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Le billet

[ 18 avril 2012 ] Imprimer

Souviens-toi de l’Erika

L’histoire du droit français de la responsabilité civile est, pour une très large part, celle d’une succession d’inventions jurisprudentielles qui ont modifié profondément sa substance et lui ont ainsi permis d’évoluer malgré l’immobilisme de la loi.

Ainsi pour appréhender les accidents du travail, puis les accidents de la circulation, au début du xxe siècle, et pour permettre aux victimes d’être indemnisées en dépit de l’absence de faute à l’origine de leurs préjudices gravissimes, la Cour de cassation a inventé, en se fondant sur un texte du Code civil — l’article 1384, alinéa 1er — dénué de la moindre portée normative dans l’esprit de ses rédacteurs, un principe général de responsabilité sans faute. Cette règle fondamentale de responsabilité générale du fait des choses a permis, grâce à l’imagination fertile de la Cour de cassation, de neutraliser des risques que Portalis et ses coauteurs n’avaient pas pu envisager.

Un siècle plus tard, d’autres défis sont lancés à la Cour de cassation. Après les risques liés au développement du machinisme dans l’industrie et à la circulation routière, elle doit désormais appréhender d’autres risques plus modernes et peut-être plus dangereux encore. Ce sont notamment les risques environnementaux qui occupent désormais les devants de la scène judiciaire. Ainsi, les tribunaux et les cours d’appel ont été saisis depuis quelques années de demandes liées à la responsabilité du fait des ondes électromagnétiques. Ceux des juges du fond qui ont succombé à la tentation d’indemniser les victimes de préjudices d’angoisses causés par l’impossibilité de leur garantir l’absence de risque en dépit de leur exposition à un champ d’ondes magnétiques puissantes, ont tour à tour exploité la bonne vieille théorie des troubles du voisinage et le sulfureux principe de précaution.

En 2010, pour faire face aux dommages environnementaux gravissimes provoqués par un navire qui n’aurait jamais dû naviguer, mais qui fût mis à flot pour permettre aux grands groupes pétroliers de faire de substantielles économies, la cour d’appel de Paris, dans l’affaire de la pollution provoqué par le navire Erika, a accordé des centaines de milliers de dommages-intérêts en réparation du préjudice écologique pur, préjudice subi par la nature elle-même indépendamment de toute atteinte individuelle d’ordre patrimonial ou extrapatrimonial. Avec cette décision, la cour d’appel de Paris avait fait preuve d’une audace remarquable puisque elle avait exploité une notion encore inconnue du droit de la responsabilité civile sticto sensu et l’avait ainsi dotée d’un statut qui laissait entrevoir, non seulement une sensible évolution théorique de la notion de préjudice, considéré comme étant par essence de nature individuelle, mais encore, mais surtout, un renforcement très sensible de la protection du patrimoine naturel.

Patatras, on apprend qu’à l’occasion de la future décision que va rendre la Cour de cassation sur le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour de Paris, l’avocat général remet en cause cette avancée considérable, au motif que le navire poubelle affrété par Total, avait fait naufrage dans une zone maritime qui évinçait l’application de la loi française et conduisait, en vertu des traités internationaux en vigueur, à la soumission du litige à la loi du pavillon du rafiot, à savoir la loi maltaise… Résultat, le préjudice écologique pur passerait à la trappe et la désinvolture de la compagnie pétrolière qui, pour de sordides raisons économiques, avait affrété un navire qui comportait une très grave menace pour l’environnement, se solderait par l’irresponsabilité pénale et civile de tous les protagonistes, en dépit des fautes lucratives qu’ils ont commises contre l’environnement.

Puisse la Cour de cassation qui a remporté tant et tant de victoires pour le plus grand profit des victimes depuis plus de deux siècles, ne sonne pas, dans quelques semaines, la défaite de Dame nature contre le risque profit.

Référence

Article 1384 du Code civil

« On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.

Toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l'immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s'il est prouvé qu'il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable.

Cette disposition ne s'applique pas aux rapports entre propriétaires et locataires, qui demeurent régis par les articles 1733 et 1734 du code civil.

Le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.

Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ;

Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance.

La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère et les artisans ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité.

En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l'instance. »

 

Auteur :Denis Mazeaud


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