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[ 14 novembre 2012 ] Imprimer

Rapport « Pour un renouveau démocratique » de la commission L. Jospin et stratégie globale de prévention des conflits d’intérêts : beaucoup de bruit pour rien ?

Le 9 novembre 2012, Lionel Jospin a rendu public le rapport de la commission relative à la rénovation et à la déontologie de la vie publique. Les mesures préconisées sont nombreuses et les réactions critiques sont houleuses. Un seul volet retiendra notre attention : celui de la lutte contre les conflits d’intérêts.

Le rapport est composé de 35 propositions présentées en 129 pages. Près de la moitié des propositions (n° 20 à 35) se rapporte aux conflits d’intérêts des membres du gouvernement et de quelques autres agents publics. Le rapport entend mettre en place une « stratégie globale de prévention des conflits d’intérêts ». En quoi ce rapport permet-il d’espérer une « rénovation de la vie publique » ? Peu de choses novatrices à vrai dire car il s’agit principalement de propositions déjà faites par ailleurs. Beaucoup de bruit pour rien, en quelque sorte !

Le rapport a fait le choix d’une véritable stratégie juridique : mettre l’intelligence juridique au service d’une lutte efficace contre la grande variété des conflits d’intérêts. À cette fin, une définition législative est préconisée, définition très proche de celle proposée par la commission présidée par J.-M. Sauvé (Décr. n° 2010-1072 du 10 sept. 2010 instaurant une commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique. Pour une nouvelle déontologie de la vie publique, présidée par J.-M. Sauvé, dont le rapport a été remis le 26 janvier 2011, spéc. p. 19 et 20) : « constitue un conflit d’intérêts une situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés de nature à compromettre l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». Plutôt que de multiplier les règles techniques, la commission « Jospin », à l’instar de ses prédécesseurs, souhaite construire une véritable « culture du conflit d’intérêts ». Pour ce faire, les mesures préventives ont été préférées aux mesures curatives. Une stratégie juridique efficace doit privilégier la prévention. Elle passe par l’édiction de normes et le développement de bonnes pratiques. Pour ce faire, devrait être mis en place un code de déontologie. Afin de garantir un « principe d’externalisation », la création d’une Autorité de déontologie de la vie publique est également envisagée (proposition n° 33). Toutes ces mesures figuraient déjà, pour l’essentiel, au sein du rapport de la commission « Sauvé ».

Dans le cadre de cette stratégie globale de prévention des conflits d’intérêts, les propositions sont donc nombreuses et audacieuses, à défaut d’être réellement nouvelles.

Parmi les mesures les plus polémiques, le rapport propose d’instaurer un principe de prohibition du cumul des mandats. Même si ce n’est pas le seul objectif, ce non-cumul des mandats permet d’éviter les conflits entre intérêt public national et intérêt public local. Cette proposition demeure une demi-mesure car la prohibition ne concernerait pour l’instant que les membres du gouvernement.

À l’instar notamment du rapport du Sénat, le rapport « Jospin » préconise l’interdiction de débuter des fonctions de conseil ou d’avocat en cours de mandat parlementaire (proposition n° 31). Le Sénat envisageait également et opportunément une procédure d’autorisation pour les parlementaires qui souhaiteraient poursuivre leur fonction de conseil ou d’avocat pendant leur mandat. La commission « Jospin » prévoit, en outre, d’instaurer une plus grande transparence pour dissuader de tout conflit d’intérêts. Il est, en ce sens, prévu de créer une obligation légale des membres du gouvernement de souscrire une déclaration d’intérêts et d’activités (proposition 21) et de rendre publique « la déclaration d’intérêts et d’activités » des ministres alors que la déclaration de situation patrimoniale resterait, elle, confidentielle. Parmi de nombreuses autres mesures, le rapport prévoit de renforcer le régime des incompatibilités. Notamment, les fonctions de membre du gouvernement seraient incompatibles avec l’exercice de toute fonction de direction ou d’administration au sein d’un parti ou d’un groupement politique et au sein de toute autre personne morale à but lucratif ou non lucratif (proposition 20). Il est au surplus prévu d’étendre aux ministres (proposition n° 23) le contrôle des départs vers le secteur privé et vers certains organismes publics, d’incriminer la prise illégale d’intérêts à l’issue des fonctions gouvernementales (modification de l’art. 432-13 C. pén.) et d’étendre aux collaborateurs de cabinets les règles d’incompatibilité (proposition n° 24). Enfin, il est proposé d’élaborer des règles de bonne conduite à l’attention des « représentants d’intérêts », règles validées par l’autorité de déontologie (proposition n° 34).

Encore une fois, à l’instar des rapports de la commission « Sauvé », de l’Assemblée nationale et du Sénat, le maillon faible se rapporte aux sanctions. Que se passera-t-il en cas de violation des règles de déontologie ? Le rapport « Jospin » demeure très discret sur ce point. L’autorité de déontologie de la vie publique dispose certes de certains pouvoirs, mais aucun d’entre eux n’est d’ordre coercitif ! Éventuellement, en cas d’absence de déclaration ou d’insincérité, les décisions de l’autorité de déontologie seraient rendues publiques, publicité étant jugée suffisante pour son effet dissuasif !

En définitive, les propositions sont nombreuses mais les réformes se laissent attendre. Le changement n’est manifestement pas pour maintenant. La multiplication des rapports donne l’impression que le pont est devenu plus large que la rivière. Or, il faut se rappeler le conseil de Don Pedro : « Quel besoin y a-t-il que le pont soit plus large que la rivière ? Le nécessaire est toujours la plus juste des concessions » (W. Shakespeare, Beaucoup de bruit pour rien [Much Ado about Nothing, The Norton Shakespeare], W. W. Norton & Company, 1997, Acte I, Scène I).

Plus de commissions, réformons !

Références

http://www.commission-rdvp.gouv.fr/

Article 432-13 du Code pénal

« Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 Euros d'amende le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que fonctionnaire ou agent d'une administration publique, dans le cadre des fonctions qu'elle a effectivement exercées, soit d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats, soit de proposer directement à l'autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une de ces entreprises avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions.

Est punie des mêmes peines toute participation par travail, conseil ou capitaux dans une entreprise privée qui possède au moins 30 % de capital commun ou a conclu un contrat comportant une exclusivité de droit ou de fait avec l'une des entreprises mentionnées au premier alinéa.

Pour l'application des deux premiers alinéas, est assimilée à une entreprise privée toute entreprise publique exerçant son activité dans un secteur concurrentiel et conformément aux règles du droit privé.

Ces dispositions sont applicables aux agents des établissements publics, des entreprises publiques, des sociétés d'économie mixte dans lesquelles l'État ou les collectivités publiques détiennent directement ou indirectement plus de 50 % du capital et des exploitants publics prévus par la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom.

L'infraction n'est pas constituée par la seule participation au capital de sociétés cotées en bourse ou lorsque les capitaux sont reçus par dévolution successorale. »

 

Auteur :Mustapha Mekki


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