurer une “proportionnelle démocratique” pour l’élection des députés. La réforme consistait donc à modifier le mode de scrutin et à faire du département une circonscription.
Seule élection à la proportionnelle dans l’histoire de la Ve République à ce jour, elle mit en place la première cohabitation : les deux parties de droite, l’Union pour la Démocratie Française (UDF) et le Rassemblement pour la République (RPR) obtinrent 286 sièges contre 248 pour les socialistes et le parti communiste. Le résultat n’ayant pas été à la hauteur des espérances et ne voulant sans doute pas connaître la même déconvenue, le gouvernement de Jacques Chirac proposa une nouvelle loi pour revenir au mode de scrutin antérieur et à une carte électorale basée sur les circonscriptions (loi n° 86-825 du 11 juillet 1986 relative à l’élection des députés et autorisant le gouvernement à délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales). Depuis lors, le scrutin majoritaire a été la règle.
La pratique du pouvoir exécutif et la vision “jupitérienne” du chef de l’État face à une assemblée nationale toujours présentée comme chevillée au Président par le fait majoritaire relance régulièrement les volontés de réforme des modes de scrutin en général et celui des législatives en particulier. Cette année, les deux candidats au second tour de la présidentielle s’accordaient pour annoncer leur souhait d’introduire plus de proportionnelle pour l’élection des députés dans le but d’assurer une meilleure représentation des Français et minimiser la concentration du pouvoir. D’autres élus allaient déjà dans le même sens il y a un an. Emmanuel Macron avait d’ailleurs annoncé en 2019 l’introduction d’une dose de proportionnelle au moment où il présentait son projet pour un renouveau de la vie démocratique. Les propositions varient d’une proportionnelle intégrale à un scrutin législatif mixte.
Cette focalisation sur le mode de scrutin invite tout de même à réfléchir. Nous savons ce que le scrutin majoritaire fait à l’Assemblée nationale et génère dans les rapports entre nos institutions. Tant de choses peuvent être critiquées mais, regardons l’histoire et les pays voisins (Espagne, Italie ou Belgique pour ne citer qu’eux) dont les parlements sont élus au scrutin proportionnel et notons d’une part, l’instabilité qui caractérise leur fonctionnement et précisément l’impossibilité de nommer un gouvernement faute de majorité stable dans les chambres (la Belgique est restée plus de cinq cent jours sans gouvernement, l’Espagne plus de neuf mois) et d’autre part, le caractère ouvertement antidémocratique des négociations entre les partis élus qui échappent totalement aux électeurs.
La question n’est donc pas tant celle du refus de tout changement dans le mode de scrutin des élections législatives que celle du besoin – quelque peu éternel il est vrai – de mûrir les propositions de changement bien au-delà des annonces électorales et de protéger le choix qui sera fait par son introduction à l’article 24 de la Constitution. L’impact du mode de scrutin de l’élection des députés sur les rapports entre les institutions étant très important, il serait opportun de le protéger constitutionnellement et de soumettre toute réforme postérieure à un débat de fond.
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