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Un même réchauffement, mais un seul pacte vert : l’UE seul contre tous ?
Les dernières semaines ont été marquées par les nombreuses images des incendies en Australie, après ceux du Brésil et de la Californie. Le phénomène n’est pas nouveau. Les années précédentes, la Sibérie, la Grèce, le Portugal ou encore l’Indonésie furent durement touchés. La situation de l’Australie marque davantage les esprits par les surfaces concernées, le nombre de foyers et la durée de ces feux, ainsi que les impacts sur la faune qui sont davantage identifiés et médiatisés. De plus, ces feux atteignent des régions plus peuplées, modifiant les conditions de vie des habitants et interrogeant tout à chacun. L’obligation d’évacuer des milliers personnes prises au piège et contraintes de se réfugier sur les plages participe à une perception plus directe de l’ampleur de la catastrophe.
Face à cette situation, la question du réchauffement climatique est bien évidemment posée, mais elle appelle manifestement à des postures différentes et à des solutions politiques opposées. Le Premier ministre australien ne nie plus le réchauffement climatique, mais il en tire deux conséquences pour son pays. L’Australie n’est pas responsable du réchauffement climatique au niveau mondial et les décisions prises pour lutter contre le réchauffement doivent être considérées à l’aune des intérêts de l’Australie et spécifiquement de ses intérêts économiques. Sur ce dernier élément, cette position n’est pas isolée au sein des responsables politiques, elle est même partagée en Pologne, en République tchèque, au Brésil ou encore au niveau fédéral aux États-Unis. Cette politique consiste à imputer aux autres l’origine du réchauffement climatique et à inciter à ce que les efforts soient produits par d’autres. Cette logique feint d’ignorer que chacun participe à ce réchauffement et que les efforts consentis sont nécessaires au bénéfice de tous. En effet, les questions environnementales ne connaissent pas les frontières, position qu’a su affirmer la Cour de justice à propos de la gestion durable d’un bois dans l’arrêt du 22 novembre 2018, Vlaams Gewest, (C-679/17, § 25 à 27). De plus, le coût des catastrophes naturelles ne cesse d’augmenter et l’Australie, comme d’autres pays, subira les conséquences, ici des incendies, économiques et ne serait-ce qu’immédiatement en matière de santé.
L’Union européenne opère un choix radicalement inverse au travers de la présentation du Pacte vert pour l’Europe, en retenant une démarche volontariste. La question n’est plus de déterminer la part de responsabilité de l’Union dans ce phénomène, mais comment agir pour atteindre l’objectif de neutralité carbone pour cette région de monde pour 2050. Ce pacte a fait l’objet d’une communication le 11 décembre 2019 et d’une présentation de son financement devant le Parlement européen le 14 janvier 2020. Ce texte est ambitieux, chaque politique de l’Union devant prendre en considération cette dimension, tout en s’appuyant sur une mobilisation de 1 000 milliards d’euros. Ce pacte a également une ambition économique, n’éloignant pas l’Union européenne de l’Australie sur cette préoccupation. La différence est que l’Union européenne a décidé de faire de cette transition un atout pour sa compétitivité, en imposant ses propres normes et ses contraintes à ses partenaires commerciaux pour l’accès au marché intérieur et pour devenir leader dans de nombreux domaines et limiter une concurrence frontale.
Cependant, ce pacte n’est pas exempt de critique, notamment parce que ce dernier a beaucoup de l’effet d’annonce :
Premièrement, le pacte s’appuie sur des mesures qui ont déjà été annoncées ou qui sont déjà en cours de réalisation. Il s’agit plus particulièrement de tous les développements liés à une amplification des énergies renouvelables, tout comme sur la transition énergique en matière de transport, de l’organisation de filières autour de la voiture électrique, le déploiement de la domotique. Le pacte est dès lors avant tout un marqueur politique pour la nouvelle Commission, l’élaboration de nouvelles mesures attendra notamment dans le secteur agricole. Plus largement, le pacte est dépendant de l’initiative d’autres acteurs, principalement les États et les entreprises.
Deuxièmement, le pacte place l’environnement au cœur des politiques européennes, mais la politique européenne de l’environnement est déjà une politique transversale au regard de l’article 11 TFUE qui précise que « les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable ». Sans doute le respect de cet article est-il décevant, mais l’obligation existe déjà.
Troisièmement, le pacte repose sur l’importance de la somme consacrée, 1 000 milliards d’euros. Cette somme est en réalité très virtuelle pour l’instant et sans doute pour l’avenir. En effet, le contenu de la présentation faite le 14 janvier devant le Parlement européen permet de considérer que l’Union européenne va abonder dans un premier temps et réellement à hauteur 52, 5 milliards d’euros, dont 7, 5 milliards d’euros au travers d’un fonds structurel dédié. Le montant des fonds structurels pour la période 2014-2020 était de 451 milliards d’euros, ce qui conduit à relativiser la somme. Les autres financements sont la participation des États en cofinancement pour prétendre au 7, 5 milliards d’euros à la condition que la région éligible, les prêts au secteur public par la Banque européenne d’investissement et enfin la création d’un dispositif InvestUE, dont la dotation envisagée est de 45 milliards, mais à la condition qu’il y ait un cofinancement des opérateurs privés.
Ainsi, si la prise de conscience est réelle au niveau européen avec la mise en œuvre de politiques volontaristes, dont celle de l’énergie, dont le bilan mérite d’être souligné, la réalisation de l’ambition souffre d’une vraie difficulté : une réorientation des budgets et la capacité à faire des choix économiques de rupture, d’autant plus quand le coût des catastrophes naturelles est aujourd’hui évalué à l’échelon mondial autour 126 milliards par an au cours des vingt dernières années par les Nations-Unies, confirmant les chiffres des assureurs, coût qui ne cesse de croître.
Nous en sommes encore à préférer réparer que prévenir.
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