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Le billet

[ 13 décembre 2021 ] Imprimer

Un exercice périlleux de démocratie participative

Il n’est pas rare d’associer l’Union européenne à un déficit démocratique dans son fonctionnement, afin d’appeler à des réformes ou de contester sa légitimité. Des carences existent sans doute, nul ne peut le nier, et d’ailleurs des mesures ont été régulièrement adoptées pour y remédier. Il en fut ainsi notamment du renforcement du rôle du Parlement européen au sein du système institutionnel, de la participation des parlements nationaux au processus législatif ou de la création de l’initiative citoyenne européenne (ci-après ICE). 

L’Union européenne s’est donc engagée dans un exercice particulier de démocratie participative à destination des citoyens, avec la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Cette dernière a été lancée le 9 mai 2021 et elle est dirigée par une présidence tripartite, celle du Conseil de l’Union, du Parlement européen et de la Commission européenne. Elle comprend une assemblée plénière réunissant des membres des institutions et organes européens et des parlementaires nationaux. Une particularité irrigue la Conférence : elle offre la possibilité aux citoyens de participer aux débats par le biais d’une plateforme numérique. Les particuliers, de même que toute organisation, peuvent proposer des idées, commenter celles des autres, voire créer un évènement au niveau national. En outre, des panels de citoyens sont institués pour débattre de grands thèmes identifiés, identiques à ceux présents sur la plateforme (Changement climatique et environnement, Santé, Economie, justice sociale et emploi, UE dans le monde, Valeurs et droits, état de droit, sécurité, Transformation numérique, Démocratie européenne, Migration et Éducation, culture, jeunesse et sport). Les conclusions sont attendues pour mars 2022, au moment même de la présidence française. 

Si le processus est connu, l’exercice est périlleux étant donné qu’un tel évènement ne peut être convaincant que si la participation est substantielle et si les propositions retenues sont en mesure de se concrétiser. À défaut, l’exercice restera théorique.

Sur le premier élément, l’objectif est déjà partiellement atteint. Selon un rapport intermédiaire de septembre 2021, il est indiqué qu’au 7 septembre, 22 498 contributions et 2079 évènements avaient été programmés. La démocratie européenne et le changement climatique sont les deux thèmes ayant généré le plus d’activités. Le nombre de contributions est néanmoins relativement faible au regard du nombre de citoyens européens et d’organisations. De même, les travaux devraient faire l’objet d’une plus grande audience. En l’absence d’une plus grande amplitude, la démocratie participative en restera au stade d’une annonce et les conclusions en seront contestées. 

Sur le deuxième élément, la concrétisation de la Conférence, celle-ci reste imprécise, laissant des questions en suspens et appelle trois remarques :

- la première est que son organisation nous renvoie dans sa représentation à la logique d’une conférence intergouvernementale, préparant la modification des traités. Le caractère solennel de la démarche est renforcé par la place accordée aux citoyens et notamment par la création de panels. Cependant, quel sera l’avenir des propositions dégagées ? Est-ce que seules les propositions relatives aux compétences déjà reconnues à l’Union ont vocation à trouver un prolongement par un acte de droit dérivé ou est-ce que les propositions doivent initier une réforme des traités ? L’enjeu n’est pas le même et l’avenir de l’Europe inclut sans doute une modification des traités ;

- la deuxième remarque est dans le prolongement de la précédente avec le rôle assigné à la Commission. Cette dernière s’est montrée au cours des dernières années, très réservée sur l’ICE. La Cour de justice lui a même rappelé dans plusieurs décisions l’importance du mécanisme et de son respect (par ex. : Tribunal de l’UE, 10 mai 2017, Michael Efler c/ Commission européenne, T-754/14). Sans doute constitue-t-elle, tout autant que cette conférence, un outil continu de propositions directement émises par les citoyens dans les compétences législatives de l’UE. La Commission saura-t-elle reprendre les propositions des citoyens et dans quelle mesure y sera-t-elle obligée, au risque d’avoir les mêmes critiques que pour la Convention citoyenne sur le climat en France ?

- la troisième remarque est que les représentants des institutions et les experts sont très présents dans le processus et que le travail des panels est très encadré. Il est permis de se demander quelle sera véritablement la part prise par les citoyens dans le rapport final et les inflexions qu’ils auront pu avoir dans les discussions. Ces interrogations nous renvoient par opposition à la place qui devrait être accordée aux contributions déposées sur la plateforme et qui sont sans doute plus libres dans leur formulation et leur contenu.

La démarche demeure, malgré ces interrogations, séduisante, mais elle laisse perplexe quant au rôle accordé réellement aux citoyens et aux bénéfices qui en résulteront. Le risque est que cette conférence se cantonne à un outil de communication. Il est dans le même temps dommage que l’ICE ne soit pas davantage dynamisée et que le Conseil européen ne rappelle pas à la Commission le rôle essentiel de cet instrument. Ce serait un pas immédiat pour l’intégration du citoyen dans le processus législatif et sans doute un moyen plus sûr de renforcer la démocratie, idéal européen.

 

Auteur :Vincent Bouhier


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