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Le billet

[ 27 janvier 2020 ] Imprimer

Quel régime pour les futures retraites ?

Après deux ans de réflexions, de débats et l'un des plus importants conflits sociaux connus ces dernières années, le Gouvernement a dévoilé les textes qui mettront en forme juridique la réforme des retraites. Les spécialistes -juristes, économistes politistes ou sociologues- ne manqueront de livrer des analyses précises de ces textes et de la portée des évolutions qui en naîtront.

D'un point de vue juridique, les premiers éléments observés conduisent déjà à s'interroger sur deux questions essentielles : le sort que la réforme fait de la démocratie sociale et la redoutable complexité du projet gouvernemental.

La première interrogation concerne le sort fait à la démocratie sociale. Les questions intéressant la sécurité sociale depuis 1945 ont donné bon gré mal gré une place aux partenaires sociaux dans la gestion des systèmes de retraite et le pilotage des réformes. S'engageant dans la réforme sur la base d'un projet à la fois très politique et très technique, le Gouvernement, malgré d'apparentes concertations, n'a octroyé de concessions aux organisations professionnelles que tardivement, sous le poids des conflits sociaux. Le projet paraît marqué par une défiance à l'égard des partenaires sociaux, perçus comme responsables de la complexité excessive du système de retraites français et la difficile quête des équilibres financiers. Aussi le projet présenté s'écarte-t-il sensiblement du modèle - il est vrai déjà érodé- qui jusque-là légitimait la plupart des choix faits en matière de retraite, celui de la démocratie sociale. Ce dernier est fondé sur le fait que les choix politiques ne sauraient tout régler, et que les questions sociales se doivent avant tout d'être réglées par des compromis recherchés au sein des groupes sociaux et entre les groupes sociaux.

Si le pouvoir reconnu aux partenaires sociaux dans la gestion régime général de Sécurité sociale s'est émoussé, les syndicats et les organisations professionnelles avaient su garder la main sur nombre d'aspects appelés à disparaître. Tel sera le cas d'abord de l'AGIRC-ARRCO, la retraite complémentaire obligatoire des salariés, entièrement placée sous la responsabilité des partenaires sociaux ; de même en sera-t-il des régimes autonomes des professions indépendantes, qui faisaient aussi la part belle aux choix des organisations professionnelles. Si le système actuel est marqué par une forte fragmentation des droits selon les groupes professionnels, il avait le mérite de refléter les besoins de ceux-ci : la situation d'emploi des salariés n'est pas similaire à celle des fonctionnaire, les professions indépendantes n'ont pas un rapport comparable aux cotisations et aux prestations que ces deux dernières, et certaines professions sont marquées par des contraintes professionnelles exigeant des départs à des âges différenciés (danseurs, pompiers, militaires, etc.).

Le choix de la création d'un régime unique et uniforme de retraites à points présente la difficulté à la fois d'ignorer la diversité des questions posées par les retraites, et surtout de se dispenser d'institutions qui permettent l'expression des particularités et la recherche de compromis. Cet affaiblissement de la démocratie sociale est sans doute à l'origine de la dureté du conflit qui oppose différentes professions au pouvoir exécutif. 

La seconde interrogation porte sur la difficulté à laquelle les juristes vont être confrontés face à cette réformequi s'annonce d'une complexité redoutable. Le projet paraît en apparence simple dans la présentation qui a été faite : la création d'un unique régime fondé sur l'acquisition de points, ces derniers étant acquis de la même façon pour l'ensemble de la population, et destinés à permettre une conversion aisée entre les montants cotisés et les montants liquidés, géré par un organisme unique, la caisse nationale de retraite universelle. Le projet prend le soin de présenter quelques principes rassurants sur la philosophie qui va irriguer le nouveau système. Mais la tâche s'avère ardue : quelques principes solennellement proclamés ne sauraient exprimer l'état d'un droit qui concerne près de 30 millions d'actifs, 16 millions de retraités et s'appuie sur plus de 300 milliards d'euros de budget chaque année.

Les annonces gouvernementales laissent entendre que la formulation d'une règle optimale permettrait à la fois de régler la situation de l'ensemble de la population, de fixer un niveau de retraite satisfaisant, et d'assurer une forme d'équité sociale. Une telle simplicité relève de la gageure : il n'existe pas une formule magique qui va régler pour les cinquante prochaines années toutes les difficultés que rencontre un système de retraite, dans un contexte qui conjugue vieillissement démographique, fragilité sociale et incertitudes économiques

Il paraît donc illusoire de penser qu'une telle réforme permettra de remédier d'un coup à toutes les difficultés. Pour l'heure les juristes vont surtout être confrontés à la complexité d'un texte qui comprend un projet de loi organique, un projet de loi de 165 pages, un rapport d'impact de plus de 1000 pages, 29 ordonnances déjà annoncées sans compter nombre de décrets. Et la perspective pendant plusieurs dizaines d'années de devoir appliquer à la fois les anciennes règles -dont on connaît la complexité- et les conjuguer, le cas échéant aux nouvelles, dont le Conseil d'Etat a souhaité qu'elles fassent l'objet d'une codification spécifique tant elles risquent d'être difficiles à maîtriser. 

Le projet, séduisant en apparence, d'un système de retraite universel a donc, en l'état, toutes les chances de cristalliser les mécontentements et de susciter des difficultés juridiques innombrables. 

Référence :

■ Dossier législatif : Instauration d'un système universel de retraite

 

Auteur :Frédéric Guiomard, Professeur à l'Université Toulouse 1 Capitole


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