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Solidarité avec la Palestine au fronton des bâtiments publics : mode d’emploi
Depuis le début la guerre de Gaza, de nombreuses municipalités ont voulu marquer leur solidarité avec le peuple palestinien en hissant le drapeau de la Palestine ou en affichant des banderoles au fronton de bâtiments publics. Les tribunaux administratifs ont censuré ces initiatives. Ce billet fait le point sur le droit applicable et montre qu’il existe sans doute des moyens de manifester de telles marques de solidarité, sans encourir les foudres du juge administratif.
Depuis quelques mois, les tribunaux administratifs sont saisis en référé par des préfets demandant la suspension de décisions des maires des communes d’afficher sur le fronton ou la façade de leurs mairies, des drapeaux palestiniens en y ajoutant parfois des banderoles portant des inscriptions allant de « pour une paix juste et durable » à « stop au génocide ». Leurs décisions sont unanimes dans le sens de l’illégalité de ces affichages, et elles ont été confortées par un arrêt du 21 juillet 2025 du Conseil d’État (CE 21 juill. 2025, n° 506299) qui a rejeté l’appel contre une telle suspension formé par la commune de la Courneuve.
Avant d’examiner le fond du sujet, il faut signaler une particularité procédurale qui a son importance. Les actions sont engagées par les préfets sur le fondement d’une disposition particulière : ils ont toujours eu à leur disposition un référé spécial dans le cadre de leur mission de contrôle de légalité des actes des collectivités locales qui les dispense notamment de démontrer l’urgence qu’il y aurait à suspendre la décision qu’ils défèrent. Il s’y ajoute un référé « super spécial » qui oblige le juge de 1re instance à statuer dans le délai de 48 heures. Jusqu’en 2021, cela n’était possible que si l’acte était « de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle », mais depuis la célèbre et décriée loi du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la Républiques », on y a ajouté le cas où des actes « porte(nt) gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics ».
Les préfets se sont appuyés, pour former leurs requêtes, sur ce cadre procédural, cela impliquant donc, au fond, de démontrer que les décisions des maires méconnaissaient le principe de neutralité des services publics et, pour bénéficier de ce jugement en 48 h que cette méconnaissance était « grave ». Laissons de côté cette condition de « gravité » qui a été systématiquement reconnue et concentrons-nous sur la question essentielle : la relation entre ces drapeaux et ces banderoles et le principe de neutralité des services publics.
Assez étrangement, la question est plutôt nouvelle. Pas de texte et un arrêt de principe qui remonte à 2005, rendu à propos d’un drapeau pavoisant une mairie en Martinique, drapeau par ailleurs utilisé par les partis indépendantistes martiniquais (CE 25 juill. 2005, Commune de Saint Anne, n° 259806, RFDA 2005, p. 1137 avec les conclusions de F. Donnat). Mais depuis lors de nombreuses décisions sont venues, à propos de drapeaux, de mentions ajoutées aux frontons de mairies, de banderoles (sans oublier dans un autre ordre d’idée les crèches et les crucifix), confronter ces différentes manifestations au principe de neutralité du service public. Dans la quasi-totalité de ces espèces a été repris le considérant de principe de l’arrêt Commune de Sainte-Anne : « le principe de neutralité des services publics s'oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques ». Mais dès cet arrêt était mis en évidence le problème crucial : à quoi reconnaît-on qu’un signe exprime une opinion politique ou religieuse ? F. Donnat, dans ses conclusions sur l’arrêt Sainte Anne nous montrait déjà qu’il fallait chercher « le signe derrière le signe » : il découvrait « dans les pièces du dossier », pour reprendre l’expression consacrée des arrêts, une « brochure » expliquant que le drapeau contesté « était devenu depuis 1870 le symbole des mouvements indépendantistes de la Martinique », et donc qu’il exprimait bien une opinion politique. La subtilité ira encore plus loin dans les fameux arrêts relatifs aux crèches installées dans les mairies ou dans l’espace public, avec une série de critères fort difficiles à manier mais dont on retiendra un point intéressant « une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations » (CE 9 nov. 2016, Fed. des libres penseurs de Seine et Marne, n° 395122, AJDA 2016, p. 2375). Autrement dit, non seulement faut-il chercher le signe derrière le signe, mais en plus il faut que le juge pondère les différentes significations des signes qui peuvent se cacher derrière le signe…
