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Ruralité et troubles anormaux du voisinage : sur les méfaits des « articles à clics »
Dans le flot d’« articles à clics » et à « Buzz » qui inondent internet, ceux qui relatent le conflit qui a opposé de prétendus « néoruraux » à un agriculteur ont pu échapper aux lecteurs assidus de cette chronique.
Chacun se souvient de cet arrêt de la Cour d’appel de Riom, en date du 7 septembre 1995, dans lequel des magistrats s’étaient laissés aller à faire de l’humour pour débouter un individu qui se plaignait du bruit des poules de son voisin :
« La poule est un animal anodin et stupide, au point que nul n'est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois ; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements, et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d'œuf) au serein (dégustation d'un ver de terre) en passant par l'affolé (vue d'un renard) ; ce paisible voisinage n'a jamais incommodé que ceux qui, pour d'autres motifs, nourrissent du courroux à l'égard des propriétaires de ces gallinacés ; la cour ne jugera pas que le bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d'orchestre, et la poule un habitant du lieu-dit La Rochette, village de Salledes (402 âmes) dans le département du Puy-de-Dôme » (CA Riom, 7 sept. 1995, n° XRIOM070995X, d’ailleurs cassé par Civ. 2e, 18 juin 1997, n° 95-20.652 !).
À en croire de nombreux « articles », tous recopiés les uns sur les autres, dont on ne mettra pas les liens tant ils font honte à ceux qui les ont « rédigés », la Cour d’appel de Riom serait revenue sur sa « doctrine » à propos, cette fois, de l’odeur des vaches.
Les faits, tels qu’ils sont rapportés, sont édifiants. Des « néoruraux », appellation péjorative qui vise souvent des « bobos », autre appellation péjorative, partis vivre à la Campagne après leur retraite, se seraient installés à côté d’une ferme. Se plaignant de l’odeur générée par les vaches, ils agirent en justice sur le fondement, semble-t-il, des troubles anormaux du voisinage. Contre toute attente, après avoir été déboutés en première instance, la Cour d’appel de Riom leur donna raison et ordonna que des modifications soient faites sur l’exploitation agricole afin que cesse cette nuisance.
Or, aux dires de l’exploitant, ces modifications seraient trop coûteuses, voire impossibles à réaliser, et le conduiraient à sa perte.
La section « commentaire » de ces articles a ainsi été submergée de commentaires haineux, à l’encontre des néoruraux, évidemment, mais également des juges. Des pétitions sont lancées en ligne pour sauver la ruralité dans son ensemble et fustiger ces magistrats « urbains » qui ne connaissent ni la bonne odeur des vaches, ni les réalités de la campagne (même s’ils habitent dans le ressort de la Cour d’appel de Riom).
Pourtant, peu sont ceux qui ont lu l’arrêt en question. Le signataire de ces lignes non plus, qui ne l’a trouvé, ni dans les articles y faisant allusion, leurs auteurs ne l’ayant manifestement pas consulté, ni sur les bases de données juridiques, cet arrêt étant sans doute trop récent.
En somme, et comme souvent, les « experts » des sections « commentaire » déversent leur bile sans rien connaître de l’affaire, ni des règles juridiques en cause. Ils ne se fondent que sur leur « bon sens », « bon sens » qui les ferait sans doute tourner en rond jusqu’à ce que mort s’en suive s’ils avaient le malheur de le suivre tout le temps…
Or, la propension des « experts » des réseaux sociaux, qui pensent en 140 caractères, à se croire plus intelligents que tout le monde en général, et que les juges en particulier est confondante.
Plus sérieusement, elle dénote une perte de crédibilité des magistrats auprès des citoyens qui fait peur.
Au vrai, l’espèce en cause ne peut pas avoir la simplicité de celle qui est rapportée dans la plupart des articles précités en raison d’une disposition du Code de la construction et de l’habitation :
« Les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques, n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions » (CCH, art. L. 112-16).
Autrement dit, pour ceux que les dispositions de plus de trois lignes rebutent, si une nuisance, générée par une exploitation conforme à la loi, préexiste à l’installation d’un voisin, celui-ci ne pourra pas s’en plaindre auprès de l’auteur du trouble dès lors que les conditions de l’exploitation n’ont pas changé. Tout juste pourra-t-il se retourner contre son vendeur, ou son bailleur, pour lui reprocher un dol ou lui opposer une erreur sur la substance afin d’obtenir l’anéantissement de la vente ou du bail.
En somme, dans l’affaire qui nous préoccupe, si les « néoruraux » s’étaient bel et bien installés après la création de la ferme, que celle-ci respectait les normes en vigueur, et que les conditions d’exploitation n’avaient pas évolué, leur action était vouée à l’échec.
C’est dire que, s’ils ont obtenu gain de cause, c’est soit parce que les conditions de l’exploitation agricole ont été modifiées depuis leur installation, soit parce que celle-ci ne respectait pas les normes en vigueur.
L’objet du signataire de ces lignes n’est pas de renverser la tendance, c’est-à-dire de transformer le « gentil agriculteur » en « méchant industriel hors la loi » et, inversement, les « néoruraux irascibles à l’odorat sensible », en « personnes âgées gentilles et fragiles ».
Il s’agit plutôt d’alerter les étudiants en droit et autres apprentis juristes qui lisent ces billets sur l’importance des faits et sur leur présentation qui, souvent, peut se révéler biaisée afin d’orienter le lecteur vers une solution.
Or, les faits commandent la qualification et, par conséquent, l’application de la règle de droit adéquate.
Bien évidemment, les considérations d’équité et d’opportunité sont importantes. Elles sont parfois, sans que les juges puissent se fonder explicitement sur elles, des éléments qui orientent la décision. Toutefois, une société ne peut fonctionner uniquement sur le prétendu « bon sens » populaire.
Toujours est-il, qu’en l’espèce, les articles commentés « manquent en fait », c’est-à-dire font une présentation erronée des faits… pour susciter une indignation facile.
Il est sain de s’indigner, mais après avoir vérifié qu’il y a bel et bien une raison de s’indigner !
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