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Réforme du droit des contrats, du régime des obligations et de la preuve : enfin !
Après 12 ans de tergiversations, de circonvolutions, d’atermoiements, d’avant-projets académiques ou gouvernementaux, cette fois ça y est : l’Ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a été publiée au Journal Officiel de la République Française le 11 février dernier.
Quels en sont les grands traits ?
En premier lieu, et pour l’essentiel, une immense entreprise de codification de notre droit positif, qui consiste à intégrer dans le Code civil des règles que la Cour de cassation a créées depuis plusieurs décennies dans le silence du Code, demeuré inchangé depuis plus de deux siècles. Sans souci d’exhaustivité, on peut à ce titre relever quelques une de ces règles qui font partie depuis des décennies de notre patrimoine contractuel et qui seront désormais gravées dans le marbre du Code. D’abord, au stade de la formation du contrat, l’obligation précontractuelle d’information, le régime de la négociation du contrat, notamment la sanction de la rupture déloyale de celle-ci, le régime de l’offre et de l’acceptation et celui du pacte de préférence, notamment la sanction de la violation du pacte par le promettant. Ensuite, sont codifiées nombre de règles que la Cour avait crées en matière de formation du contrat. D’une part, en ce qui concerne les conditions de fond, on retrouvera désormais dans le Code civil, celle qui exclut l’influence de l’erreur sur les motifs ou sur la valeur sur la validité du contrat, de même que celle qui exclut pareille influence lorsque l’errans avait accepté l’existence d’un aléa sur une qualité de la prestation expressément ou tacitement convenue et en considération de laquelle les parties avaient contractées ; de même, trouveront place dans le Code les règles selon lesquelles l’erreur provoquée par un dol emporte la nullité du contrat, même si elle porte sur la valeur ou les motifs, le dol rend toujours l’erreur excusable et la nullité pour réticence dolosive. Sont aussi introduits dans le Code des règles jurisprudentielles sur la capacité qu’il ne contenait pas, par exemple celle selon laquelle l’incapable peut accomplir seul les actes courants autorisés par la loi ou l’usage conclus à des conditions normales. D’autre part, en ce qui concerne les conditions de forme, le principe du consensualisme, c’est-à-dire la liberté de la forme, sera intégré dans le Code. Par ailleurs, le Code contiendra désormais un régime étoffé de la nullité que la Cour de cassation avait ciselé dans ses arrêts, au fil des décennies. Au stade, en outre, des effets du contrat, le Code accueillera les règles sur la durée du contrat, question pratique importante totalement ignorée par celui-ci. Quant à la phase, enfin, de l’inexécution du contrat et de ses sanctions, le principe de l’exécution forcée en nature, affirmé depuis plusieurs décennies par la Cour de cassation en dépit de l’article 1142 (version 1804) sera incorporé dans le Code civil, de même que sera généralisée l’exception d’inexécution.
Dans une moindre mesure, en second lieu, l’Ordonnance emporte des modifications de notre droit positif. Des modifications substantielles, d’une part. D’abord, au stade la formation du contrat, on retiendra que la date de formation du contrat est désormais fixée à celle de la réception de l’acceptation, que, contrairement à un récent arrêt du 25 juin 2014 (Civ. 1re, n° 13-16.529), lorsqu’une offre a été émise avec un délai express d’acceptation, le décès de l’offrant emporte la caducité de cette offre, et que, revenant sur une jurisprudence inaugurée en 1993 (Civ. 3e, 15 déc. 1993, n° 91-10.199) et très contestée, la sanction de la violation d’une promesse unilatérale de contrat par le promettant est la formation forcée du contrat et non plus la seule responsabilité du promettant. Au stade de la validité du contrat, ensuite, on retiendra que le Code accueillera une série de règles qui constituent une théorie générale de la représentation, quelle que soit sa source, légale, judiciaire ou contractuelle. On saluera aussi l’entrée dans le Code d’une nouvelle sanction : la caducité et la prise en compte à son sujet du phénomène des ensembles contractuels, à travers la règle qui dispose que lorsque deux contrats sont économiquement interdépendants, la disparition de l’un peut emporter la caducité de l’autre. En outre, quant à la phase d’efficacité du contrat, on retiendra la création de nouvelles règles d’interprétation : la première dispose que lorsque la commune intention des parties ne peut pas être décelée, le contrat s’interprète dans le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation ; la seconde intègre, elle aussi, l’idée d’interdépendance économique de contrats conclus en vue d’une opération économique, laquelle sera alors prise en compte pour les interpréter. Au stade des sanctions de l’inexécution du contrat, on relèvera d’importantes nouveautés avec notamment un encadrement plus strict de la résolution unilatérale, l’admission de l’exception d’inexécution anticipée et l’apparition de la réduction unilatérale du prix, règles qui sont les unes et les autres des déclinaisons de l’impératif d’efficacité économique du droit. Des modifications parfois plus spectaculaires que réelles de notre droit positif doivent, d’autre part, être soulignées. D’abord, la suppression de la cause ; mais si le mot disparaît, ses fonctions essentielles demeurent, donc l’honneur est sauf… Ensuite, on retiendra que la règle de la fixation unilatérale du prix qui, depuis 1995 (Cass., ass. plén., 1er déc. 1995 n° 91-15.578, 91-15.999, 93-13.688, 91-19.653), était le principe en droit positif, redevient une exception et est cantonnée aux seuls contrats-cadre ; la tradition civiliste a donc repris le dessus sur l’impératif d’efficacité économique du droit, à cet égard. En outre, on relèvera l’admission de la renégociation, de la résiliation et même de la révision judiciaire pour imprévision, ce qui, a priori, constitue une véritable révolution de notre droit positif, à ceci près qu’une clause contraire peut évincer tout le nouveau mécanisme ; il s’agit donc plutôt d’une modification en trompe l’œil… Enfin, est ajoutée une nouvelle exception au principe de l’exécution forcée en nature, expression du principe de la parole donnée aux termes duquel la parole contractuellement donnée a une telle valeur qu’elle n’a pas de prix ; le débiteur pourra, en effet, désormais se libérer en versant des dommages-intérêts au créancier lorsque l’exécution forcée en nature emporterait une disproportion manifeste entre son coût pour celui-là et son intérêt pour celui-ci.
