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Le billet
Un droit du travail en perte de repères
Les réformes du droit du travail menées depuis au moins trente ans partagent, pour une majorité d’entre elles, la croyance en l’existence d’un lien de causalité entre la réglementation du droit du travail et la création d’emplois. D’inspiration néo-libérale, nombre d’entre elles ont ainsi promu la flexibilisation du droit du travail voire la déréglementation, perçue comme une source de vigueur nouvelle pour l’économie.
Les ordonnances adoptées le 22 septembre dernier ont poursuivi, prolongé et amplifié nombre de remèdes déjà administrés au droit du travail français : assouplissement des procédures de licenciement, limitation des indemnités prud’homales, simplification des contraintes liées à la consultation des représentants du personnel, promotion du rôle de l’accord collectif d’entreprise, etc.
Bien d’avantage que par le choix des thèmes de réforme, elles frappent l’esprit par l’ampleur des transformations qu’elles imposent.
Si la quête de la simplification de l’organisation des institutions représentatives du personnel n’est pas sans précédent, avec en particulier la place essentielle faite à la délégation unique du personnel depuis la Loi Rebsamen du 17 août 2015, la fusion des institutions élues de représentation du personnel dans un Conseil social et économique (CSE) représente à l’évidence une évolution historique de la physionomie de l’organisation de l’entreprise, même si les attributions autrefois conférées aux différentes institutions sont pour l’essentiel maintenues.
De même, l’allègement du caractère contraignant des règles relatives au licenciement ainsi que la mise en place de montant minimaux et maximaux en cas de licenciement injustifié conduisent à amoindrir significativement le rôle des juges, à réduire des indemnités dues et à rendre plus difficile la preuve de la cause de licenciement. Enfin, la promotion de la force de l’accord collectif d’entreprise confortera le déclin de l’accord de branche, il est vrai déjà mal en point.
Au-delà de ces évolutions profondes de la teneur des normes, la réforme engagée peut susciter nombre d’inquiétudes sur le devenir du droit du travail et la capacité de cette branche du droit à offrir une protection suffisante aux personnes engagées dans un rapport subordonné de travail. La première tient d’abord à l’aptitude du droit à offrir concrètement une protection des droits proclamés par le code du travail, ce que l’on désigne communément comme la réalisation du droit. Celle-ci tient d’un savant équilibre entre des règles de fond, des règles de procédure et de preuve et de sanctions appropriées.
Cet équilibre semble aujourd’hui déstabilisé en ce qui concerne le droit du licenciement -traditionnellement qualifié de pierre angulaire du droit du travail. La loi et la jurisprudence avaient patiemment réussi à édifier un régime de protection ferme du respect des procédures de licenciement, qui seules peuvent permettre d’établir le motif réel de licenciement. La faculté offerte aux entreprises de corriger ou compléter des motifs initialement invoqués, tout comme le plafonnement des indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ne fera peser qu’une menace très relative à l’encontre des licenciements injustifiés ou arbitraires. Ainsi affaibli, le droit du licenciement sera moins à même de protéger les salariés contre des motifs de licenciement injustifiés, voire contre des licenciements attentatoires aux droits et libertés des personnes, faute de pouvoir établir leur motif réel.
Tout aussi inquiétante est sans doute la perte du sens de nombre de règles du droit du travail. Est substituée à la règle de faveur une nouvelle règle d’articulation qui assure la primauté de l’accord de branche limité à treize domaines, sauf à adopter des « garanties au moins équivalentes » par accord d’entreprise (C. trav. L. 2253-1). Mais que peut être une garantie équivalente ? Et pourquoi limiter à treize domaines cette prétendue primauté ? Par-delà les petits compromis décidés avec les organisations professionnelles, le texte parvient difficilement à convaincre d’une conception rationnelle de l’organisation des relations de travail.
Derrière le projet affiché de « libérer les énergies et offrir de véritables protections aux salariés », les ordonnances du 22 septembre 2017 invitent à réfléchir au sens du nouveau droit du travail qui émerge des réformes en cours. La pluralité des objectifs qui lui sont assignés conduit à s’interroger sur ses fonctions : tient-il désormais d’un droit économique, d’un droit de l’organisation ou d’un droit de l’emploi davantage que d’un droit de la protection des personnes ? Ces réformes ne manquent en conséquence de nous interroger sur le sens même de cette branche du droit ainsi que sur l’effectivité des protections qu’elle est censée assurer.
Ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective
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