Actualité > Le billet
Le billet
Suppression des zones à faibles émissions : vers une saison 2 du contentieux climatique
Alors que le législateur s’apprête à voter la fin des ZFE, le Conseil d'État, le 25 avril 2025, mettait aussi fin à un contentieux de bientôt dix ans, constatant que ces mêmes ZFE avaient permis à la France de se conformer – enfin ! – à la directive européenne de 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe. C’est reparti pour un tour ?
Par un arrêt du 25 avril 2025 (n° 428409), le Conseil d'État signait le clap de fin d’un contentieux retentissant déclenché en 2017. À cette époque, sur demande de l’association Les Amis de la Terre et de quelques autres dont France Nature environnement, le Conseil d'État annulait le refus du premier ministre de prendre toutes mesures utiles et d'élaborer des plans relatifs à la qualité de l'air conformes à l'article 23 de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe. En effet, cette directive impose de mettre en place des mesures destinées à ramener progressivement les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 en-deçà des valeurs limites fixées à l'annexe XI, avant le 11 juin 2010.
Le juge du Palais Royal enjoignait par la même occasion à l’État d’élaborer un plan de lutte contre les particules fines et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018. Le Conseil d’État ordonnait encore à l’État de mettre en œuvre des plans pour réduire les concentrations de dioxyde d’azote et de particules fines dans 13 zones urbaines en France dont les agglomérations de Paris et Lyon, afin de respecter les seuils de pollution imposés par la directive.
En 2020 (CE 10 juill. 2020, n° 428409), saisi de nouveau pour vérifier l’exécution de sa décision de 2017, le Conseil d'État constatait que si certaines mesures ont été prises, la France était encore loin de l’objectif : huit agglomérations en France vivaient encore sous un taux de pollution excessif. C’est pourquoi il a joint l’astreinte à l’injonction, demandant à l’État de prendre les mesures nécessaires sous astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard. En 2021 (CE 4 aout 2021, n° 428409), constatant l’inexécution de sa décision, le Conseil d'État prononçait une nouvelle astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard, avant de sévir de nouveau en 2022 (CE 17 oct. 2022, n° 428409). Comme cela s’est déjà produit auparavant, le gouvernement a préféré payer des astreintes plutôt qu’imposer des contraintes environnementales impopulaires dans un contexte politique tendu. En 2023 (CE 24 nov. 2023, n° 428409), deux astreintes semestrielles sont encore prononcées, mais réduites à 5 millions d’euros en raison notamment de l’instauration des ZFE, qui avait contribué à atténuer la pollution de l’air partout sauf dans deux agglomérations « seulement », celles de Lyon et de Paris.
Le 25 avril 2025, le Conseil d'État se montre satisfait : la création obligatoire des ZFE par la loi Climat et résilience du 24 août 2021 (article 119, insérée à l’article L. 2213-4-1 CGCT) et l’extension des zones existantes en 2024, ont permis à la France de retrouver une trajectoire conforme aux objectifs européens de qualité de l'air. Il n’y a plus lieu de prononcer des astreintes. Fin de la saison 1.
Qui mieux que le législateur connaît cette jurisprudence ? Et c’est pourtant ce même législateur qui s’attèle à dépecer les ZFE. Conséquence, une saison 2 du contentieux climatique va sans doute débuter. Les associations vont de nouveau saisir le Conseil d'État, qui constatera qu’une des mesures phares permettant de respecter la directive de 2008 disparaît, sans qu’aucune mesure compensatoire ne soit envisagée.
Il faudra tout de même attendre une hausse des taux de pollution afin d’établir un lien de causalité avec la suppression des ZFE, principes de la responsabilité administrative obligent. Le juge condamnera alors l’État à de nouvelles astreintes, mais qui ne seront dissuasives que si leur montant est astronomique et donc dissuasif. Et l’on criera au gouvernement des juges avec des accents trumpiens.
Reste qu’il est peu probable que le Conseil d'État augmente substantiellement les astreintes dues par l’État, qui en tout état de cause bénéficient à des organismes d’État comme l’ADEME pour éviter l’enrichissement sans cause des associations requérantes (cf. le dispositif des arrêts de 2021, 2022, 2023). L’astreinte payée par l’État retourne donc indirectement dans les poches l’État.
Le contentieux climatique est donc appelé à durer encore des années voire des décennies, durant lesquelles des milliers de personnes vivant dans les zones polluées continueront de souffrir de pathologies respiratoires et d’en mourir. Les tribunaux administratifs condamnent déjà l’État à indemniser certaines familles, dont les enfants souffrent de maux (otites à répétition, conjonctivites et autres allergies troublant leur sommeil et leur parcours scolaire), à Paris en 2023, et en 2025 dans la vallée de l’Arve. Mais les indemnisations accordées sont dérisoires et donc non dissuasives.
Peu importe aussi que la Cour de Justice de l’Union européenne condamne parallèlement la France pour non-respect de la directive de 2008 (CJUE, 24 oct. 2019, aff. C-636/18, Commission européenne contre France), laquelle impose une obligation de résultat (CJUE, 22 févr. 2018, aff. C-336/16, Commission européenne contre Pologne). Peu importe que la Cour européenne des droits de l’Homme ait condamné la Suisse en 2024 pour inaction climatique, sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui dispose que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. » (CEDH ; gr. ch., 9 avr. 2024, n° 53600/20, Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse). Une interprétation audacieuse de cet article dans une Convention signée en 1950 qui ne compte aucune référence à l’environnement, et qui ne manquera pas un jour de s’appliquer à l’État français.
Il ne faut pas « emmerder les Français » disait Pompidou. En revanche, on peut les rendre malades, voire les tuer.
Autres Billets
-
[ 10 juin 2025 ]
Promenons-nous dans le rapport public 2025 du Conseil d’État
-
[ 2 juin 2025 ]
Une nouvelle loi pour les salariés « expérimentés » aux apports limités
-
[ 26 mai 2025 ]
Vers un effacement des ambitions économiques autour des valeurs européennes ?
-
[ 19 mai 2025 ]
Consécration d’une amende civile en cas de faute lucrative cause de dommages sériels
-
[ 12 mai 2025 ]
Lecture et robustesse, l’art de tenir dans un monde fluctuant
- >> Tous les Billets