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Le billet
Sur écoute
The wire est une série américaine de cinq saisons, diffusée sur la chaîne HBO de 2002 à 2008. Elle relate l’histoire d’un groupe de policiers de Baltimore qui, pour faire tomber des trafiquants de drogue, met en place une surveillance téléphonique, d’où le titre français de la série « Sur écoute ».
Cette série est, à bien des égards, magistrale. Elle démonte, afin de mieux les étudier, les rouages de la société américaine, chaque saison abordant un thème particulier : le monde du travail, la presse, l’école, la politique… Le signataire de ces lignes, dont les lecteurs auront sans doute compris l’appétence particulière pour cette sous-culture que sont les séries télévisées, désespérait de découvrir une « fiction française feuilletonnante » capable de décrire, avec le même œil acéré, la société française… Plus belle la vie mise à part évidemment.
Est-ce aujourd’hui toujours utile ? La réalité a en effet dépassé la fiction au point que le scénario composé par les révélations de ces derniers jours dépasse l’entendement. Un ancien président de la République, qui n’a pas, semble-t-il, renoncé à le redevenir, est placé sur écoute. Il est soupçonné d’avoir reçu des fonds d’une puissance étrangère pour financer sa campagne présidentielle victorieuse. Informé de la mise en place de cette surveillance, il aurait ainsi tenté de la déjouer au moyen d’une ligne téléphonique, ouverte sous un nom d’emprunt par son avocat. À cela s’ajoute ensuite, une garde des Sceaux qui s’emmêle les pinceaux, puisqu’elle n’était pas au courant avant le 28 mars… non le 26… En tout cas, elle ignorait totalement le contenu des interceptions… ou alors elle n’avait pas connaissance de tout… et vice versa… On n’oubliera pas le président du principal parti d’opposition, qui n’en revient toujours pas d’avoir autant de chance, puisque cette affaire a complètement occulté celle, dont la presse se délectait quelques jours avant, et qui le concernait au premier chef…
Le casting américain de cette série pourrait être composé de Kevin Spacey dans le rôle de l’ancien président, au moins s’il parvient à ses fins dans House of cards, de Bob Odenkirk dans le rôle de l’avocat, qui a fait ses preuves dans Breaking Bad, et de Mary-Louise Parker, étonnante dans Weeds, pour le rôle de la ministre à la mémoire fragile. Quant au président du parti d’opposition, il devrait reprendre son propre rôle car personne ne peut autant surjouer l’innocence et la dignité blessée.
Pour être crédible, la série devra toutefois faire l’impasse sur une spécificité du droit français en matière d’écoute téléphonique : la distinction entre l’interception et sa transcription.
Beaucoup s’interrogent sur la légalité de l’interception des conversations entre l’avocat et son client. En droit positif, cette interrogation n’a pas vraiment de sens. Rien n’interdit en effet au policier chargé des interceptions d’écouter la conversation entre un client et son avocat.
En revanche, comme « le secret professionnel est sacré », il ne pourra pas la transcrire, c'est-à-dire la coucher sur un procès-verbal, si la correspondance relève de l’exercice des droits de la défense (C. pr. pén., art. 100-5). En effet, il faut bien que le policier écoute pour savoir si l’avocat a participé ou participe à la commission d’une infraction, auquel cas, il retrouve son pouvoir de transcription.
Si la conversation n’a rien révélé de tel, le policier en question fera appel à une brigade secrète d’hommes habillés de noir qui viendront, avec un « flashouilleur », lui ôter immédiatement tout souvenir de ladite conversation… Il ne faudrait pas, en effet, que le policier ait la tentation d’utiliser les informations qu’il a entendues, mais qu’il n’avait pas le droit de retranscrire… L’ouverture d’une enquête préliminaire, sur dénonciation anonyme, serait par trop déloyale [NDLR pour les lecteurs les plus fragiles : *sarcasme*].
De même, la sacralité du secret professionnel de l’avocat impose que le bâtonnier soit immédiatement informé de la mise sur écoute d’un de ses confrères (C. pr. pén., art. 100-7). Afin qu’il puisse contester la mesure et faire appel ? Non (C. pr. pén., art. 100, al. 2). Pour… rien. Juste pour dire que le bâtonnier est informé, et surtout, pour tester sa force de caractère puisque, évidemment, le secret professionnel et le secret de l’instruction lui interdiront de révéler la surveillance à quiconque…
Tout ceci laisse perplexe. Quant au fait qu’un ancien président de la République n’ait même pas un téléphone crypté… cela laisse rêveur.
Références
■ Code de procédure pénale
« En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d'emprisonnement, le juge d'instruction peut, lorsque les nécessités de l'information l'exigent, prescrire l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications. Ces opérations sont effectuées sous son autorité et son contrôle.
La décision d'interception est écrite. Elle n'a pas de caractère juridictionnel et n'est susceptible d'aucun recours. »
« Le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui transcrit la correspondance utile à la manifestation de la vérité. Il en est dressé procès-verbal. Cette transcription est versée au dossier.
Les correspondances en langue étrangère sont transcrites en français avec l'assistance d'un interprète requis à cette fin.
À peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense.
À peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un journaliste permettant d'identifier une source en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »
« Aucune interception ne peut avoir lieu sur la ligne d'un député ou d'un sénateur sans que le président de l'assemblée à laquelle il appartient en soit informé par le juge d'instruction.
Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d'instruction.
Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un magistrat ou de son domicile sans que le premier président ou le procureur général de la juridiction où il réside en soit informé.
Les formalités prévues par le présent article sont prescrites à peine de nullité. »
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