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« Terrorisme » ou « crime de guerre » : clarifions le débat en droit !
Depuis plusieurs jours, le débat français fait rage autour de la qualification des horreurs perpétrées par la branche armée du Hamas en Israël le 7 octobre dernier. Cristallisé par la communication officielle du groupe parlementaire La France Insoumise, les positions se sont rapidement polarisées autour leur refus, de prime abord peu compréhensible, d’évoquer des actes « terroristes » au profit de la qualification de « crimes de guerre ».
Cette posture n’est rien d’autre qu’une stratégie discursive fondée sur un agenda diplomatique que ne partage ni le Gouvernement, ni l’opinion publique choquée par l’enfer qu’ont subi les populations israéliennes visées. En droit international, la chose fait en effet peu débat : les atrocités commises par le Hamas sont des crimes de guerre, au sens du Statut de la Cour pénale internationale et des textes internationaux applicables comme les Conventions de Genève de 1949. Aucun doute sur ce point si on lit l'article 8 du Statut de Rome, qui crée la Cour pénale internationale (entré en vigueur le 1er juillet 2002, v. ici). Les crimes de guerre recouvrent entre autres l'homicide intentionnel, la prise d'otages, ou encore le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle. La qualification de crimes contre l’humanité, qui se distingue par le fait qu’il s’agit de crimes graves commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre la population, est également pertinente, l’article 7 du Statut de la CPI étant limpide : les meurtres « commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque », c'est-à-dire d'une attaque « commise à l'encontre d'une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d'un État ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque », relèvent du crime contre l'humanité. Enfin, il est bien sûr possible, en se fondant sur la volonté de semer la terreur comme sur la qualification de la branche armée du Hamas en tant qu’organisation terroriste par l’Union européenne (v. la position commune du 27 déc. 2001, ici), de parler de « terrorisme ».
Pour autant, dans ce contexte dramatique, le terme de « terrorisme » n’a pas d’importance particulière en droit international, et, surtout, n’est en aucun cas exclusif d’une autre qualification. Dans tous les cas, le droit international humanitaire, qui protège en particulier les populations civiles, doit en effet s’appliquer pour les deux parties. Qualifier l’action du Hamas de terrorisme n’est donc pas nier le crime de guerre : les actes terroristes peuvent constituer des crimes de guerre ou contre l’humanité. La qualifier, à l’inverse, de crime de guerre ne revient nullement, en droit, à nier qu’il s’agit de terrorisme : les deux, voire les trois qualifications peuvent être utilisées de concert.
Le choix d’utiliser l’une d’entre elles en particulier est un positionnement diplomatique. En évoquant un crime de guerre, la porte à un jugement des deux parties sur un pied d’égalité devant la communauté internationale est ouverte, conformément à l’idée, née en 1944-1945, qu’il doit exister une justice internationale pénale compétente pour juger les auteurs d’atrocités dépassant l’imagination humaine. Or, il existe des raisons objectives de souhaiter maintenir les deux parties – quand bien même l’une est coupable de terrorisme – sur un pied d’égalité devant la justice mondiale. Israël a commis plusieurs violations graves du droit international humanitaire, ce qui est reconnu clairement depuis 2004 et l’affaire de la construction du Mur en territoire palestinien occupé portée devant la Cour internationale de justice (CIJ, Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du 9 juill. 2004, v. ici). Elles sont constitutives de crimes de guerre, comme d’autres commis depuis lors. L’attaque terroriste du Hamas constitue également, on l’a dit, un crime de guerre et n’est pas le premier à l’actif de ce groupe. La réaction israélienne, qui implique des déplacements forcés de populations, la menace explicite d’une famine organisée et le bombardement de civils palestiniens, apparaît elle aussi génératrice de crimes de guerre. En somme, il existe manifestement des crimes de guerre et peut-être des crimes contre l’humanité des deux côtés et il conviendra, l’émotion passée, de tous les juger. La Cour internationale de justice le relevait déjà en 2004, son constat étant tristement d’actualité : « Israël doit faire face à des actes de violence indiscriminés, nombreux et meurtriers, visant sa population civile. Il a le droit, et même le devoir, d'y répondre en vue de protéger la vie de ses citoyens. Les mesures prises n'en doivent pas moins demeurer conformes au droit international applicable » (avis consultatif du 9 juill. préc., § 141).
En outre, il faut aussi préparer la paix et, comme le souligne Julian Fernandez interrogé sur les (infimes) marges de manœuvre de l'ONU pour parvenir à la rétablir, il est « difficile à présent de découpler les attaques terroristes de la situation plus globale et de la riposte israélienne » (J. Fernandez, « Attaque du Hamas : face à la dégradation de la situation sur place, que peut l’ONU ? », Le club des juristes, 17 oct. 2023, v. ici). On peut aller plus loin : c'est impossible. Dans tous les cas, il est une constante : parler uniquement de « terrorisme » ne permet pas d’envisager la paix entre États, et ferme la porte aux discussions. On ne discute pas avec des terroristes. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles la Norvège, comme de nombreux autres États, n’a pas reconnu la branche armée du Hamas comme une organisation terroriste : il s’agit de se réserver la possibilité de mettre les parties autour de la table – ainsi sont d’ailleurs nés les accords d’Oslo de 1993.
Dans l’émotion, il est (très) légitime de vouloir qualifier le pire de pire et dans ce contexte, exhorter à qualifier justement le « terrorisme » s’entend. Cependant, l’émotion ne doit pas conduire à ignorer qu’insister sur la qualification de crime de guerre est une position diplomatique induisant la possibilité d’une discussion ultérieure – même si elle paraît inconcevable. Insister sur le crime de guerre est une manière, sans doute peu entendable et certainement discutable, de mettre les deux parties sur un pied d’égalité juridique, en tenant compte du contexte de violation continue du droit international, y compris humanitaire, par Israël depuis des années en Palestine. Insister sur le crime de guerre, c’est aussi bien sûr pour certains acteurs politiques se positionner, conformément à leur ligne politique historique s’agissant de LFI, contre la position commune de l’Union européenne, selon laquelle le Hamas-Izz al-Din al-Qassem est une organisation terroriste. En revanche, insister sur la qualification de « crime de guerre » qui figure parmi les crimes de droit international les plus graves unanimement reconnus sur cette planète et inclut les actes de barbarie commis contre des civils, ce n’est certainement pas minimiser l’horreur qui s’est produite en Israël. Il ne s’agit que d’un discours de droit international, sans doute froid et objectif, qui doit être discuté et le cas échéant contesté comme tel.
Au-delà de l’épouvante indiscutable et de l’émotion, le manque de prise de hauteur des dirigeants politiques et de nombreux médias est frappant. Ceux-ci devraient amener à la réflexion, apporter de l’analyse et du contexte historique, et surtout refuser les discours simplistes conduisant à contraindre les uns et les autres à affirmer, à tort, que telle qualification est la seule pertinente. Ils ont ici une responsabilité historique : celle de lutter contre la « twitterisation » du débat public, qui réduit la complexité de toute analyse à quelques mots visant à faire exister médiatiquement leur auteur. Celle, aussi, de faire en sorte que les universitaires experts de ces sujets ne craignent pas de prendre la parole pour apporter une analyse académique, de peur d’être accusés de soutenir telle ou telle cause extrémiste par leur simple refus de simplifier à outrance des questions éminemment complexes. À l’heure où la France pleure de nouveau l’un de ses enseignants sauvagement assassiné dans l’exercice de ses nobles fonctions, il est plus que jamais fondamental d’ériger collectivement le recul et l’analyse en fondements de l’action politique, bien au-delà des bancs des facultés de droit…
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