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Un fait divers/une loi : retour sur un couple postmoderne
L'actualité de cette dernière semaine a remis en scène un couple désormais célèbre : un fait divers particulièrement horrible, et dès le lendemain, l'intervention d'un ministre pour annoncer qu'il va, entre autres mesures, déposer un amendement, voire un projet de loi complet, pour permettre une sanction plus sévère de futurs auteurs de tels faits.
À la vérité, et quoi qu'on dise, dans son principe, le fait d'adapter la loi à des faits sociaux n'est pas fondamentalement démagogique. C'est même dans la logique de la norme juridique que d'embrasser des situations nouvelles : l'idéologie de la fixité de la règle de droit, issue de la vénération du Code civil, est sans doute pour plaire aux juristes, mais elle a des conséquences lourdes pour ceux qui ne bénéficient pas d'évolutions attendues. Les millions d'ouvriers du xixe siècles soumis au contrat d'entreprise en savent quelque chose.
Mais évidemment, si l'adaptation du droit est une bonne chose, la réponse réflexe et donc irréfléchie aux événements en est une autre. Il est clair que dans les annonces qui ont été faites cette semaine, il y a une large part de cette réponse réflexe, puisque l'essentiel du dispositif proposé existe déjà.
La question du moteur de cette mécanique médiatique se pose alors de manière différente.
On peut y voir d'abord le maintien d'une révérence, symbolique peut-être mais révérence tout de même pour la loi. De fait, l'annonce d'une loi ne peut avoir une valeur médiatique que si la loi elle-même a une valeur.
On peut également y voir, l'un n'exclut pas l'autre, la manifestation d'une expression archaïque du pouvoir : transformer le « dire » en « faire » : seul le pouvoir a en effet la capacité de transformer des mots en normes et annoncer une loi conduit justement à transformer la parole « nous allons réprimer » en une norme juridique « nous allons créer une nouvelle norme de répression ».
Mais on peut encore y voir, presque symétriquement, la dévaluation de la parole publique : c'est précisément parce que dire « nous allons réprimer », ne suffit plus qu'il faut ajouter à cette parole la valeur normative qui seule la rend crédible.
Et naturellement, enfin, il est permis de se demander si cette parole est « efficace » en même temps qu'elle se veut normative. Cela est peu probable, car il en est dans le monde des rapports sociaux comme celui de l'économie : les auteurs ne cherchent plus une véritable action (c’est-à-dire un acte de gouvernement au sens latin), mais davantage la production d'une « confiance ». Notre monde de signes et de sens ne permet plus de s'assurer concrètement d'une action, et il faut donc que celui qui a en charge d'agir donne des signes qui rendent crédible le fait qu'il agit.
Le couple fait divers/loi est donc sans doute plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. Il donne de la loi, et donc du droit, une vision qui remet en cause des conceptions classiques et mérite ainsi d'être médité avant de pouvoir être critiqué.
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