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Le billet
Représentants de proximité : une mise en place encadrée
L’ordonnance du 22 septembre 2017 a permis, avec la création des Comités sociaux et économiques, une refonte complète des institutions représentatives élues dans l’entreprise. Fort débattu quant à sa portée, ce texte permet un équilibre subtil entre la place laissée aux entreprises pour structurer la représentation du personnel selon leurs intérêts, et l’ouverture de nouveaux espaces de négociation collective afin de permettre aux partenaires sociaux d’adapter les instances et leurs attributions aux particularités de l’entreprise.
Un arrêt rendu le 1er juin 2023 par la Cour de cassation concernant la représentation au sein de la SNCF permet de fournir d’utiles éclaircissements sur la manière d’envisager cet équilibre. La SNCF, comme de très nombreuses entreprises, avait profité de la réforme de 2017 pour restreindre sensiblement la place faite à la représentation collective : elle a décidé de centraliser considérablement son dialogue social, en passant de 3 000 à moins de 800 représentants. En application des articles L. 2313-2 et suivants du Code du travail, l’entreprise ferroviaire avait ouvert une négociation collective, mais, faute d’accord, elle avait unilatéralement fixé le nombre et le contour des établissements distincts. Les recours devant l’administration du travail et le tribunal judiciaire pour les contester furent rejetés.
Mais cette centralisation sans doute excessive de la représentation du personnel posa rapidement des difficultés à l’entreprise, comme à de nombreuses autres, privant l’entreprise du relais des représentants du personnel au niveau local afin de faire connaître les difficultés rencontrées au quotidien. Aussi un certain nombre d’établissements décidèrent-ils, par accord collectif, de créer des représentants de proximité au niveau local afin de favoriser une représentation au plus proche des intérêts des salariés, ce qui fut contesté ensuite par différents syndicats au niveau de l’entreprise, au motif que de tels accords ne sont que de la compétence de l’accord d’entreprise, mais non de l’établissement. La Cour de cassation se rallie à cette interprétation. En effet, l’article L. 2313-7 du Code du travail qui détermine la mise en place des représentants de proximité, ne renvoie qu’à « l’accord d'entreprise défini à l'article L. 2313-2 » et ne mentionne nullement l’accord d’établissement. Il en résulte, selon la Cour, que seul un accord conclu au niveau de l’entreprise peut instituer de tels délégués, à l’exclusion de tout accord d’établissement.
La rédaction des textes permet sans doute de conforter cette lecture des textes, de même que les rares explications fournies par le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale. On aurait cependant aimé, conformément au souhait d’un enrichissement de la motivation des décisions de justice, que la Cour livre plus qu’une sèche interprétation littérale du texte : le choix s’impose-t-il réellement dans le nouveau contexte normatif, qui donne aux partenaires sociaux une marge considérable pour aménager les contours et les attributions des institutions représentatives ? La raison profonde ne serait-elle pas plutôt de garantir le respect du principe d’égalité face à la représentation collective comme le suggérait le pourvoi ? La Cour de cassation n’en dira rien.
Si l’interprétation donnée est en parfaite cohérence avec les textes, on pourra s’interroger sur la cohérence d’ensemble de notre Code du travail sur la place laissée à la négociation collective dans la mise en place et la détermination des attributions des institutions représentatives du personnel : la négociation collective est parfois exigée au niveau de l’entreprise entière (comme indiqué dans l’arrêt commenté pour la mise en place du représentant de proximité), alors que d’autres fois la négociation collective peut être dépassée par la possibilité de recourir à une décision unilatérale (accord sur le nombre et les contours des établissements distincts), ou encore par des accords au sein du CSE (accord sur la périodicité et le contenu de la consultation du CSE, L. 2312-19). Ne faudrait-il pas affirmer plus clairement que la place nouvelle reconnue à l’autonomie collective depuis 2017 ne peut s’exercer que dans un espace encadré par la seule négociation collective, et que, sauf exception, celle-ci devrait se réaliser au niveau de l’entreprise tout entière, faute de quoi le droit à la participation pourrait être fortement écorné dans les espaces de travail où les représentants du personnel peinent à s’implanter ?
La démarche, bien que peu explicite, de la Cour de cassation, mérite en conséquence d’être approuvée, et il faut sans doute s’attendre à un certain nombre de décisions par la suite qui vont s’efforcer de cantonner autant qu’il est possible la négociation d’établissement, la décision unilatérale ou les décisions adoptées au sein du CSE.
Cette pluralité mal ordonnée des sources devrait conduire à mieux réfléchir à la place qui peut être faite au « self-service normatif » dans l’organisation de la représentation du personnel. Les ordonnances de 2017 ont malmené une dimension essentielle du droit à la participation : la garantie d’un lien étroit entre les représentants et les représentés, qui exige que des règles impératives, tant pour la mise en place de ces instances que pour la détermination des attributions minimales qui leur sont confiées : la négociation collective ne saurait qu’être une source d’aménagement des droits et non du choix de les mettre en œuvre.
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