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Le billet
Quelques observations et propositions pour faire évoluer le mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel
Le « marronnier » est bien connu des médias généralistes. La rentrée des classes, le froid en hiver, les fleurs à la Saint Valentin, font l’objet chaque année des mêmes sujets, traités de la même manière. L’actualité juridique elle aussi a ses « marronniers » : la publication des rapports d’activité des juridictions, les lois de simplification du droit, par exemple. Il est aussi un marronnier, qui ne revient que tous les trois ans (si mes lecteurs m’autorisent cette légère entorse aux lois de la botanique), c’est celui de la nomination des nouveaux membres du Conseil constitutionnel. Là encore, vous pourrez lire dans les mille tribunes qui fleuriront (et vous avez pu le lire la semaine passée), « le politique l’emporte sur le juridique », « les services rendus plus forts que la compétence juridique », etc., etc.
De fait, il est bien difficile de ne pas faire chorus : comment peut-on raisonnablement admettre que dans un pays qui se prétend une des figures de proue de la garantie des droits, le Président de la République propose la nomination d’une des ministres du gouvernement qui, aussi respectable soit elle, n’a pas ouvert un livre de droit pendant ses études, ou que le Président du Sénat propose la nomination d’un conseiller d’État qui, aussi respectable soit-il, présente la caractéristique d’avoir été son ancien directeur de cabinet.
Comment peut-on raisonnablement admettre que dans une Cour constitutionnelle, sur neuf membres, aucun ne soit docteur en droit, quatre seulement soient titulaires d’un diplôme de 3e cycle sanctionnant des études juridiques ? Comment peut-on encore admettre qu’aucun n’ait une carrière juridique qui se soit déroulée, au moins pour partie dans des instances ou des juridictions européennes ou internationales ?
Et bien il y a cela une réponse très simple : cela est possible car le mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel non seulement le permet, mais même l’encourage. Qu’on y songe :
- pas de dépôt de candidature, encore moins de publicité sur de telles candidatures. Cette absence de transparence favorise évidemment toutes les luttes d’influences, tous les jeux d’antichambre et favorise évidemment les mieux en cour et les plus proches ;
- pas de condition de nomination liée à une compétence particulière en droit, diplôme ou une durée d’exercice des fonctions ;
- un pouvoir de nomination attribué à trois personnes individuellement, ce qui est unique en Europe : dans la quasi-totalité des cours suprêmes ou des juridictions suprêmes, c’est une forme d’élection qui est mise en œuvre. C’est le cas en Allemagne, en Italie, en Espagne ou au Portugal, pour ne citer que nos plus proches voisins. Ainsi, même si le choix du membre est souvent confié en partie à des institutions politiques, le fait de devoir recueillir un assentiment majoritaire lors d’un scrutin qui reçoit une certaine publicité rend beaucoup plus difficile les choix arbitraires et/ou inadaptés ;
- et enfin, la jurisprudence du Conseil d’État qui depuis l’arrêt de 1999 Madame Ba (CE 9 avr. 1999, n° 195616 A) range dans la catégorie des actes de gouvernement les décisions de nomination, ce qui signifie que, les recours contre ces décisions étant irrecevables, aucun contrôle ne peut être exercé sur leur bien fondé.
C’est donc l’arbitraire ou le bon plaisir de chacun de ces trois personnages qui détermine le choix d’une nomination. On conviendra qu’il faudrait beaucoup de vertu, de « virtus » au sens de la politique romaine pour que ce pouvoir soit exercé à bon escient. Et de fait, pour un Badinter, un Vedel ou un Cassin qui ont fait honneur à l’institution, combien de ministres en fin de carrière, de collaborateurs dévoués qui ne lui ont rien apporté.
