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RIC ou RIP ?
Depuis plusieurs semaines désormais, le droit constitutionnel confirme qu’il est bel et bien indispensable aux citoyens pour « lire » la société. Alors qu’une partie du peuple français ressent le besoin de s’exprimer et réclame à ce titre l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC), la classe politique et plusieurs personnalités se montrent réticentes face à cette proposition et lui préfèrent le référendum d’initiative « parlementaire » ou « partagée » (RIP). Prévu à l’article 11 de la Constitution depuis 2008, il n’a cependant jamais été mis en œuvre. Profitons du débat pour comprendre pourquoi et noter la nuance entre le « C » et le « P ».
La Constitution de 1958 prévoit un référendum constituant (art. 89) et un référendum législatif (art. 11) permettant au corps électoral d’adopter respectivement une loi constitutionnelle pour réviser la Constitution ou un projet de loi (et aussi un référendum local (art. 72-1) et une consultation locale sur les projets ayant un impact sur l’environnement (ordonnance du 21 avril 2016). En dépit des attentes des constituants, le recours au référendum a été très limité. On ne compte en effet que neuf référendums en 1958 dont un seul constituant en 2000.
La procédure prévue à l’article 11, dans sa version d’origine, se voulait pourtant simple afin de renforcer le poids du peuple venant concurrencer le rôle du Parlement.
Depuis son origine, l’alinéa premier prévoit que l’initiative du référendum législatif appartient au Président de la République sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées parlementaires. Le dernier alinéa, quant à lui, précise que lorsque le corps électoral a adopté le projet de loi, « le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours suivant la proclamation des résultats de la consultation ». L’objet du projet de loi a été modifié à deux occasions (loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 et loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008) et peut porter sur « l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ». À partir de la révision de 1995, l’alinéa 2 a veillé à préserver l’expression du Parlement en précisant que lorsque le référendum est organisé à l’initiative de l’exécutif, le Gouvernement doit faire une déclaration devant les deux assemblées parlementaires suivie d’un débat.
Diverses raisons peuvent expliquer la réticence des exécutifs successifs à recourir au référendum : son caractère plébiscitaire dans l’histoire et plus spécifiquement sous la présidence de Charles De Gaulle mais aussi le détournement de la procédure lorsque les campagnes référendaires et le scrutin sont des espaces dont profitent les partis d’opposition pour critiquer le Gouvernement. Le corps électoral se sert alors du bulletin pour envoyer un message de mécontentement sans se soucier de la question posée. Enfin, et surtout, le référendum illustre le paradoxe d’une classe politique qui cherche sur le principe à tempérer les inconvénients d’un régime représentatif en y introduisant des mécanismes offrant la possibilité aux citoyens de participer à la vie politique mais qui, dans la réalité, ne veut surtout pas y recourir concrètement. Le référendum apparaît ainsi comme une concession des gouvernants qui espèrent que le peuple l’oubliera rapidement.
Bien que la révision du 23 juillet 2008 ait fait perdre au Président de la République le monopole en matière d’initiative référendaire, elle n’a pas changé la dynamique.
Depuis cette révision, les alinéas 3 à 6 de l’article 11 autorisent l’organisation d’un référendum « à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ». Il est intéressant de noter comment la classe politique qualifie ce nouveau référendum : le projet de loi constitutionnelle en 2008 présentait ce mécanisme comme un droit d’initiative populaire alors qu’aujourd’hui le Premier ministre évoque un référendum d’initiative partagée. Pourtant, à bien lire le texte et la procédure, il s’agit d’un référendum d’initiative parlementaire. Le « P » du RIP peut donc avoir plusieurs significations selon le caractère que l’on veut lui donner !
En effet, l’initiative appartient d’abord à un cinquième des parlementaires (185) qui déposent sur le bureau de leur assemblée une proposition de loi. Celle-ci va être transmise au Conseil constitutionnel qui va en vérifier la régularité (objet, nombre de parlementaires et respect de la Constitution). Ce n’est qu’après la validation du texte par le Conseil constitutionnel que le recueil des soutiens au sein du corps électoral va commencer (sous le contrôle du juge constitutionnel) pour une période de neuf mois. Les soutiens sont recueillis sous forme électronique et un soutien ne peut être retiré. Pour que la proposition de loi prospère, il faut qu’un dixième du corps électoral soutienne le texte soit tout de même 4, 57 millions d’électeurs. Si l’on considère que la pétition pour le climat visant à engager la responsabilité de l’État a recueilli un nombre de signature qualifié, par tous les observateurs, « d’exceptionnel » avec 1,6 millions de soutien, nous pouvons considérer qu’il sera quasiment impossible de soutenir une proposition de loi référendaire. En outre, en supposant que le nombre de soutien soit atteint, la proposition de loi doit être examinée par les deux assemblées dans un délai de six mois à compter de la décision du Conseil constitutionnel déclarant qu’un dixième du corps électoral a soutenu la proposition, puis le Président de la République la soumet au référendum. En cas de rejet de la proposition par le peuple, aucune nouvelle proposition de référendum ne peut intervenir sur le même sujet avant l’expiration d’un délai de deux ans après le scrutin.
Face à de tels seuils et à la complexité de la procédure (V. Const. 58, art. 11 et loi organique n° 2013-1114 du 6 décembre 2013, entrée en vigueur le 1er janv. 2015), on comprend que le peuple ne se contente pas d’un RIP et demande un RIC. Toutefois, et comme souvent hélas, des propositions sont lancées et ne sont pas ensuite analysées de manière complète et constructive. Le RIC en fait partie. On nous assène qu’il permettra au peuple de participer de manière active à la vie politique puisque ce sont les citoyens qui en seront à l’origine afin de demander l’adoption d’un texte (RIC législatif). Toutefois, pour d’autres personnes le RIC pourrait aussi être étoffé et permettre de demander l’abrogation d’un texte (RIC abrogatif) voire même la révocation d’un membre d’une institution ou d’un élu (RIC révocatoire). Il est ensuite évoqué un seuil de 700 000 soutiens qui obligerait l’Assemblée nationale à rédiger le texte pour qu’il soit finalement soumis à l’approbation des citoyens. L’idée est séduisante mais serait-il possible d’aller plus loin et de réfléchir à la régularité à laquelle le peuple pourrait être consulté, au champ de l’objet de cette consultation, etc. Ces premières interrogations sont balayées par le succès de ces mécanismes à l’étrangers, suisses et italiens notamment mais malgré une proximité géographique évidente et une histoire partagée sur certains points, les initiatives citoyennes sont très encadrées, tant sur leur objectif que sur la procédure. Et puis surtout, pourrions-nous prendre le temps de faire le bilan de ces mécanismes avant de modifier notre loi fondamentale. Sur d’autres sujets (pénalisation du délit d’apologie du terrorisme ou interdiction de manifester), le bilan mitigé des observateurs espagnols et italiens aurait dû nous inciter à prendre le temps de la réflexion avant de modifier notre ordre juridique. Nous saurons en avril si le Grand Débat National en aura été l’occasion.
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