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Le billet

[ 25 novembre 2019 ] Imprimer

Sortir ou entrer : tout aussi compliqué !

La saga du Brexit démontre maintenant depuis juin 2016 combien il est difficile de mettre en œuvre le droit de retrait de l’Union. S’il est vrai que les difficultés doivent beaucoup à la situation politique interne du Royaume-Uni, il est tout aussi certain que la préservation du marché intérieur et de certaines politiques rendent complexes les conditions du retrait. Cependant, la mise en œuvre de l’article 50 TUE, organisant la procédure de retrait, n’a pas été jusqu’à présent un facteur de fragmentation de l’Union. Au contraire les institutions ont agi de manière concertée, défendant des positions communes.

Il semble en être tout autrement de la gestion du processus d’adhésion à l’Union européenne, principalement à la lecture de la résolution adoptée par le Parlement européen le 24 octobre 2019 sur l’ouverture des négociations avec la Macédoine du Nord et l’Albanie. Dans ce texte, le Parlement européen fustige non seulement l’absence de décision du Conseil européen sur ces deux dossiers, mais également pointe du doigt le blocage de trois États membres : la France, le Danemark et les Pays-Bas. Il en ressort un profond désaccord entre le Parlement européen qui se montre favorable à cette adhésion, tout comme la Commission qui a souligné, dans une communication du 29 mai 2019, que les conditions fixées par le Conseil en juin 2018 étaient remplies. La Commission indique que ces deux États ont adopté, depuis plusieurs années, de nombreuses réformes en matière de renforcement des droits fondamentaux, de lutte contre la corruption, de l’établissement de contre-pouvoirs et de développement de l’économie. Finalement pour l’ouverture des négociations, seul manque le vote favorable du Conseil européen, alors que son intervention n’est pas exigée par l’article 49 TUE qui décrit la procédure d’adhésion. 

Toutefois, une adhésion est d’abord un processus politique avant d’être un processus juridique. Le Conseil européen est ainsi omniprésent, tout d’abord en fixant les critères d’éligibilité pour l’adhésion, ensuite en se prononçant sur le principe de l’adhésion et enfin en accordant le statut de candidat à l’adhésion pour l’État demandeur. L’absence de prise de position du Conseil européen implique un statu quo, le Conseil de l’Union n’ayant pas le feu vert pour prendre la décision d’ouvrir officiellement les négociations. Les ministres sont contraints logiquement par la position des Chefs d’État et de Gouvernement. L’entrée est ainsi compromise ou tout au moins retardée.

Cette situation appelle plusieurs remarques :

■ La première est que l’opposition des trois États membres montre que le processus d’adhésion, contrairement au retrait, n’est pas uniquement un processus relevant des compétences des institutions de l’Union. En effet, l’exigence de l’unanimité au sein du Conseil de l’Union confère à chaque représentant d’un État membre un droit de veto. Ce droit de veto est également présent lors de l’étape de ratification du traité d’adhésion, l’accord de chaque État membre étant requis au regard de son droit national. Pour le retrait, la procédure est différente, puisque le traité constitue un engagement entre l’État sortant et l’Union européenne pour lequel seule la majorité qualifiée est requise. Les États membres n’ont pas la même capacité de paralysie, sauf à ce qu’une minorité se dégage.

■ La deuxième remarque est que ces divergences assumées démontrent que l’adhésion n’est plus affublée des mêmes vertus pour tous les États membres et les institutions. Longtemps l’adhésion a été considérée comme prioritaire, étant appréhendée comme un facteur de stabilité, de paix et de respect des valeurs européennes. C’est ainsi que par le passé, certains États membres ont adhéré alors même que les critères économiques étaient imparfaitement remplis. La symbolique de l’adhésion primait. Elle était même inhérente à la construction de l’Union. Cette approche demeure pour le Parlement européen dans sa résolution. En revanche, certains États membres ne la partagent plus, semble-t-il. Ils apparaissent aujourd’hui réfractaires au principe même d’une nouvelle adhésion. 

■ La troisième remarque est que la confrontation des points de vue se cristallise alors même que l’adhésion de ces États ne pose pas de difficultés par rapport à la capacité de l’Union à les intégrer sur le plan institutionnel ou économique, ces derniers étant très faiblement peuplés. Ceci démontre que l’enjeu est bien davantage politique et que ces dossiers renvoient plus directement à la question de la justification d’une nouvelle vague d’adhésion et corrélativement aux finalités de la construction de l’Union européenne. Le Brexit a été une opportunité pour réaffirmer une unité des États membres autour du marché intérieur et plus largement de la construction européenne face à ce qui constituait un risque de démantèlement pour beaucoup. Néanmoins cet attachement à l’Union n’est pas une réponse aux questions récurrentes liées aux frontières de l’Union européenne, à l’intégration différenciée et au recours plus régulier à la coopération renforcée. Ce débat sur l’adhésion oblige à se recentrer sur le contenu de la construction européenne à vingt-sept.

Cette divergence de position des institutions et l’affirmation par certains États de leur opposition doit être l’occasion de déterminer en quoi ces adhésions participent au projet de l’Union européenne et plus seulement de manière abstraite, afin que celui-ci soit compris et accepté par les ressortissants des États membres. L’élargissement aux États de l’Europe de l’Est a démontré que les adhésions n’avaient rien d’une évidence pour les populations et ses conséquences ont été l’un des sujets de la campagne du referendum au Royaume-Uni. La France a connu aussi sa polémique sur le « plombier polonais ». Le refus de la France heurte sans nul doute l’Albanie et la Macédoine du Nord, mais elle implique de déterminer si l’adhésion est la seule voie possible ou si d’autres modes de partenariat ne doivent pas être convoqués. Après tout, les rapports avec la Suisse et la Norvège s’appuient sur d’autres liens juridiques. Les choix doivent être réfléchis et débattus pour ne pas conduire à un désamour ou à un amour déçu comme avec la Turquie. Si la fiancée est convoitée, elle n’en est pas moins difficile.

 

Auteur :Vincent Bouhier


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