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[ 9 mai 2016 ] Imprimer

Réforme du droit de la responsabilité : à vos marques, prêts ? Critiquez !!!

Comme il l’avait fait pour celle du droit des contrats, de la preuve et du régime des obligations, le Gouvernement organise une consultation sur l’avant-projet de loi relatif à la réforme du droit de la responsabilité civile.

On se bornera, dans ce petit billet, à identifier quelques unes des innovations de ce texte, les unes constituant des innovations substantielles de notre droit, les autres méritant le label d’innovations culturelles. 

Au titre des innovations substantielles, sans souci d’exhaustivité, on retiendra, d’abord, que l’avant-projet met fin à la jurisprudence de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, initiée par un arrêt du 6 octobre 2006 (n° 05-13.255), en vertu de laquelle un tiers victime peut exercer une action en responsabilité délictuelle en prouvant uniquement que son dommage a été causé par un manquement contractuel. Il lui faudra désormais apporter la preuve que ce manquement constitue aussi à son égard un fait générateur de responsabilité extracontractuelle. On retiendra aussi que désormais les troubles anormaux du voisinage feront leur entrée dans le Code civil et constitueront, au même titre que la faute et le fait des choses, une clause générale. On remarquera, ensuite, que la responsabilité du fait d’autrui n’est pas appréhendée comme un fait générateur de responsabilité, mais, fort justement, comme un simple mode d’imputation du dommage causé par autrui ; en effet, il s’agit alors simplement de désigner celui qui aura à répondre d’un dommage causé par l’auteur direct du dommage. Dans le domaine des responsabilités du fait d’autrui, on relèvera qu’une dualité de régime est instaurée par l’avant-projet : dans le prolongement de l’arrêt Blieck (n° 89-15.231), la responsabilité des personnes chargées, par décision judiciaire ou administrative, d’organiser ou de contrôler le mode de vie d’un mineur ou d’un majeur placé sous sa surveillance, est une responsabilité sans faute ; en revanche, la responsabilité des autres personnes qui, en vertu d’un contrat, assument, à titre professionnel, une telle mission, est une responsabilité pour faute présumée. Quant à la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur, l’avant-projet tord le cou à une jurisprudence qui admettait que cette responsabilité pouvait être mise en jeu, indépendamment de la responsabilité personnelle de leur enfant. On notera, par ailleurs, non sans satisfaction que l’avant-projet dispose que la faute d’une personne sans discernement, dont on sait qu’elle peut emporter la mise en jeu de sa responsabilité personnelle à partir du moment où on considère que la faute est réduite à un simple acte illicite même si elle n’est pas imputable à son auteur, ne pourra plus lui être opposée pour réduire le montant de la réparation de son préjudice. Pour en terminer avec les innovations substantielles qui émaillent ce texte, on retiendra que les clauses de responsabilité sont désormais admises non seulement en matière de responsabilité contractuelle, ce qui n’est pas nouveau, mais aussi en matière de responsabilité extracontractuelle, ce qui l’est. Des exceptions et des tempéraments sont cependant apportés à ce principe général: ces clauses sont nulles quand elles sont relatives à la réparation du préjudice corporel ; de plus, en matière extracontractuelle, elles ne sont valables que dans les régimes de responsabilité sans faute et que si celui qui s’en prévaut prouve que la victime l'avait accepté expressément.  

               Quant au droit spécial de la responsabilité, entendons par là, les lois récentes d’indemnisation relatives aux accidents de la circulation et aux produits défectueux, on remarquera que celle-là fera son entrée dans le Code civil. A son propos, on relèvera, pour s’en réjouir, que l’avant-projet abolit toutes discriminations entre les catégories de victimes. Les victimes conductrices seront aussi bien traitées que les victimes non conductrices. Précisément, quand elles subiront un dommage corporel, elles pourront prétendre à sa réparation intégrale, indépendamment de leur faute, exception des cas dans lesquels elles auront commis une faute inexcusable, cause exclusive de l’accident.

               Après ces innovations substantielles, il est temps de s’arrêter sur des évolutions plus importantes qu’emporte cet avant-projet, raison pour laquelle on les baptisera d’innovations culturelles.

               Au premier rang d’entre elles, on retiendra la règle qui admet la cessation des troubles illicites, dont l’avant-projet consacre l’autonomie par rapport à la réparation et l’affranchit opportunément des notions de faute et de préjudice. On ajoutera qu’en intégrant la cessation de l’illicite dans ses dispositions, l’avant-projet ajoute aux fonctions traditionnelles de la responsabilité civile (réparatrice et sanctionnatrice), une fonction corrective tout à fait bienvenue. 

