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Référendum constituant pour la préservation de l’environnement : constitutionnellement possible mais politiquement compromis
Alors que le projet de loi constitutionnelle visant à modifier l’article 1er vient d’être examiné par le Sénat en première lecture, le texte n’a pu être adopté faute d’accord sur ce dernier en termes identiques. À travers la guerre des mots qui émerge entre les deux chambres parlementaires, nous assistons à une manipulation politique de la procédure constitutionnelle de révision, au détriment de la pédagogie juridique et de la recherche du bien commun.
Parmi les propositions élaborées par la Convention citoyenne pour le climat, la modification de l’article 1er de la Constitution a été avancée afin d’y inscrire, de manière plus expresse, la volonté de l’État français de préserver la biodiversité, l’environnement et d’agir contre le dérèglement climatique. Le Président Macron a accepté cette mesure et il a validé sa soumission par référendum avant la fin 2021. L’accord du Président est peu surprenant car la mesure n’est pas nouvelle : elle avait déjà été proposée par voie d’amendement par la majorité, au moment de la discussion parlementaire du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, au printemps 2018 ; elle avait été reprise à l’article 1er du projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique (texte déposé à l’Assemblée nationale le 29 août 2019, jamais inscrit à l’ordre du jour).
Un nouveau projet de loi constitutionnelle a donc été déposé le 20 janvier 2021 dans cet objectif (Projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, n° 3787). Si la volonté d’inscrire l’environnement au cœur même de la Constitution est ancienne et constante, la sémantique qui l’entoure est quant à elle beaucoup moins stable. En effet, en 2018, le projet de loi constitutionnelle mentionnait « Elle [la France] agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le changement climatique » ; en 2019, « Elle favorise la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre les changements climatiques. » et en 2021, « Elle garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. » Le dernier projet a été voté sans modification par l’Assemblée nationale le 16 mars 2021. En revanche, le 10 mai dernier, les sénateurs y ont apporté des modifications estimant que le terme «garantir» était trop contraignant juridiquement. Ils ont préféré la formulation suivante : « Elle préserve l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ».
L’absence d’accord sur le texte de loi entre les deux chambres prolonge la procédure législative spéciale et suscite des inquiétudes quant à l’avenir de la révision constitutionnelle que certains voient déjà – et pour la troisième fois – enterrée.
En effet, la procédure de révision constitutionnelle de l’article 89 de la Constitution témoigne du caractère rigide du texte de 1958, la procédure de révision constitutionnelle se distinguant de la procédure législative ordinaire, à plusieurs égards. Tout d’abord, l’initiative de la révision est accordée concurremment à l’exécutif (Président de la République sur proposition du Premier ministre) et aux parlementaires. Ensuite, le texte doit être voté par les deux chambres en termes identiques. Enfin, le texte doit être adopté par référendum ou par le Congrès si le chef de l’État en décide ainsi et dans la seule hypothèse d’un projet de loi constitutionnelle. Parmi les caractéristiques de la procédure de révision, c’est par conséquent l’obligation d’une adoption du texte en termes identiques qui aujourd’hui pose difficultés. Il n’est nullement possible de faire appel ici à l’article 45 de la Constitution et de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale puisque la procédure de révision instaure un bicamérisme parfaitement égalitaire afin que seul un consensus parlementaire puisse conduire à la modification de la Constitution. Dans ce cadre, l’exécutif est démuni car il ne dispose d’aucun outil constitutionnel pour contraindre les chambres et finaliser la procédure de révision.
À ce stade des débats, ce débâcle politique interroge. Certains craignent que les débats s’enlisent et que le référendum ne soit pas organisé avant la fin du quinquennat. Ils dénoncent alors une manipulation politique de la part du Président qui se sert des oppositions entre la droite sénatoriale et la majorité présidentielle pour ne jamais soumettre le texte à référendum sans porter la responsabilité de l’échec. D’autres estiment que le débat devrait dépasser les cercles parlementaires et revenir aux citoyens. Et en effet, la question climatique ne mérite-t-elle pas un débat de fond, avec des explications pédagogiques sur la portée des mots choisis, la valeur symbolique et juridique d’une révision constitutionnelle et sa conciliation avec les normes existantes (et notamment la Charte de l’environnement) ? Les débats actuels ne sont-ils pas un moyen de désavouer le travail réalisé par la Convention citoyenne pour le climat ? Enfin, n’est-ce pas le moment de dynamiser vraiment, voire même réinventer les outils de démocratie directe et de laisser le corps électoral trancher – pour la deuxième fois seulement depuis 1958 – sur l’intérêt de modifier la Constitution sur un sujet qui, globalement, fait consensus ? Les réponses apportées à ces questions sont importantes car soit elles témoigneront de la volonté de respecter et de responsabiliser les citoyens face aux choix de société, soit elles illustreront une nouvelle fois comment le jeu des partis politiques finit par freiner les avancées et désintéresser les citoyens de débats qui leur sont pourtant principalement réservés.
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