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Le billet

[ 16 février 2021 ] Imprimer

Un exemple de procrastination législative : la « lutte » contre l’artificialisation des sols dans le projet de loi climat

Remettre au lendemain ce qui aurait pu être fait aujourd’hui, amis lecteurs, étudiants ou télétravailleurs, voilà une tentation que vous connaissez bien et dont je confesse, pour ce qui me concerne, goûter fréquemment les poisons et délices. Et bien, force est de constater que législateur lui-même n’est pas à l’abri de cette tentation. Prenons-en comme exemple les dispositions du récent projet de loi « Climat », ou plus exactement « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets », et tout particulièrement celles du chapitre III de son titre IV « lutter contre l’artificialisation des sols en adaptant les règles d’urbanisme ».

Lisons tout d’abord l’objectif programmatique qui est fixé (art 46. I): 

« La France s'engage à réduire l'artificialisation des sols, dans les conditions et selon les modalités prévues au présent chapitre sur les dix années suivant la promulgation de la présente loi, en se fixant comme objectif de ne pas dépasser la moitié de la consommation d'espace réelle observée sur les dix dernières années précédant l'entrée en vigueur de la même loi, et à poursuivre l'objectif de zéro artificialisation nette ».

Comprenez-vous mieux que moi ce que signifie cette phrase ? Cela signifie-t-il que dans 10 ans, le rythme annuel d’artificialisation sera au maximum de 50% de ce qu’il était au cours de la décennie précédente ? Ou bien, ce serait apparemment plus ambitieux, qu’entre 2022 et 2032 on aura artificialisé deux fois moins qu’entre 2011 et 2021 ? Je n’ai trouvé qu’un indice : dans l’étude d’impact on trouve p. 421 un graphique qui semble indiquer que c’est la première interprétation qui est la bonne et que donc pendant encore dix ans on sera au-dessus de l’objectif de réduction de moitié de l’artificialisation.

Et je ne parle même pas de l’objectif du « zéro artificialisation ». C’est une ligne d’horizon qui, comme telle, recule en même temps que son spectateur avance…

Mais restons sur la réduction de moitié au bout de dix ans. Objectif louable et impressionnant me direz-vous. Mais est-ce si sûr ? Il existe un site internet gouvernemental dédié qui fournit des données annualisées sur l’artificialisation.

Or, que constate-t-on à la lecture du graphique ? Que de 2009-2010 à 2018-2019, soit une période dix ans, on est passé de 32660 ha artificialisés à 23528 ha en rythme annuel, soit une baisse de 30%. Et si l’on joue un peu avec les données on se rend compte que sur la période 2011-2012 à 2015-2016 on est même arrivé à un rythme de près de 50% de baisse.

Replacé à la lumière de ces évolutions, l’objectif du projet de loi est donc beaucoup moins impressionnant puisqu’il ne double même pas le rythme « naturel » de la baisse constaté ces dix dernières années. Dit autrement, la politique volontariste de réduction de l’artificialisation est remise au lendemain ou plus exactement aux prochaines décennies.

Mais là ne s’arrête pas la procrastination du projet. 

Cet objectif, comment croyez-vous qu’il va être atteint ? 

En imposant aux documents d’urbanisme une révision immédiate de leurs projets d’ouverture à l’urbanisation ? 

Que nenni.

En leur imposant de mettre en œuvre un coefficient de densification un peu à la manière du taux de logements sociaux de l’article 55 de la loi SRU ? 

Nullement !

Il emprunte les chemins sinueux de notre planification d’urbanisme : 

Six mois après l’entrée en vigueur de la loi, le niveau régional de planification stratégique (SRADDET ou SDRIL en Ile-de-France) doit engager une procédure de modification pour intégrer cet objectif.

Trois mois après l’entrée en vigueur de cette modification, le SCOT doit engager une procédure de modification pour intégrer l’objectif.

Et enfin, c’est le tour du PLU avec une date butoir au 1er juillet 2025 pour intégrer l’objectif.

C’est-à-dire que pendant les trois premières années de cette période décennale il ne se sera concrètement rien passé sur le terrain. 

Procrastination, vous dis-je…

Et encore, comme vous le savez, chers lecteurs, la relation juridique entre ces divers documents est placée sous le signe d’un simple rapport de « compatibilité », y compris pour cet objectif, autant dire qu’une commune ou une intercommunalité un peu récalcitrante pourra se contenter d’un effort minimal pour sembler respecter ce fameux objectif.

Cette lenteur est d’autant plus dommageable qu’outre les conclusions de la convention citoyenne, le Gouvernement avait déjà en main un certain nombre de propositions beaucoup plus radicales issues de rapports qu’il avait commandés, et notamment d’un rapport de France Stratégie de 2019.

Lisons les conclusions de ce rapport : 

« Afin de réduire l’impact des nouvelles constructions sur l’artificialisation, les outils réglementaires sont les plus susceptibles d’avoir un effet de grande ampleur. Un ajustement des outils fiscaux pour éviter les incitations à l’artificialisation pourrait utilement les compléter. Plusieurs mesures sont possibles : 

-        imposer une obligation de densification par l’instauration dans les PLU i) d’un plancher de densité, c’est-à-dire d’un coefficient d’occupation des sols minimal ; ii) d’un taux plancher de renouvellement urbain dans chaque commune pour les constructions nouvelles. Ce plancher serait vérifié annuellement, via le suivi des permis de construire, et des sanctions administratives pourraient être envisagées a posteriori ; 

-        exclure de l’éligibilité au dispositif Pinel et au prêt à taux zéro les constructions sur des terres non artificialisées ; 

-             exonérer totalement de taxe d’aménagement les projets qui ne changent pas l’emprise au sol du bâti (surélévation, rénovation, reconstruction) (J. Fosse, Objectif « zéro artificialisation nette » :  quels leviers pour protéger les sols ?, rapport France stratégie 2019).

On le voit, des mesures fortes, directement applicables avec une stratégie fiscale d’accompagnement. Le projet de loi ne les a pas retenues. Nul doute que s’il n’est pas infléchi dans le cours de la procédure d’adoption, il faudra, demain, retravailler sur le sujet. Ou après-demain…

 

Auteur :Frédéric Rolin


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