Autre innovation culturelle, en ce sens où elle emporte une modification de l’esprit de notre droit, la règle selon laquelle la réparation des dommages corporels relève exclusivement du domaine de la responsabilité extracontractuelle, même lorsqu’un tel dommage résulte d’un manquement contractuel. Sans doute faut-il voir dans cette règle, l’empreinte des fonctions radicalement distinctes de la responsabilité délictuelle (réparer le dommage injustement causé à autrui) et de la responsabilité contractuelle (fournir au créancier l’équivalent de l’avantage escompté du contrat), qui conduit une certaine doctrine à nier l’existence même de responsabilité contractuelle, et prédire la disparition des obligations de sécurité que le juge a successivement découvertes dans la majorité des contrats spéciaux depuis des décennies pour compléter le contenu du lien contractuel, sur le fondement de l’article 1135 du Code civil. On relèvera, par ailleurs, une importante ambiguïté qui procède de la lettre de l’article 1245, alinéa 1er du Code civil, qui dispose que « On est responsable du dommage causé par autrui dans les cas et aux conditions posées (sic !) par les articles 1246 et 1249 ». La question que l’on peut légitimement se poser, en raison de la rédaction de ce texte est celle de savoir si, désormais, le législateur aura le monopole de la création des cas de responsabilité du fait d’autrui, ou si le juge aura toujours une certaine marge de manœuvre dans ce domaine. 

Autre règle qui mérite le label d’innovation culturelle, celle aux termes de laquelle seule une faute lourde de la victime d’un préjudice corporel peut emporter une diminution de sa réparation ; elle démontre, en effet, l’importance essentielle du principe de l’intégrité physique dans notre ordre social, en renforçant très sensiblement la réparation intégrale du préjudice corporel. Paradoxalement, alors que la Cour de cassation a, depuis des années, résisté à la tentation de l’intégrer dans notre droit positif, l’avant-projet de réforme impose à la victime, en matière contractuelle seulement, l’obligation de modérer son propre dommage, quand elle pouvait prendre des mesures sûres et raisonnables, en ce sens, sans préciser que cette obligation, qui se traduit par une réduction des dommages-intérêts dus à la victime, est exclue quand lesdites mesures seraient de nature à porter atteinte à son intégrité physique. 

Toujours dans le domaine des effets de la responsabilité, une des mesures phares de l’avant-projet consiste dans l’admission d’une amende civile imposée à l’auteur d’un dommage qui a délibérément commis une faute lourde, laquelle, au regard de la lettre de l’article 1266 du Code civil, se confond parfois avec la notion de faute lucrative. Le pouvoir du juge n’est donc plus cantonné au prononcé de simples dommages-intérêts compensatoires. Il peut sanctionner l’auteur du dommage dans une mesure beaucoup plus importante que celle à laquelle conduit la seule évaluation du préjudice. Pour autant, le principe de la réparation intégrale du préjudice n’est pas rayé de la carte, puisque le montant de l’amende ne profitera pas à la victime, mais à un fonds de garantie ou au Trésor public… 

Pour conclure sur ces innovations culturelles, on relèvera qu’en matière de préjudice corporel lato sensu le pouvoir du juge ne sera plus souverain et sera désormais encadré par des nomenclatures et des barèmes. Le juge perdra donc en liberté, ce que les victimes gagneront en égalité en termes d’indemnisation.

Pour conclure, on constatera que l’avant-projet comporte une sous section intitulée « Règles particulières à la réparation des préjudices résultant d’un dommage environnemental ». Cette sous-section est…vide !!! Silence assourdissant, comme dirait l’autre… 

Références

■ Cass., ass. plén.,6 oct. 2006, n° 05-13.255 P, D. 2006. 2825, note G. Viney ; JCP 2006. II. 10181, obs. M. Billiau ; RDC 2007. 269, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2007. 123, obs. P. Jourdain.

Cass., ass. plén., 29 mars 1991, Blieck, n° 89-15.231, D. 1991. 324, note C. Larroumet ; ibid. 157, chron. G. Viney, obs. J.-L. Aubert ; RFDA 1991. 991, note P. Bon ; RDSS 1991. 401, étude F. Monéger ; RTD civ. 1991. 312, obs. J. Hauser ; ibid. 541, obs. P. Jourdain ; RTD com. 1991. 258, obs. E. Alfandari et M. Jeantin.

 

Auteur :Denis Mazeaud


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