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Remaniements ministériels : quelques leçons issues de la science politique et du droit constitutionnel
L'annonce, dimanche soir, de la constitution d'un nouveau gouvernement fait partie des figures traditionnelles de la Ve République autant qu'elle est une rupture avec les pratiques institutionnelles antérieures.
Depuis 1958, en effet, c'est de la volonté présidentielle, et pratiquement d'elle seule, que procède la constitution de ce gouvernement alors qu'elle était auparavant l'apanage des groupes politiques des Assemblées parlementaires et le produit des transactions qui pouvaient s'opérer entre eux pour constituer des coalitions.
Plus encore : alors que sous les IIIe et IVe République, la formation d'un nouveau cabinet était le produit de la chute du précédent qui avait fait l'objet d'un vote négatif devant les chambres, aujourd'hui, ce remaniement (même le terme est nouveau), n'est pas dicté par une nécessité constitutionnelle inhérente à la responsabilité politique, il est un choix politique et stratégique du chef de l'État. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les commentateurs n'ont de cesse, en auscultant les nominations, les départs, les promotions, d'essayer de deviner quelle est l'idée du chef de l'État, sa stratégie, son plan politique.
Justement, si l'on essaye de s'attacher à ces questions, on observera que le remaniement annoncé dimanche constitue une forme de continuité dans la Ve république, même si par certains aspects il s'éloigne des figures habituelles.
S'agissant des continuités on relèvera que le seul fait de changer de gouvernement est en soit une continuité : jusqu'à présent, septennat ou quinquennat compris, aucun président de la République n'a fait durer un gouvernement pendant l'intégralité de son mandat. Continuité également en ce que la composition nouvelle du gouvernement n'est finalement pas très éloignée de l'ancienne, car le changement de gouvernement de manière générale n'appelle pas un renouvellement considérable du personnel politique : s'il marque une nouvelle étape, il ne peut pas se présenter comme un coup de balai sur le passé, sauf à discréditer ce qui a été fait jusque-là.
S'agissant des ruptures, on constatera en revanche, sans injurier l'avenir, que c'est la première fois qu'un président de la République conserve un Premier ministre pendant l'entière durée de son mandat.
Jusqu'à présent la figure traditionnelle était plutôt d'une série de deux Premiers ministres. Souvent d'ailleurs ces deux personnages successifs étaient censés marquer deux périodes de l'action du président soit dans l'ordre « Premier ministre de projet/Premier ministre de gestion », soit le contraire. Pour la première possibilité on se rappelle les couples suivants : Chaban Delmas et Messmer pour le président Pompidou, Rocard et Bérégovoy pour le second septennat de François Mitterrand, voire Pompidou et Couve de Murville pour le Général De Gaulle. Pour la seconde, Pierre Mauroy/Laurent Fabius entre 1981 et 1986, Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin entre 2002 et 2007 sont parfaitement illustratifs.
Dans notre hypothèse nouvelle, c'est la même personne qui est censée marquer ces deux étapes, le passage de l'ouverture au « coup de barre à droite » se traduisant par l'éviction de tous les ministres d'ouverture, voire des centristes les plus influents, à l'exception remarquable du seul Éric Besson dont la loyauté et l'opiniâtreté ont fait plus qu'un ministre d'ouverture.
Il s'agit sans doute ici d'une des conséquences du quinquennat : autant il semble difficile de garder un même Premier ministre pendant 7 ans (seul Georges Pompidou eut cette longévité), autant cela est beaucoup plus envisageable pour une durée de cinq ans.
Bien plus même, dès lors que le président de la République doit, presque à la mi-mandat, se préoccuper de préparer sa réélection, il est sans doute plus opportun pour lui de finir d'user une ancienne équipe plutôt que de faire émerger de nouvelles figures politiques potentiellement rivales. La phrase prononcée par Nicolas Sarkozy en 2007, sur le fait que le Premier ministre serait son collaborateur, prend alors tout son sens : ce personnage n'incarne plus par lui-même une politique dès lors il n'est pas nécessaire de le changer pour changer de politique.
Ainsi, ce remaniement dans la continuité dessine sans doute des nouvelles formes pour la pratique institutionnelle future de la Ve République.
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