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[ 7 octobre 2019 ] Imprimer

Quel modèle de responsabilité pour les gestionnaires publics ? 1ère partie. Le modèle français de responsabilité financière des gestionnaires publics

La question est lancinante alors que se succèdent les affaires de mauvaise gestion des fonds publics quand il ne s’agit pas, purement et simplement, de détournements à des fins d’intérêt privé. Question d’autant plus lancinante lorsque l’on mesure l’exaspération que ces affaires suscitent auprès des français, relayée dans une notable mesure par le phénomène des gilets jaunes.

Essentiellement, lorsqu’il s’agit de détournements de fonds publics, la réponse est pénale. L’affaire des avions taxis de la commune d’Hénin-Beaumont aura valu 4 années d’emprisonnement dont trois fermes au maire de cette ville. Même chose pour l’ancien président du conseil général de la Haute-Corse condamné à trois ans de prison ferme dans l’affaire des gîtes ruraux de Haute-Corse ou encore cette député marseillaise condamnée à quatre ans de prison dont trois avec sursis pour des subventions versées à des associations fictives. Et les affaires peuvent s’égrener… Les politiques étant, à ce sujet, très imaginatifs.

Mais lorsque l’emploi des fonds publics génère, par action ou par omission, un mauvais usage des fonds publics et qu’une qualification pénale ne peut être envisagée, la réponse à apporter est plus délicate.

En France, le schéma applicable permet d’envisager que le juge financier - Cour des comptes ou Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) - intervienne pour sanctionner ce type d’exactions.

Au moyen de la gestion de fait, la Cour des comptes peut obliger ceux qui ont utilisé ces fonds publics en dehors du cadre prévu par le droit de la comptabilité publique, à rembourser les montants correspondants voire y ajouter une condamnation au paiement d’une amende pour s’être immiscé dans les fonctions de comptable public.

La Cour de discipline budgétaire et financière, quant à elle, peut connaître de la responsabilité des administrateurs pour mauvaise gestion de ces fonds publics et les condamner au paiement d’une amende dont elle peut moduler le montant en tenant compte des circonstances atténuantes et aggravantes.

Le panorama peut, éventuellement, se compléter de l’intervention de la Cour de justice de la République mais le peu de sévérité des décisions qu’elle rend laisse songeur. Le projet de loi constitutionnelle prévoit d’ailleurs sa suppression… (AN, Projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique, n° 2203). Une raison d’ailleurs supplémentaire pour revoir le système actuel de responsabilité financière des gestionnaires publics.

Par certains aspects, ces deux voies de recours peuvent se recouper. Il est d’ailleurs prévu que dans le prononcé des amendes, soient prises en compte les actions menées tant devant la Cour des comptes que devant la Cour de discipline budgétaire et financière (Damarey S., Cour de discipline budgétaire et financière, Dalloz, Répertoire de contentieux administratif, notamment n° 423). 

Sur le principe, le schéma français de mise en cause de la responsabilité financière des gestionnaires publics apparaît cohérent. En pratique, il souffre de nombreuses imperfections dont une d’importance : tant la Cour des comptes en matière de gestion de fait que la Cour de discipline budgétaire et financière rendent trop peu d’arrêts pour qu’apparaisse une réelle crainte des gestionnaires publics, d’être sanctionnés par elles.

Autre imperfection importante : les ministres échappent à la compétence de la CDBF, les élus locaux y échappent également dans une large mesure.

Au global, l’impression d’un système qui ne fonctionne pas ou plutôt qui fonctionne trop mal pour constituer une garantie contre le mauvais usage, par imprudence ou négligence, des fonds publics.

On pourra prétexter que le nombre n’est pas l’essentiel mais que l’intérêt réside dans le caractère exemplaire résultant des quelques décisions rendues chaque année.

Certes. Mais il faut bien percevoir que du point de vue du gestionnaire public, l’intérêt n’est pas là… On peut également douter des incidences de ces décisions en termes d’exemplarité.

La question se pose alors de l’efficacité de notre modèle de mise en œuvre de la responsabilité financière des gestionnaires publics.

Partant, du modèle de responsabilité qui pourrait constituer la meilleure réponse à apporter.

C’est à cette question que la Cour des comptes entend apporter des éléments de réponse dans le cadre d’un colloque organisé avec le Conseil d’État, le 18 octobre prochain, « sur la responsabilité des gestionnaires publics ». 

Des regards croisés du Conseil d’État, de la Cour des comptes et du Gouvernement discuteront, dans le cadre d’une première table ronde, du cadre actuel de responsabilité des gestionnaires publics. Un bilan qui, très certainement, dévoilera les limites du modèle français de mise en jeu de cette responsabilité.

Une seconde table ronde se positionnera en termes de perspectives sur le modèle possible de responsabilité des gestionnaires publics. Partant des imperfections actuelles de ce régime, imaginer le régime de demain. Là également, une table ronde favorisant les échanges croisés entre les mondes judiciaire, universitaire et administratif permettra d’ouvrir le champ des possibles.

Un beau programme en perspective dont on peut espérer qu’il emporte la conviction qu’il est devenu essentiel d’évoluer sur ce sujet, d’imaginer le modèle de responsabilité le plus à même de préserver et donc de mieux encadrer l’emploi des fonds publics.

Les « affaires », de nature à crisper le propos, ne manquent pas… lorsqu’on songe aux concessions d’autoroute, et aux perspectives de privatisation d’Aéroports de Paris ou encore de la Française des jeux…

Pour y répondre, il peut être intéressant de découvrir comment nos voisins européens, comment à travers le monde, l’emploi des fonds publics est contrôlé. Au-delà de l’aspect pénal, ce sont bien les usages imprudences ou négligents de fonds ou biens publics qu’il convient d’examiner et, le cas échéant, de sanctionner.

Les modèles diffèrent à ce propos entre les instituts supérieurs de contrôle dotés ou non de compétences juridictionnelles et, plus finement, à travers eux, les pouvoirs reconnus aux uns et aux autres pour alerter, remédier voire sanctionner.

Le projet d’un prochain billet sera consacré à cette approche comparée afin de rassembler des éléments de réponse permettant d’identifier le modèle de mise en cause de la responsabilité des gestionnaires publics, le plus approprié. Là également, le chantier est vaste…

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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