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Solidarité : une Union européenne aux deux visages
L’Union européenne est confrontée depuis plusieurs mois à de multiples crises, mettant à rude épreuve la cohésion européenne, voire la solidarité européenne, dont on peut se demander si elle existe réellement. Parmi les nombreuses crises, sans y chercher une quelconque hiérarchie, peuvent être citées celles des migrants, de l’économie et de son plan de relance, de la finance, du Brexit, de l’annexion de la Crimée, de la covid-19 ou encore dernièrement de la méditerranée orientale.
Cette interrogation liée à la solidarité peut sembler superflue, dès lors que la solidarité européenne est présente à de multiples reprises dans le traité et figure comme un objectif à caractère général à l’article 3, § 3 du Traité sur l’Union européenne (TUE), où il est indiqué que l’Union « promeut (…) la solidarité entre les États membres ». Cet objectif est aussi décliné dans le cadre de politiques particulières. Les articles 67 et 80 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) renvoient à cette exigence pour la politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle des frontières extérieures. La référence à cette obligation existe également aux articles 122 et 194 TFUE pour le secteur de l’énergie. Enfin en matière de terrorisme, est insérée à l’article 222 TFUE une clause de solidarité, mais qui dépend largement dans sa mise en œuvre des États membres.
La solidarité ne va cependant pas de soi. La tentation première pouvait être pour chaque État de traiter seul ces différentes crises, s’appuyant sur la répartition des compétences issue des traités. Le domaine de la santé publique demeure une compétence d’action d’appui, autorisant uniquement une intervention complémentaire de l’Union. Les affaires étrangères et l’économie restent, quant à eux, largement empreintes d’un interventionnisme étatique. Seule la crise des migrants impliquait plus directement une intervention européenne en raison de la politique commune en matière d’asile.
Cependant, la dimension européenne ne pouvait être ignorée dans les relations extérieures afin de faire front et pour apporter, dans d’autres cas, une réponse plus efficace au sein du marché intérieur. Extérieure ou interne, la crise renvoyait inexorablement à une exigence de solidarité européenne, qui n’a pas toujours été effective ou qui l’a été de manière élastique, offrant une Union européenne aux deux visages.
Concernant les relations extérieures, l’Union européenne fait preuve depuis le Brexit d’une remarquable solidarité qui n’avait pas toujours été présente précédemment, ne serait-ce que dans les relations avec la Russie et la Chine. Depuis l’annonce du retrait du Royaume-Uni, l’approche est tout autre. L’unité et même la solidarité ont guidé les négociations avec les Britanniques. Sur le cas particulier de Gibraltar, l’Union européenne a, par exemple, soutenu la position espagnole, qui souhaitait être directement associée aux décisions concernant l’avenir de ce territoire, alors que cette question n’intéressait que de très loin les autres États membres. La crise particulière entre la Grèce, Chypre et la Turquie, visant les richesses du plateau continental, a démontré également une forte solidarité, à l’égard de la Grèce. Le Conseil européen a pris publiquement une position de soutien par rapport à la Grèce le 16 octobre 2020.
Les crises relevant, en revanche, principalement de la gestion du marché intérieur et de l’espace de liberté, de sécurité et de justice sont plus conflictuelles. L’urgence conduit manifestement à un réflexe protectionniste des États membres, souvent guidés par leur politique intérieure. Ce manque de solidarité a été criant au début de la crise sanitaire sur la covid-19, l’Italie ayant désespérément attendu du matériel en provenance des autres États membres. L’aide est finalement d’abord venue de Chine. De même, la relocalisation des migrants, en raison d’une gestion devenue impossible par la Grèce ou l’Italie face à l’afflux de demandeurs d’asile, a donné lieu à des négociations acharnées en 2015 et à des recours de la Hongrie et de la Slovaquie contre la décision du Conseil, requêtes rejetées par la Cour (CJUE 6 sept. 2017, Slovaquie c/ Conseil, C-643/15 et Hongrie c/ Conseil, C-647/15). La solidarité tant souhaitée s’est écaillée, tout comme sur le plan de relance européen. Ce dernier a donné lieu en juillet à un Conseil européen marathon, dont il est possible de se réjouir qu’il ait abouti à un accord, mais il a surtout mis en lumière la fracture entre les États méditerranéens et l’Allemagne, d’une part, et les États, dit « frugaux », dont les Pays-Bas.
La solidarité serait-elle ainsi plus compliquée à réaliser lorsque les conséquences de l’action se concrétisent au niveau national et renvoient à des dimensions de politique partisane ? Sans doute, montre-t-elle la difficulté des États membres de l’Union à se percevoir comme une entité cohérente pour résoudre les crises et pour les partis politiques nationaux à se positionner au niveau d’un débat européen. Les crises extérieures offrent clairement moins d’aspérités, la crise en méditerranée orientale intéresse moins. Cette situation est d’autant plus dommageable que l’Union européenne est aujourd’hui reconnue par les autres acteurs, États, organisations internationales, entreprises, comme un acteur cohérent, y compris par les marchés financiers.
La solidarité entrevue sur la scène internationale pourrait trouver un écho plus fort à l’avenir en interne et par un effet inattendu de la crise de la covid-19. Cette crise a conduit à la tenue de réunions du Conseil européen en distanciel, favorisant une plus grande fréquence par la facilité d’organisation. Chaque réunion constitue un moyen de mieux se connaître, de mieux se comprendre et de jeter les ponts d’une réelle solidarité par les connaissances de l’autre. La gestion de la répartition des futurs vaccins au niveau du Conseil européen en est une traduction, effaçant les ratés précédents, et montre à la voie à suivre dans les autres domaines afin de présenter un seul visage.
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