Ce n’est pas la réformette qui en 2008 a prévu qu’une commission parlementaire auditionnerait les candidats qui y changera quoi que ce soit. Comme l’a excellemment souligné Julien Jeannenay dans une récente Tribune du journal Le Monde (18 févr. 2022, v. ici), il s’agit d’une parodie de vérification des compétences des impétrants et au demeurant on voit difficilement comment une majorité de 3/5e des parlementaires pourrait remettre en cause le choix du Président d’une assemblée qui a été élu à la majorité des mêmes parlementaires, ou la décision du Président de la République, sauf peut être en cas de cohabitation.
Le résultat est bien connu : le Conseil constitutionnel est une juridiction de second rang dans le concert des cours suprêmes ou constitutionnelles européennes. Il rend des décisions à la motivation étique dont il est impossible de tirer une construction structurée d’un système des droits et libertés. La meilleure preuve en est que sur chaque question importante, sur les enjeux constitutionnels du changement climatique, de l’articulation entre la construction européenne et le droit national, de la gestion de la pandémie par exemple, les yeux se tournent vers l’étranger, vers la Cour de Karlsruhe en particulier qui, comme l’a si bien montré Aurore Gaillet (La Cour constitutionnelle allemande, reconstruction d’une démocratie par le droit (1945-1961), éd. La Mémoire du droit 2021) a acquis en quelques décennies « l’une des institutions les plus respectées en Europe et même dans le monde ».
Pire encore, du fait de cette insuffisante compétence de la majorité de ses membres, en droit en général et en droit constitutionnel en particulier, le Conseil constitutionnel est gouverné par un « Maire du palais », son secrétaire général qui s’arroge souvent un pouvoir de direction de la jurisprudence, comme le montre par exemple, l’article de Marc Guillaume paru en 2008 à la Revue Pouvoirs (« la Constitution de 1958 et l’Europe, de l’union Libre au Pacs », Pouvoirs 2008, n° 3, p. 71) assignant à la jurisprudence à venir du Conseil constitutionnel sur les rapports entre le droit européen et le droit national « les trois principes simples » qu’elle devra respecter…
Alors, que faire ?
Évidemment, la solution la plus logique consisterait à préconiser une révision constitutionnelle pour adopter un mode de nomination élevant le standard de qualité du choix des futurs membres. Mais le précédent de 2008 n’incite guère à l’enthousiasme : une, réformette, on l’a dit, qui n’a pas même réussi à supprimer la qualité de « membre de droit » des anciens présidents de la République, alors pourtant que du fait de la cohérence des majorités de l’époque, aucun blocage politique n’aurait entravé cette évolution. La difficulté, dans la configuration politique actuelle, à faire adopter une révision constitutionnelle ajoute encore au scepticisme.
Alors il faut tenter d’imaginer des réformes moins ambitieuses et qui ne rencontreraient pas d’obstacles juridiques. Nous en voyons en particulier deux.
La première consisterait à créer une procédure de déclaration de candidature, qui permettrait de rendre publique la liste des personnes qui aspirent à occuper ces fonctions et, partant, de pouvoir comparer leur expérience en matière juridique. Pour éviter l’obstacle de l’inconstitutionnalité qui résulterait du fait d’enfermer le choix des trois autorités compétentes à l’intérieur de cette liste il suffirait d’énoncer que celles-ci conservent la possibilité d’un choix en dehors de cette liste.
La seconde consisterait à confier à une instance représentative des institutions juridiques (sur le modèle du Conseil national du droit, mais en formation plus restreinte) un pouvoir de recommandation sur la liste précédemment évoquée. Là encore, recommandation n’étant pas décision, le libre choix des trois autorités compétentes posé par la Constitution ne serait pas remis en cause.
Cette forme de transparence et d’évaluation des candidatures, sans être une solution miracle permettrait sans doute d’améliorer la procédure actuelle et de limiter la possibilité de choix inappropriés. Pour les raisons qu’on a dites, le Conseil constitutionnel y gagnerait beaucoup et le droit constitutionnel également. Reste à savoir si de telles propositions, malgré leur caractère prudent et limité, peuvent être entendues ou si ce pouvoir de nomination arbitraire doit être rangé parmi les intouchables regalia de la Ve République.
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