Comment les juridictions saisies ont-elles appliqué cette grille d’analyse dans le cas de drapeaux palestiniens et, dans certains cas, des banderoles qui les accompagnaient ? À tout seigneur tout honneur, commençons par la seule décision rendue par le Conseil d’État sur la requête de la commune de la Courneuve. Il se prononce ainsi :
« Si la commune de La Courneuve soutient que l'affichage de la banderole et la distribution des fanions en litige auraient pour seul objet de manifester la solidarité de la commune et de ses habitants aux populations civiles de la bande de Gaza, dans un but exclusivement humanitaire, il résulte du recours aux couleurs du drapeau palestinien et des termes mêmes inscrits sur cette banderole et ces fanions ainsi que des propos diffusés par le maire sur les réseaux sociaux pour expliquer l'objet de cette démarche que la commune a entendu exprimer, au moyen de ces outils de communication, une prise de position de nature politique au sujet d'un conflit en cours ».
L’embarras est palpable. Est-ce que le « et », et le « ainsi que » que nous avons soulignés construisent une accumulation : il faudrait le drapeau + les mentions + les propos, pour que la prise de position politique soit identifiée, ou bien est ce qu’un seul de ces éléments suffit, ce qui conduirait très concrètement à ce que la seule apposition du drapeau palestinien soit une prise de position politique. J’ai tendance à penser que si le drapeau avait suffi, le juge aurait eu de nombreuses techniques de rédaction à sa disposition pour le dire, par exemple, en ajoutant que « au surplus », il y avait des mentions sur les fanions et des propos tenus par le maire.
Cette ambiguïté tranche avec des positions plus radicales telle celle du Tribunal administratif de Lille dans une décision du 8 août 2025 (TA Lille, 8 août 2025, n° 2507654) qui juge que :
« L’apposition du drapeau palestinien sur la façade de l'hôtel de ville de Faches-Thumesnil n'a pas, contrairement à ce qui est soutenu en défense, pour seul objet de manifester la solidarité de la commune et de ses habitants aux populations civiles de la bande de Gaza, dans un but exclusivement humanitaire, mais doit être regardée comme une prise de position de nature politique au sujet d'un conflit en cours », autrement dit, selon le tribunal, ici, le drapeau, seul, suffit.
Il me semble que l’ambiguïté de la motivation de la décision du Conseil d’État est volontaire. D’abord, il y aurait une pente dangereuse à se fixer sur le seul drapeau pour déduire une intention politique : un drapeau LGBTQ, voire un drapeau de la paix pourrait, à la même aune, être considérés comme des signes politiques ou philosophiques.
Ensuite, il faut rappeler qu’au début de la guerre en Ukraine, de nombreuses mairies ont été pavoisées et cette fois un jugement du Tribunal administratif de Versailles a considéré que :
« (cela)ne constitue pas plus une ingérence caractérisée et illégitime dans une affaire relevant de la politique internationale de la France qu’il appartient seul à l’État de conduire dès lors qu’elle reste dans l’ordre du symbolique et s’inscrit dans le contexte national de soutien diplomatique, humanitaire et matériel offert à l’Ukraine par l’État français. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la neutralité des services publics et plus particulièrement des édifices publics ne peut qu’être écarté » (TA Versailles 20 déc. 2024 n° 2208477)
Autrement dit, c’est bien le contexte et non le drapeau en lui-même qui permet de donner la signification.
Ce dernier jugement nous conduit à notre deuxième temps de réflexion : Reste-il une possibilité pour les communes de manifester, au fronton des bâtiments publics leur solidarité avec la Palestine. Malgré toutes les décisions de justice défavorables rendues jusqu’à présent, il me semble qu’il faut ici répondre par l’affirmative, avec deux pistes possibles.
