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Le billet
Rentrée universitaire : mon Code du travail est-il trop lourd ? #ArretonsDeToutSimplifier
« Code du travail : 1990 : 1 000 pages, 1 m de chômeurs, 2000 : 2 000 pages, 2 m de chômeurs, 2010 : 3 000 pages, 3 m de chômeurs ». L'assertion, formulée au cours de l'été par un dirigeant du Medef, revêt la beauté surréaliste d'un Tweet qui réécrit l'Histoire en 140 signes.
Sans revenir sur la corrélation manifestement erronée faite entre le volume du Code du travail et celui des travailleurs involontairement privés d'emploi (le nombre de chômeurs variant selon les cycles économiques à volume constant du Code du travail), cette formule fournit l'occasion de réfléchir un instant au volume des textes auxquels doit se confronter le juriste du travail.
L'augmentation de ce volume est une réalité.
En se gardant de confondre le volume des éditions commerciales du Code du travail (qui incluent bibliographies, annotations jurisprudentielles et textes annexes) et celle de la réglementation, on ne peut nier cette inflation, ne serait-ce que sur la période des trente dernières années, qui ont connu une accumulation impressionnante de lois, décrets et règlements en droit du travail. Avec 10 707 articles et 859 805 mots, le Code du travail est sans doute le plus volumineux de nos codes, bien davantage que le Code civil (2 802 articles, 178 783 mots) et légèrement plus que le Code de commerce (6 281 articles, 806 954 mots).
Au risque de surprendre, il faut cependant affirmer que cette abondance est, pour le juriste, une commodité plus qu'appréciable. Le droit du travail régit des situations très variées, appelant des textes adaptés, qui sont historiquement la raison majeure de la prolifération des normes. Nul doute que la sécurité dans une centrale nucléaire n'appelle pas les mêmes règles que celles qu'exige une PME dans le bâtiment. Certaines exigences adaptées à la capitale ne pourront seoir à Saint Pierre et Miquelon, qui peut s'en offusquer ?
La codification telle qu'elle est conçue en droit du travail, comme dans beaucoup de droits spécialisés, a pour vertu première de permettre une compilation fiable des textes applicables à son domaine, permettant à tout un chacun de les retrouver facilement.
Cette foison reflète la complexité des questions en jeu dans les relations de travail : le droit du travail ne se contente pas de réglementer l'usage d'un contrat, il construit son environnement institutionnel, reconnaît une place pour les collectifs, encadre l'exercice du pouvoir de l'employeur, protège un certain nombre de droits fondamentaux, régit les services publics intervenant dans son champ, précise certaines règles sur l'organisation des entreprises et régule la concurrence entre elles, adapte la législation aux secteurs d'activité ou aux horizons géographiques.
Loin de se résumer à des normes protectrices des salariés, les règles du droit du travail remplissent des fonctions variées, exigeant souvent des compromis subtils et des combinaisons d'intérêts acrobatiques. Le législateur s'est efforcé en 2008 de dépoussiérer ces textes, de les simplifier autant qu'il était possible, par une grande opération de recodification. S'il est parvenu à mieux ordonner les règles, il n'a pas réussi à en réduire significativement le volume, signe sans doute de la difficulté de la tâche.
Il reste qu'on aura compris que les propos des dirigeants du Medef ne visent pas vraiment le volume de la législation du travail, mais s'inscrivent dans un mouvement de contestation de la « législation protectrice de l'emploi » portée par un certain nombre d'économistes, et prolongent l'offensive menée par le patronat en vue d'une simplification du droit du travail. Le débat n'a rien donc à voir avec le volume de la législation. Pour preuve, les textes récents tels que la loi de sécurisation sur l'emploi du 14 juin 2013, fidèles aux vœux des partenaires sociaux, ont encore augmenté significativement le volume du Code du travail. Dérégulation et amaigrissement du Code du travail ont souvent été antinomiques.
Derrière les assertions du Medef, se posent des questions importantes sur l'évolution de la législation du travail : quel équilibre construire entre la protection des travailleurs et le développement de l'emploi ? quelle simplification opérer de la législation pour qu'elle soit plus accessible et plus intelligible ? quelle place doit-on reconnaître au pouvoir de l'employeur au nom de l'efficacité économique ? quelles limites fixer à son exercice ? Autant de débats auxquels nous n'échapperons pas, mais qui ne pourront être réduits à de stériles pépiements (Tweets en anglais) à propos d'un volume de papier.
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