En troisième lieu, certaines dispositions de l’Ordonnance emportent une véritable révolution contractuelle. Révolution structurelle, d’une part, avec l’insertion de « principes directeurs », même si ce label ne leur a pas été accordé formellement : au titre des dispositions liminaires, coiffant toutes les autres règles nouvelles, figurent la liberté, la sécurité (ancien art. 1134, alinéa 1) et la bonne foi contractuelle. Principes dont l’avenir nous dira, surtout en ce qui concerne le devoir de bonne foi si le juge les exploitera sans retenue en raison de leur rang ou s’il fera preuve de modération. Révolution culturelle, d’autre part, avec l’apparition dans le Code civil de la figure du contrat d’adhésion, défini comme celui dont les conditions générales n’ont pas été librement négociées et ont été unilatéralement déterminées. Manifestement, avec l’intrusion du contrat d’adhésion, se produit une rupture avec la figure du rapport contractuel véhiculé par le Code de 1804, à savoir celle d’une relation en tête à tête nouée entre deux contractants libres et égaux, réputés les meilleurs défenseurs de leurs propres intérêts et qui, en tant que tels, doivent donc assumer la responsabilité de leurs engagements. Avec le contrat d’adhésion, le parfum du droit de la consommation se diffuse dans le Code civil : le contrat, standardisé et conçu à grande échelle, est appréhendé comme un rapport de forces entre un contractant dominant qui tient seul la plume lors de la rédaction du contrat, d’autant plus qu’il s’agit de contrats « prêt à porter » et plus de contrats « sur mesure », et un contractant faible qui n’est pas en mesure de négocier le contenu du contrat, du-moins ses conditions générales. Au titre des déclinaisons de cette figure contractuelle révolutionnaire, du moins à l’aune du Code civil, on retiendra d’abord la consécration de la violence économique à laquelle la Cour de cassation avait déjà ouvert la voie, mais il est désormais précisé que l’abus de dépendance doit se traduire par un avantage excessif, ce qui ouvre fatalement au juge un contrôle sur l’équilibre contractuel. Autre déclinaison du contrat d’adhésion, ensuite, la règle spectaculaire et très critiquée, parce qu’elle est une réplique du Code de la consommation dont l’esprit infecterait celui qui devrait animer le Code civil et emporterait la ruine de la sécurité juridique, qui permet au juge de réputer non écrite les clauses abusives. Enfin, une nouvelle règle d’interprétation s’inscrit dans la logique du contrat d’adhésion : celle qui dispose que dans le doute sur la commune intention des parties ou sur le sens qu’une personne raisonnable donnerait au contrat, le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé.
Quelles seront les conséquences de cette réforme tant attendue ? Faites vos jeux, rien ne va plus ou tout va bien, c’est selon !!!
Références
■ Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 13-16.529 P, D. 2014. 1574, note A. Tadros ; ibid. 1715, chron. I. Darret-Courgeon et I. Guyon-Renard ; ibid. 2015. 529, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; AJ fam. 2014. 509, obs. C. Vernières ; RTD civ. 2014. 877, obs. H. Barbier.
■ Civ. 3e, 15 déc. 1993, n° 91-10.199 P, D. 1994. 507, note F. Bénac-Schmidt ; ibid. 230, obs. O. Tournafond ; ibid. 1995. 87, obs. L. Aynès ; AJDI 1994. 384 ; ibid. 351, étude M. Azencot ; ibid. 1996. 568, étude D. Stapylton-Smith ; RTD civ. 1994. 584, obs. J. Mestre.
■ Cass., ass. plén., 1er déc. 1995 n° 91-15.578 P, 91-15.999 P, 93-13.688 P, 91-19.653 P, D. 1996. 13, concl. M. Jeol, note L. Aynès ; ibid. 1998. 1, chron. A. Brunet et A. Ghozi ; RTD civ. 1996. 153, obs. J. Mestre ; RTD com. 1996. 316, obs. B. Bouloc ; ibid. 1997. 1, étude M. Jeol ; ibid. 7, étude C. Bourgeon ; ibid. 19, étude C. Jamin ; ibid. 37, étude T. Revet ; ibid. 49, étude D. Ferrier ; ibid. 67, étude M. Pédamon ; ibid. 75, étude P. Simler.<ins cite="mailto:Me%20de%20GAUDEMONT" datetime="2016-02-15T11:35"></ins>
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