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[ 19 avril 2022 ] Imprimer

Réforme du RSA : une campagne présidentielle inutile

Dans le cadre d’une campagne présidentielle déroutante, peu de thèmes précis ont émergé dans le champ social. L’une des mesures les plus débattues a été celle formulée par Emmanuel Macron concernant le Revenu de solidarité active (RSA). Il annonce dans son programme présidentiel vouloir « renforcer les droits et devoirs » en conditionnant le RSA à une « activité effective qui permet linsertion ». Il a pu préciser au cours des meetings électoraux que les bénéficiaires auraient « l'obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine pour une activité permettant d'aller vers l'insertion professionnelle ».

La proposition pourrait paraître marquée d’une certaine évidence : dès sa création en 1988, le RMI, ancêtre du RSA, donnait une place importante à des activités d’insertion, et la création du RSA en 2008 était marquée par la volonté de donner une place accrue au retour à l’activité en incitant fortement à la reprise d’emploi, notamment par le cumul facilité entre les revenus du travail et le RSA. La sortie de la précarité implique de favoriser le retour à l’activité professionnelle. Le moins que l’on puisse dire est que le thème n’a pas manqué d’être mobilisé au cours des campagnes électorales depuis 25 ans : déjà le thème de la « réorientation de l’assistance vers le travail » était porté par Jacques Chirac, tandis que Nicolas Sarkozy avait insisté, dans sa campagne de 2012, sur la lutte contre l’assistanat.

Depuis, le débat sur les minima sociaux avait pris une nouvelle tournure : en 2016, l’efficacité insuffisante du RSA avait conduit à distinguer l’octroi du revenu minimum et l’incitation à la reprise d’emploi par le biais de la prime d’activité. Le RSA exige cependant une démarche active. L’article L. 262-28 du Code de l’action sociale et des familles énonce que le bénéficiaire « est tenu, lorsqu'il est sans emploi ou ne tire de l'exercice d'une activité professionnelle que des revenus inférieurs à une limite fixée par décret, de rechercher un emploi, d'entreprendre les démarches nécessaires à la création de sa propre activité ou d'entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle ». La perception du revenu est cependant dissociée de l’exercice d’une activité : c’est seulement une « démarche » de retour vers l’emploi qui est imposée. L’évolution proposée conduirait donc le demandeur d’emploi à devoir systématiquement fournir un travail, dont les modalités n’ont pas été précisées.

La proposition paraît doublement décevante. En premier lieu, parce qu’elle paraît ignorer les évolutions connues par les politiques sociales depuis 20 ans, qui ont conduit à considérer que les difficultés dans le retour à l’emploi ne proviennent que marginalement d’un manque de volonté de travailler des bénéficiaires, mais d’une série de contraintes matérielles (éloignement des lieux d’emploi, garde d’enfants, horaires incompatibles) et sociales (insuffisance du niveau de formation, marginalisation, etc.). Le retour en activité est en lui-même compliqué et exige la mobilisation de nombreux acteurs en vue de la création d’activités nouvelles et de formes d’emploi adaptées, comme cela est expérimenté dans le cadre de l’expérimentation « territoire zéros chômeurs de longue durée ». En présentant la mise en activité comme une simple question de contrepartie aux minima sociaux, le projet paraît ignorer les conditions de la réussite du retour vers l’activité : nul ne pourra ignorer les difficultés concrètes auxquels sont confrontés les publics éloignés de l’emploi.

En second lieu, la proposition paraît désormais abandonner l’ambition de créer un revenu universel. Face au développement de la pauvreté et à la redoutable complexité des aides octroyées aux personnes dans le besoin, le gouvernement s’était engagé la création d’un revenu universel d’activité, qui avait donné lieu à une concertation en 2019, mais ne put être mené à bien à la fois en raison du contexte de la pandémie de Covid-19 et des incertitudes soulevées sur le montant d’un revenu universel et de la détermination des aides qu’il permettrait de fusionner. L’Assemblée nationale avait ensuite appelé à ce que soit engagé un débat public sur un « socle citoyen » qui permettrait de mettre en place un tel revenu universel. Le projet porté par Emmanuel Macron s’avère moins ambitieux désormais : il se prononce pour un octroi automatique des différentes aides sociales, permettant d’éviter que les bénéficiaires ignorant leurs droits puissent bénéficier d’une protection.

Les multiples fragilités subies par une partie de la population, révélées par la crise des « gilets jaunes », puis par les difficultés connues pendant la pandémie, risquant de s’amplifier si une nouvelle crise économique se produisait, montrent pourtant qu’il faudrait envisager une réforme plus ambitieuse du RSA afin de protéger de manière plus efficace les personnes les plus exposées, et améliorer l’accompagnement de ces publics. La proposition présentée par Marine Le Pen paraît de son côté encore plus incapable de répondre aux défis sociaux du moment puisqu’elle se contente de conditionner le RSA aux étrangers ayant travaillé au minimum 5 ans à temps plein en France, posant par ailleurs une difficulté majeure au regard de l’interdiction des discriminations fondées sur la nationalité.

Références :

■ Loi n° 2020-1577 du 14 déc. 2020 relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée.

■ Ministère des Solidarité et de la santé, Revenu universel dactivité : la concertation, v. ici.

■ Assemblée nationale, Proposition de résolution relative au lancement dun débat public sur la création dun mécanisme de revenu universel appelé socle citoyen, n° 3476, déposé(e) le 23 oct. 2020, v. ici.

■ Assemblée nationale, Résolution, n° 508, adoptée le 26 nov. 2020, v. ici.

 

Auteur :Frédéric Guiomard


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