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UFC Que choisir contre opérateurs mobiles : l’effectivité du droit de la consommation en question
Le droit de la consommation, dont la naissance coïncide en France avec l’adoption des lois Scrivener de 1978 et 1979 sur la protection des emprunteurs, a progressivement détaché les rapports contractuels unissant consommateurs et professionnels du droit commun des contrats. L’effectivité des droits spécifiques reconnus aux consommateurs est toutefois largement sujette à caution.
Compte tenu de la valeur des litiges, et même si l’action devant le juge de proximité aujourd’hui, le Tribunal d’instance demain, est soumise à des formalités simplifiées, les recours individuels des consommateurs à l’encontre des professionnels sont peu nombreux. Autrement dit, rares sont les consommateurs qui ont le temps et/ou la patience de faire valoir leurs droits en justice. De là à penser que les grandes firmes françaises parient sur le faible nombre de recours pour ne pas totalement respecter la loi, il y a un pas que le cynisme a, depuis longtemps, permis de franchir.
Ce n’est certainement pas « l’action en représentation conjointe », mise en place en 1992, et codifiée aux articles L. 422-1 et suivants du Code de la consommation, qui pourrait permettre de lutter contre ces « fautes lucratives ». Cette action, qui a pour but de permettre à une association de consommateurs, dûment mandatée, de représenter en justice des consommateurs ayant subi un préjudice identique du fait d’un même professionnel, est un échec total. D’abord, parce que la lourdeur de la gestion des mandats a dissuadé les associations de consommateurs d’intenter de telles actions. Ensuite, parce que, le voudraient-elles, elles n’ont aucun moyen de prévenir les consommateurs victimes de leur volonté de porter une action en représentation conjointe. L’article L. 422-1, alinéa 2, du Code de la consommation précise en effet que « le mandat ne peut être sollicité par voie d'appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d'affichage, de tract ou de lettre personnalisée ». Les associations ne peuvent donc être à l’initiative de l’action, et il faut qu’elles attendent d’être mandatées spontanément par les consommateurs. Or, le plus souvent, ces derniers ignorent qu’ils ne sont pas les seuls à avoir subi un préjudice…
L’association UFC Que choisir a pourtant tenté de dépoussiérer l’action en représentation conjointe grâce à un appel lancé sur… Internet. À la suite de la condamnation des trois grands opérateurs mobiles de l'époque par le Conseil de la concurrence (aujourd’hui Autorité de la concurrence) pour entente illicite, elle avait mis en ligne un calculateur permettant à chaque client d’évaluer le montant de leur préjudice. Ensuite, tout consommateur ayant utilisé ce calculateur était informé que « l’UFC Que choisir se mobilise pour que le préjudice de tous soit réparé », et était incité en conséquence à cliquer sur un lien permettant la constitution d’un dossier en vue de l’action en justice. La procédure a ainsi été annulée en appel, notamment sur le fondement de l’article L. 422-1 du Code de la consommation. Le pourvoi formé par l’UFC Que choisir a alors été rejeté dans une décision du 26 mai 2011, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation. La Haute juridiction a, pour ce faire, privilégié l’esprit de l’alinéa 2 de l’article L. 422-1 du Code de la consommation sur sa lettre. Elle a en effet pallié l’absence de référence à Internet dans la liste de l’article L. 422-1, alinéa 2, en généralisant l’interdiction à tous les appels par voie de communication de masse.
L’action en représentation conjointe étant bel et bien inutile pour faire face aux défis des fautes lucratives, il ne reste plus qu’à attendre que se manifeste l’arlésienne du droit processuel, c'est-à-dire l’action de groupe, et ce d’autant plus que le garde des Sceaux a affirmé vouloir l’autoriser dans un avenir proche… Reste que ce n’est pas la première fois que cette action est annoncée comme imminente. Elle suscite en effet de très fortes réticences au Medef qui brandit l’« argument massue » de la compétitivité des entreprises françaises. Faire payer aux entreprises françaises les réparations des préjudices qu’elles ont causés par leur violation de la loi, serait les désavantager dans la compétition internationale… Bel exemple d’inféodation de la loi, voire de la morale, aux contingences économiques. Voilà un « argument » qu’il faudrait d’ailleurs mettre en avant pour gagner quelques rangs dans le classement « Doing Business »… Le salut pourrait aussi venir d’une harmonisation à l’échelon communautaire. L’Union européenne était en effet en pointe dans ce domaine, un Livre vert et un Livre blanc ayant été consacrés à la question des recours collectifs des consommateurs. Mais c’était avant que la crise n’abatte son couperet sur les économies européennes. En temps de crise, l’effectivité des droits des consommateurs n’est plus une priorité.
Si les associations de consommateurs ne peuvent donc, à l’heure actuelle, prendre en charge l’action destinée à réparer les dommages subis par les consommateurs, elles peuvent cependant tenter d’éviter que les dommages en question ne surviennent. Pour ce faire, elles disposent en effet de l’article L. 421-6 du Code de la consommation qui leur permet agir devant la juridiction civile pour faire cesser ou interdire tout agissement illicite au regard, notamment, des dispositions relatives aux clauses abusives. L’UFC Que choisir, après avoir perdu une bataille, a donc ouvert un autre front en assignant 10 opérateurs mobiles afin de voir supprimer des modèles de contrats proposés aux consommateurs toute une série de clauses qu’elle estime abusives.
Reste qu’il est trop tard pour ceux qui ont déjà signé leur contrat, sauf à ce qu’ils intentent eux-mêmes une action individuelle devant la juridiction civile sur le fondement de l’article L. 132-1 du Code de la consommation. Le feront-ils ?
Références
■ Loi n° 78-22 du 10 janvier 1978 relative à l’information et à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit.
■ Civ. 1re, 26 mai 2011, Bull. civ. I, n° 10-15676.
■ Entretien de Madame Taubira accordé au Parisien, publié le 22 juin 2012 : http://www.leparisien.fr/faits-divers/christiane-taubira-veut-autoriser-les-class-actions-22-06-2012-2060771.php
■ Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et abus de position dominante, COM 2008, 165 finals du 2 avril 2008.
■ Livre vert sur les recours collectifs des consommateurs.
■ Communiqué d’UFC Que choisir :
■ Code de la consommation
« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Un décret en Conseil d'État, pris après avis de la commission instituée à l'article L. 534-1, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.
Un décret pris dans les mêmes conditions détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu'elles portent à l'équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa.
Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies.
Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l'autre.
Les clauses abusives sont réputées non écrites.
L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses.
Les dispositions du présent article sont d'ordre public. »
« Les associations mentionnées à l'article L. 421-1 et les organismes justifiant de leur inscription sur la liste publiée au Journal officiel des Communautés européennes en application de l'article 4 de la directive 2009/22/ CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs peuvent agir devant la juridiction civile pour faire cesser ou interdire tout agissement illicite au regard des dispositions transposant les directives mentionnées à l'article 1er de la directive précitée.
Le juge peut à ce titre ordonner, le cas échéant sous astreinte, la suppression d'une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur. »
« Lorsque plusieurs consommateurs, personnes physiques, identifiés ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d'un même professionnel, et qui ont une origine commune, toute association agréée et reconnue représentative sur le plan national en application des dispositions du titre Ier peut, si elle a été mandatée par au moins deux des consommateurs concernés, agir en réparation devant toute juridiction au nom de ces consommateurs.
Le mandat ne peut être sollicité par voie d'appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d'affichage, de tract ou de lettre personnalisée. Il doit être donné par écrit par chaque consommateur. »
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