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Responsabilité financière des gestionnaires publics : tous justiciables…
Avec le nouveau régime de responsabilité financière mis en place au 1er janvier 2023, une certaine crainte d’être sanctionné par la chambre du contentieux de la Cour des comptes a gagné les gestionnaires publics.
Il est vrai que jusqu’alors, le risque d’être condamné par la Cour de discipline budgétaire et financière était, pour ainsi dire, inexistant : avec 264 arrêts rendus en 75 années d’activité, on peut considérer que la probabilité d’avoir à se justifier devant cette juridiction financière était résiduelle.
C’est désormais la Cour des comptes qui est chargée de sanctionner ces gestionnaires. Ce faisant, la procédure en elle-même donne à ce régime de responsabilité financière un éclairage nouveau qui en lui-même, est déjà de nature à attiser les craintes de ces gestionnaires. Il convient d’y ajouter les incidences de la jurisprudence financière en construction depuis début 2023. La quinzaine de décisions rendues à ce jour dévoile, très clairement, que le champ des justiciables s’entend largement. Certes, sur le papier, des restrictions ont été imposées :
Les ministres ne sont responsables devant la Cour des comptes qu’en cas de gestion de fait ;
Les élus locaux ne le sont qu’en cas d’inexécution d’une décision de justice ; lorsqu’ayant fait usage de leur pouvoir de réquisition, ils ont accordé à autrui, à eux-mêmes ou à une personne morale, un avantage injustifié ; en cas de gestion de fait.
Se trouvaient ainsi reproduites, les exceptions qui avaient déjà caractérisé le régime de responsabilité financière appliqué par la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) et qui avaient déjà été dénoncées en tant que telles. Il apparaissait, en effet, difficile d’expliquer pourquoi ces gestionnaires pouvaient ainsi échapper à la compétence de la CDBF…
En reprenant ce champ des justiciables, le nouveau régime de responsabilité financière encourait ainsi les mêmes reproches.
Indépendamment, ce nouveau régime laissait également entrevoir la possibilité d’aller rechercher (sous réserve de ces exceptions précitées) la responsabilité des différents acteurs de la chaîne d’exécution budgétaire en identifiant, au plus près possible des concernés, les niveaux de responsabilité. Alors que trop souvent, le comptable pouvait être ciblé au principal, la mise en place d’un régime de responsabilité financière unifié, offrait à la Cour des comptes, la possibilité d’affiner son approche en termes de responsabilité.
On ne sera donc pas étonné de constater que sur ces deux premières années d’application de ce nouveau régime de responsabilité financière, la chambre du contentieux de la Cour des comptes a ciselé sa jurisprudence et démontré que chacun pouvait avoir à justifier devant elle, de sa gestion.
Il est d’ailleurs possible d’y voir une véritable stratégie de sa part. Alors que très clairement, ses moyens limités vont peser sur son niveau d’activité, il est important de démontrer qu’aucun gestionnaire ne doit se sentir à l’abri d’une intervention possible du juge financier.
Cette démonstration est faite, jurisprudences à l’appui.
Ainsi, il est possible de relever la variété des profils sanctionnés par le juge financier :
- Responsabilité d’une attachée d’administration hospitalière pour inexécution d’une décision de justice (C. comptes, 10 juill. 2023, n° S-2023-0858, Centre hospitalier de Sainte-Marie, Guadeloupe) ;
- Responsabilité de l’adjoint au payeur général d’un département – victime d’une escroquerie par détournement d’un dispositif de nantissement (C. comptes, 3 mai 2024, n° S-2024-0715, Département de l’Eure) ;
- Responsabilité de l’adjoint au directeur des affaires financières – pour les mêmes faits (préc. Département de l’Eure) ;
- Responsabilité du secrétaire de mairie – qui plus est d’une petite commune, pour défaut de déclaration de sinistres à un assureur (C. comptes, 7 oct. 2024, n° S-2024-1305, Commune de Sainte-Eulalie-en-Born) ;
- Responsabilité du trésorier d’une association – notamment pour avoir payé des dépenses d’une petite commune, sans lien avec l’objet de l’association (C. comptes, 10 oct. 2024, n° S-2024-1311, Commune de Felleries)
Et alors que le nouveau régime de responsabilité financière avait repris les exceptions, en termes de justiciabilité, appliquées devant la CDBF, la chambre du contentieux a entendu exploiter les quelques exceptions à sa disposition, pour rechercher la responsabilité d’élus locaux :
- Responsabilité d’un maire pour inexécution d’une décision de justice (C. Comptes, 31 mai 2023, n° S-2023-0667, Commune d’Ajaccio) ;
- Responsabilité du président d’un département – versement d’une indemnité à sa principale collaboratrice d’un montant excédent ce qui pouvait être accordé (C. comptes, 3 mai 2024, n° S-2023-0723, Département de la Haute-Saône) ;
- Responsabilité d’un maire reconnu comptable de fait d’opérations de recettes et dépenses réalisées dans un cadre associatif (Préc. Commune de Felleries).
En quelques décisions, la chambre du contentieux a planté le décor : chacun, à son niveau, est redevable des fonds mis à sa disposition ; quel que soit son positionnement dans la chaîne d’exécution des opérations de dépenses et de recettes ; qu’il y ait ou non délégation de pouvoir ou de signature ; quel que soit l’importance de l’organisme concerné, en termes de budget, de démographie… quel qu’en soit l’intérêt retiré, quelle qu’en soit l’incidence financière.
Il faut supposer qu’au terme de ces premières années d’activité, la Cour des comptes aura été en mesure d’établir un large éventail des profils de responsabilité. Ce faisant, elle aura atteint un objectif important : alors que le risque de se retrouver devant le juge financier est limité, du fait de ses faibles capacités d’intervention, il n’en est pas moins réel. Et chacun doit en être convaincu.
Le tableau ne sera toutefois totalement complet que le jour où la Cour des comptes aura condamné un ministre pour gestion de fait.
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