La première, la plus simple, consiste à prolonger la logique du jugement du Tribunal administratif de Versailles qui vient d’être cité : si l’on s’inscrit dans le contexte national de soutien diplomatique et humanitaire alors le pavoisement n’est plus regardé comme un signe politique mais comme l’accompagnement symbolique d’une politique menée par l’État. Dans ces conditions, par exemple, il me semblerait parfaitement légitime de manifester un soutien à l’initiative française de reconnaissance de l’État de Palestine au moyen d’une banderole et d’un drapeau.
La seconde suppose de mobiliser un autre corps de règles, celles qui sont relatives à l’action internationale des collectivités territoriales. L’article L. 1115-1 du CGCT qui pose les principes directeurs de cette action est ainsi rédigé « Dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales (…) peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire » (…) À cette fin, les collectivités territoriales (…) peuvent, le cas échéant, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères ». Le Conseil d’État a été amené à prendre parti tout récemment sur la portée de ce cadre juridique et en particulier sur la ligne de partage à tracer entre ce qui relève de l’action humanitaire et ce qui relève d’une action politique restant interdite aux collectivités locales en raison du principe de neutralité, qui s’applique comme principe non écrit en sus du texte législatif (CE Section 13 mai 2024, ass. SOS Méditerranéen 472155, RFDA 2024, p. 715, concl. Th. Pez). La logique posée par le Conseil d’État est la suivante : les collectivités locales peuvent mener des actions internationales à caractère humanitaire, à condition de ne pas interférer avec la conduite des relations internationales, elles peuvent le faire soit avec les autorités locales étrangères, soit avec des intermédiaires de type ONG, à condition de s’assurer, par convention, que l’aide de ces dernières aura bien un caractère strictement humanitaire.
Ainsi, il est parfaitement possible à une collectivité locale, soit dans le cadre des conventions de jumelage, soit dans le cadre de conventions conclues spécialement avec des municipalités palestiniennes ou avec des ONG à objet humanitaire, de cibler des aides vers des programmes humanitaires à destination de la Palestine. Or, si ces conventions sont légales, comment l’affichage de leur titre et de leur objet, pourrait-il ne pas l’être ? Au fond, cet affichage n’est qu’une mesure de publication de la convention.
Certaines des communes qui ont été attraites en justice par les préfets avaient, il est vrai, tenté d’invoquer cet argument. Mais, la plupart du temps, elles y avaient ajouté des mentions qui dépassaient les strictes bornes de l’intervention humanitaire : « pour une paix juste et durable », à Vitry, « stop au génocide », pour la commune de la Courneuve, ou avaient publié des communiqués contenant de telles appréciations politiques (TA Melun 21 juin 2025, n° 2508546). Ainsi l’exigence essentielle consiste à demeurer dans le strict cadre humanitaire et de la coopération internationale des collectivités locales et, si tel est le cas, on ne voit pas ce qu’il serait possible de reprocher à de tels affichages.
On peut regretter ce jeu du chat et de la souris avec des critères jurisprudentiels issus du XIXe siècle, à l’époque où l’on considérait que les collectivités locales étaient des entités de second ordre qui n’avaient pas à se mêler de politique, au-delà du strict périmètre de leurs intérêts locaux. Si l’on peut comprendre la nécessité d’éviter des débordements, comme le soulignait récemment Thomas Hochmann (1), le droit pénal qui permet de marquer les limites de la liberté d’expression « est beaucoup plus opératoire qu’une référence à un « illisible principe de neutralité » ».
(1)Th. Hochmann, un maire peut-il légalement afficher n drapeau israélien ou palestinien sur sa mairie ? [https://www.leclubdesjuristes.com/opinion/un-maire-peut-il-legalement-afficher-un-drapeau-palestinien-ou-israelien-sur-sa-mairie-11372/]
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