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Réformer l’enseignement supérieur : trop c’est trop…
La période électorale n’y est pour rien. La réforme de l’enseignement supérieur est l’objet d’un débat récurrent. Que devrait-être l’Université du 21ème siècle et, spécialement, pour les Facultés de droit que seront les juristes de demain (V. Rapport sur l’enseignement du droit à la lumière des expériences étrangères, Club des juristes, à paraître en 2017) ?
Laissons de côté ces aspects académiques et pédagogiques pour nous concentrer sur la seule question de la gouvernance et des structures de l’enseignement supérieur. Que ce soit au sein des programmes de certains candidats ou dans certains projets de décret, les propositions laissent perplexe. Pour ne prendre que deux exemples, au titre des programmes, peut être citée la proposition d’Emmanuel Macron de supprimer le CNU ; au titre des projets, peut être évoqué l’étrange projet de décret de Madame Najet Vallaud-Belkacem et de Monsieur Thierry Mandon concernant la procédure de mutation des enseignants-chercheurs. Ces deux propositions, si elles devaient aboutir, porteraient une atteinte considérable à l’indépendance des enseignants-chercheurs et à la protection de leur carrière.
Un programme – En premier lieu, Monsieur Emmanuel Macron, interrogé sur sa « vision » de la réforme de l’enseignement supérieur, a fait part de son intention de supprimer le CNU et d’attribuer ses compétences aux Universités. Il entend donner aux universités une « autonomie réelle » et procéder à une « libération de l’énergie » : « nous donnerons aux universités et aux grandes écoles la liberté de recruter eux-mêmes leurs enseignants-chercheurs suivant les standards internationaux de qualité et d’indépendance ». « Le président d'université sait mieux que quiconque quel est le bon professeur pour ses étudiants, il ne va pas recruter un « pas bon » du coin, d'autant qu'on mettra en place des garanties » ! Le flou règne sur les motivations et les modalités d’une telle substitution-suppression. Si l’autonomie des universités est un mouvement qu’il faut accompagner de réformes structurelles, ce n’est certainement pas en faisant disparaître une institution qui est, l’expérience le confirmant, un gage d’impartialité et d’objectivité dans le traitement des dossiers. Rappelons que les missions attribuées au CNU, divisé en sections selon les disciplines, sont nombreuses, parmi lesquelles la qualification des thèses de doctorat, la promotion des enseignants-chercheurs, l’attribution des primes de recherche scientifique, l’octroi de CRCT (congés recherches)… Attribuer ces prérogatives aux seules universités qui décideront « en interne » posera, d’une part, des difficultés matérielles insurmontables, d’autre part et surtout, des problèmes d’impartialité. L’apparence d’impartialité, ne l’oublions pas, est toute aussi importante que l’impartialité elle-même. Est-on certain qu’une décision prise au sein de l’Université qui aura les pleins pouvoirs sur les carrières d’universitaires dont l’indépendance est constitutionnellement protégée est la meilleure des solutions ? En outre, pourquoi une telle suspicion à l’égard d’une institution dont la qualité du travail fourni est régulièrement affirmée ? Espérons qu’il s’agit d’un simple discours de campagne et que le candidat comme d’autres avant lui prendra conscience de la dangerosité et de l’illégitimité d’une telle réforme.
Tout aussi grave et contradictoire est le projet de décret préparé par Madame Najet-Vallaud Belkacem et Monsieur Thierry Mandon qui envisage la suppression des comités de sélection pour les candidats enseignants-chercheurs à la mutation.
Un projet – En deuxième lieu, un projet de décret a été élaboré par le ministère de l’éducation nationale et le ministère de l’enseignent supérieur ayant pour objectif de modifier le décret statutaire de 1984 et de supprimer les comités de sélection pour le recrutement des enseignants-chercheurs à la mutation, pour les remplacer par un conseil académique (art. 4 du projet). Il s’agit de généraliser la procédure exceptionnelle introduite en 2014, à propos de la mutation des candidats au « rapprochement de conjoint ».
La réaction du milieu universitaire ne s’est pas faite attendre. En tout premier lieu, les sections 01, 02 et 03 du Conseil national des Universités ont adressé une lettre à Madame Najat Vallaud Belkacem et Monsieur Thierry Mandon, pour faire part de leur total désaccord.
Les inconvénients d’un tel comité interdisciplinaire sont nombreux : incompétence des membres de ce conseil académique, souvent composé d’une minorité d’enseignants-chercheurs appartenant à la spécialité du poste mis à la mutation ; suspicion illégitime pesant sur les membres des comités de sélection actuels ; remise en cause de la légitimité d’une candidature examinée par ses pairs. Les comités de sélection sont composés de membres « choisis en raison de leur compétence, en majorité parmi les spécialistes de la discipline en cause » (C. éduc., art. L. 952-6-1) et demeure à ce titre le mode de sélection le plus juste et le plus pertinent. Différencier le recrutement « classique » et la mutation pourrait en outre être analysé comme une violation du principe d’égal accès aux emplois publics (DDH, art. 6). Enfin, ce projet de décret, quel que soit le système choisi, met en doute l’intégrité des actuels comités de sélection qui opèrent pourtant le recrutement d’un collègue en fonction des besoins de la faculté et des qualités du candidat. Qu’y-a-t-il d’illégitime dans ce mode de recrutement ? Le localisme et l’absence de recrutement au mérite existent certes. Il serait naïf de le nier. Mais il ne faudrait pas que le mode de fonctionnement défectueux de certains comités préjudicie à l’ensemble de la communauté des enseignants-chercheurs.
Une solution intermédiaire pourrait alors consister à faire apprécier la candidature au recrutement, au détachement et à la mutation par un comité composé des seuls spécialistes de la discipline mais n’appartenant pas à la faculté d’accueil et désignés de manière impartiale par une instance du ministère de l’enseignement-supérieur. Cependant, encore une fois, matériellement une telle mesure serait ingérable pour le ministère, à moins de créer une instance nationale qui serait identique pour toutes les mutations. Mais alors, ironie du sort, ne serait-il pas opportun de confier cette mission à une structure déjà existante : le CNU ? Qu’on ne s’y trompe pas, cela n’est pas une proposition, que beaucoup de collègues pourraient ne pas partager, mais uniquement l’occasion de mettre en lumière les paradoxes voire les contradictions de nos chers hommes et femmes politiques.
Alors de programmes en projets pour l’enseignement supérieur, il y a un moment où les enseignants-chercheurs ont envie de crier : trop c’est trop !
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