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[ 2 juin 2025 ] Imprimer

Une nouvelle loi pour les salariés « expérimentés » aux apports limités

 

« Expérimentés », tel est désormais le qualificatif employé pour désigner des salariés en fin de carrière. Ces salariés sont-ils « rendus habiles par l'expérience » ou sont-ils objet d’expérimentations ? On ne saurait trop dire, mais il faudrait interroger cette évolution sémantique : ceux que l’on désignait naguère comme des « vieux travailleurs », des « travailleurs âgés » puis des « séniors » sont devenus « expérimentés »… alors que l’une des questions essentielle est d’adapter des compétences.

Derrière les litotes pour désigner le vieillissement, les questions demeurent : l’âge est pour les travailleurs un risque, qu’il entraîne une fragilisation de la santé, une obsolescence des qualifications ou la mise à l’écart pure et simple du marché du travail. Si leur taux d’emploi a progressé ces dernières années, il reste inférieur à la moyenne des pays européens : seuls 38,9 % des salariés de 61 à 64 ans sont en emploi en France, contre 65,3 ans en Allemagne. L’effet principal vient, pour une large part, d’un âge de départ à la retraite différent, mais pas seulement :  notre pays est marqué depuis longtemps par une sortie précoce du marché du travail. 

Les déficits sociaux et les tensions sur le marché du travail invitent aujourd’hui à imaginer des réformes : c’est ce qu’on fait les partenaires sociaux le 14 novembre 2024 dans un accord national sur l’emploi des salariés expérimentés. Le projet de loi « portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social », déposé au Sénat le 7 mai 2025, prévoit de transposer fidèlement cet accord. Le moins que l’on puisse dire est que les partenaires sociaux, comme les pouvoirs publics, n’ont pas fait l’objet d’une imagination débordante. Les principales mesures retenues existaient plus ou moins auparavant, et on se contentera donc d’amplifier des dispositifs précédemment expérimentés. Sans doute, ces nouvelles règles ne seront-elles pas sans effet, mais on peut douter qu’elles permettent de traiter définitivement cette importante question. 

Trois principales mesures sont mises en avant. 

La première est le (re)déploiement d’une obligation de négocier sur l’emploi des travailleurs « expérimentés, en considération de leur âge ». Cette négociation s’imposera d’abord au niveau des branches, un niveau important pour envisager l’évolution des qualifications et le déploiement des actions de formation prioritaires. La loi ne fixe pas de borne d’âge, à juste titre, car l’évolution des compétences doit être envisagée tout au long de la carrière sans viser les salariés d’un âge déterminable. Les branches devront négocier sur ce thème tous les quatre ans. Le futur article L. 2241-14-1 liste les différents thèmes de négociation. Outre le fait qu’il n’existe pas de sanction directe pour de telles négociations (mais de possibles pressions des pouvoirs publics), il faut souligner qu’une négociation obligatoire de branche sur les compétences des séniors avait été mise en œuvre en 2003, avant d’être abrogée en 2013, avec des résultats incertains. L’obligation se déclinera également avec une négociation obligatoire dans les entreprises de plus de 300 salariés tous les trois ans si un accord d’entreprise ou de branche le prévoit, ou à défaut tous les quatre ans. Ce thème devra désormais faire l’objet d’une négociation spécifique, portant sur l’emploi, le travail et l’amélioration des conditions de travail des salariés expérimentés. Ce thème n’est pas nouveau, car il était intégré à la négociation plus générale de la négociation sur la gestion prévisionnelle de l’emploi. L’intérêt de la réforme est de permettre de recueillir des données spécifiques et d’imposer une négociation séparée, sanctionnée pénalement. 

La deuxième mesure du texte est la mobilisation des entretiens professionnels en cours de carrière pour permettre de mieux anticiper les effets de l’âge : l’entretien de mi-carrière (à 45 ans) sera désormais couplé à la visite médicale organisée aussi à ce moment. S’y ajoutera un autre entretien mené dans les deux ans qui précèdent l’âge de 60 ans. La loi précise les différents thèmes de ces entretiens. 

La dernière mesure à relever est la mise en place d’un contrat de valorisation de l’expérience, s’adressant aux demandeurs d’emploi de 60 ans et plus. La facilitation de l’embauche sera permise par la possibilité d’imposer une mise à la retraite dès qu’il est éligible à une retraite à taux plein (alors qu’il faut attendre 70 ans en principe) et une exonération des cotisations patronales sur les indemnités de mise à la retraite. 

Le texte comprend d’autres mesures, comme la facilitation du recours au temps partiel en fin de carrière. Le texte est appelé à être complété par la suite puisqu’il devrait être complété (ce qui est un peu curieux du point de vue du processus législatif) par l’intégration des dispositions issues d’un futur accord sur les transitions et reconversions professionnelles, en cours de discussion. 

Ce texte, dont le contenu final n’est donc pas connu, peut d’ores et déjà être vu comme une pierre supplémentaire dans la construction de dispositifs destinés à favoriser l’emploi des travailleurs âgés, mais il est à douter que l’incitation à la négociation, la tenue d’entretiens individuels et une incitation molle à l’embauche changent véritablement une situation que nous connaissons depuis trop longtemps. 

Référence :

■ Dossier législatif à consulter sur le site du Sénat : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl24-600.html

 

Auteur :Frédéric Guiomard


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