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Le billet
Sortie de route de l’Allemagne ?
L’Allemagne multiplie ces derniers temps les points de tension avec ses partenaires européens. Il suffit de citer la difficile autorisation de la livraison de chars à l’Ukraine, le refus du recours à l’énergie nucléaire pour la production d’hydrogène et, cette semaine, la crispation liée à l’interdiction des moteurs thermiques.
L’Allemagne est pointée du doigt pour avoir fait obstacle au vote de la proposition de modification du règlement (UE) 2019/631 relatif aux normes applicables pour les voitures particulières neuves, en changeant sa position quelques heures avant le vote, obligeant à son retrait. Il est vrai que la modification proposée est profonde puisqu’elle introduit notamment l’interdiction de vente de voitures neuves émettant du CO2. Concrètement, elle aboutit à la suppression à la vente des voitures à moteur thermique en 2035. L’ambition européenne est réelle et les délais serrés. Elle transforme logiquement le modèle industriel existant des constructeurs automobiles, mais ces derniers ont déjà été avertis depuis plusieurs mois de ce choix industriel et environnemental. Cette situation a d’ailleurs conduit de nombreux constructeurs européens à revoir leur modèle de développement pour les années à venir, pour ne proposer pour leurs futurs modèles que des voitures électriques, abandonnant les moteurs thermiques.
Au-delà de l’aspect environnemental et du bien-fondé de la mesure, la mise à l’index de l’Allemagne ne me semble pas tout à fait juste pour plusieurs raisons en lien avec le processus institutionnel et sa dynamique.
La première raison est que l’Allemagne est désignée comme seul responsable de l’absence de vote de la proposition présentée. Or, le règlement (UE) 2019/631 a été adopté sur le fondement de l’article 192, paragraphe 1, tout comme doit l’être sa modification. Cet article, relevant du titre sur l’environnement, implique la mise en œuvre de la procédure législative ordinaire, c’est-à-dire le recours à la majorité qualifiée. L’unanimité n’est pas requise. Ainsi l’Allemagne ne dispose pas d’un droit de veto sur ce texte. Ce constat signifie que d’autres États se sont également opposés au texte, États suffisamment nombreux pour empêcher que soit atteint la majorité qualifiée. D’ailleurs, la Bulgarie, l’Italie et la Pologne avaient préalablement exprimé leur opposition à la proposition. Dès lors, la proposition est moins consensuelle qu’il n’y paraît. Certes, il ne fait pas de doute que l’Allemagne est pivot pour ce vote, mais elle n’en porte pas à elle seule la responsabilité.
La seconde raison est liée à la dynamique du processus, qui conduit les États membres à se prononcer par un vote lors du Conseil de l’UE. Ce vote ne peut être considéré seulement comme étant de pure forme, y compris s’il y a un accord préalable. Il n’est pas possible de demander à un État de faire fi de sa situation de politique intérieure. L’Union européenne s’appuie sur deux institutions pour adopter les actes législatifs, le Parlement européen et le Conseil de l’UE, chacune représentant des personnes et des intérêts qui peuvent s’avérer divergents. Il est admis que le Parlement européen, représentant les citoyens, peut librement s’opposer, y compris jusqu’au dernier moment, le mandat impératif étant proscrit. Les débats et les discussions font peser un aléa qui se conçoit pleinement, même s’il est plus théorique que réel. Il doit en être de même au sein du Conseil où les États sont en mesure de défendre leurs intérêts, quand bien même le résultat du vote en serait modifié. Le déroulé des évènements n’est pas isolé au cas allemand, il y a eu déjà des modifications de prises de position sur d’autres dispositions moins emblématiques ou moins médiatiques.
La troisième raison est que l’Allemagne peut s’interroger sur le modèle qui lui est proposé. La logique de développement de véhicules quasi essentiellement électrique interroge par rapport à notre capacité à produire cette électricité. Le modèle agit moins finalement sur le recours à la mobilité que sur les moyens de cette mobilité. Le modèle des flux n’est ainsi pas questionné, alors même que les ressources à mobiliser ne sont pas toutes satisfaisantes. En outre, l’Allemagne ne s’oppose manifestement pas à la trajectoire, mais à l’exclusivité envisagée, souhaitant que la question des carburants de synthèse soit débattue. La logique de recherche de compromis propre à l’Union devrait ouvrir la voie à des échanges, et d’ailleurs, la Commission ne ferme pas la porte.
Au-delà de ce dossier, de manière plus perfide, il est amusant de constater que l’Allemagne se trouve dans une situation dans laquelle elle a voulu placer la France sur la production d’hydrogène à bas carbone, refusant à la France de tirer le bénéfice d’un outil industriel maîtrisé. L’Allemagne cherche aujourd’hui à défendre son industrie automobile, il est possible de l’entendre et les règles institutionnelles lui en donnent la possibilité. Ceci appelle néanmoins à une réciprocité pour de meilleur compromis.
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