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Le billet
Une réforme des institutions, pour quoi faire ?
La manière dont se sont engagés la réflexion et le débat sur la réforme des institutions qui faisaient partie des engagements de campagne du candidat Macron est à la fois singulière, intéressante, mais aussi préoccupante.
Singulière, elle l’est tout d’abord parce qu’elle rompt avec la pratique, qui était presque devenue une coutume, des « comités » d’experts, chargés de construire la réflexion et les avant-projets de textes qui servaient de point d’appui aux initiatives exécutives et à la délibération de la représentation nationale. Ces comités d’experts avaient sans doute un réel intérêt, et la meilleure preuve est que leurs travaux continuent d’irriguer la réflexion constitutionnelle durant une longue période. Qui ne se rappelle, par exemple, avoir entendu parler des travaux du « comité Vedel » ou du « comité Balladur » au cours de ses enseignements de première année de droit constitutionnel ? Mais ils présentaient également des limites liées à l’ambiguïté de leur statut, tiraillés qu’ils étaient entre une fonction prospective de réflexion générale et le souci de répondre à une commande présidentielle ou gouvernementale et de produire ainsi des propositions acceptables aussi bien par l’exécutif que par la représentation nationale. Que l’on songe ainsi à la place des anciens Présidents de la République au Conseil constitutionnel, critiquée mezza voce dans le rapport de la commission Vedel, non mentionnée dans le rapport du comité Balladur, alors que chacun sait qu’il s’agit d’une incongruité qui aurait dû être corrigée depuis bien longtemps, mais qui rencontrait des oppositions politiques fortes.
À cette construction « comitologique », la démarche actuelle a substitué une construction politique du projet de réforme des institutions. Cette construction politique repose tout entière sur la nécessité de parvenir à faire adopter celles des dispositions qui exigent une révision constitutionnelle dans les conditions prévues par l’article 89 de la Constitution avec par conséquent l’accord des deux assemblées et une majorité élargie. Il fallait donc que le projet conjugue une ambition réformatrice forte, dans la ligne de conduite que s’est fixée le nouveau Président de la République et une « acceptabilité » politique qui s’étende au-delà de la majorité parlementaire dont dispose le Président à l’Assemblée nationale.
Et le fait est que s’il n’est pas encore démontré que cette démarche a réussi, du moins elle n’a pas encore échoué et les propositions sur lesquelles elle s’appuie semblent à ce stade susceptibles de recueillir cet accord majoritaire élargi.
Cette démarche singulière est intéressante parce qu’indéniablement elle a permis de faire « bouger les lignes » bien au-delà de ce qu’auraient pu faire les travaux d’un comité doté d’une légitimité plus académique que politique. Ainsi, notamment, la réduction du nombre des parlementaires ou la mise en place d’une dose de représentation proportionnelle dans leur élection sont des propositions qui n’ont de sens que si elles sont portées voire formulées politiquement. Si elles sont le fait d’experts, de telles propositions rejoignent immédiatement le magasin des accessoires constitutionnels.
Elle est encore intéressante en ce qu’elle nous montre comment se construisent les conditions d’un consensus autour d’une réforme institutionnelle : il fallait à la fois essayer de maintenir les ambitions réformatrices évoquées plus haut et en même temps de poser les termes d’une transaction avec les possibles oppositions à la réforme. Que ce soit sur la réduction du nombre des parlementaires, sur l’interdiction de plus de trois mandats successifs pour un élu ou encore sur l’instauration d’une dose de représentation proportionnelle pour les élections législatives, la dynamique de la réforme négociée a permis de rendre acceptable ces propositions, ce qui était loin d’être acquis à l’origine.
Mais cette démarche, pour intéressante qu’elle soit est aussi à plusieurs titres préoccupante.
Le principal sujet de préoccupation est celui de savoir quel est en définitive le but de la réforme projetée des institutions dans les discussions qui ont été menées depuis l’automne 2017, dans la perspective transactionnelle évoquée plus haut, on a souvent perdu de vue le discours des fins au profit d’un débat sur les moyens de la réforme : à titre d’exemple le débat sur la réduction du nombre des parlementaires a essentiellement tourné autour de la question de leur « ancrage territorial » de la « réduction des coûts » et de la sacro-sainte « modernité ».
On aurait pourtant aimé que l’on nous explique quelle vision de l’équilibre constitutionnel de nos institutions était dessinée par ce projet. Les formules incantatoires sur la modernité ne peuvent tenir lieu de ligne de conduite. Or, l’expression la plus achevée de l’ambition du projet, que l’on trouve dans le discours du Premier ministre annonçant le dépôt des futurs projets de textes est fort décevante. On peut la citer in extenso car elle tient en quelques lignes :
«Nous souhaitons aujourd’hui porter une nouvelle ambition, qui requiert pour partie une révision de notre loi fondamentale dont la philosophie d’ensemble sera bien entendu préservée. Car il ne s’agit ni de revenir à la IVe République, ni de passer à la VIe.
« Il s’agit au contraire de revenir aux sources de notre Ve République, une République dans laquelle le Gouvernement gouverne et dans laquelle le Parlement légifère et contrôle ».
Que penser de positif d’une telle formule qui reprend les lieux communs les plus éculés de la rhétorique constitutionnelle de la Ve République. Dans une conférence de presse du 24 septembre 1981 François Mitterrand disait ceci : «D'abord, il me fallait remettre chaque institution à sa place : le Gouvernement gouverne, le Parlement légifère et participe au débat, sans contrainte d'aucune sorte. Quant à moi, si j'entends exercer la plénitude des responsabilités que le peuple souverain m'a confiées, je ne veux me substituer ni à l'un ni à l'autre des pouvoirs. L'équilibre de nos institutions y gagnera, n'en doutez pas » et en 2006 Dominique de Villepin disait cela : «le Président préside, le Gouvernement gouverne, le Parlement légifère, les partis politiques concourent à l'expression de la souveraineté nationale... ». C’est donc peu dire que la formule utilisée par le Premier ministre ne dit rien de sérieux sur la finalité du projet.
Est-ce qu’en définitive, alors, ce projet ne serait qu’une énième déclinaison de la « modernisation » des institutions qui depuis 40 ans n’a jamais permis de construire un véritable équilibre entre les pouvoirs, et en particulier n’a jamais permis, malgré ce qui est allégué, que le « parlement légifère et contrôle » ? Est-ce qu’il serait simplement la réponse aux traumas du conseiller puis du ministre Macron face aux errements de la majorité frondeuse à laquelle il a dû faire face pendant la précédente législature ? Cela pourrait être à craindre.
À ce stade, et faute de disposer de l’ensemble des projets qui seront soumis par le Gouvernement aux assemblées il est difficile d’aller plus loin dans l’analyse si ce n’est pour souligner ce que chacun sait aujourd’hui : que l’enjeu d’une véritable réforme institutionnelle tient au développement et à la consolidation et à la mise en œuvre effective des pouvoirs de contrôle du Parlement. Or sur ce point les informations données jusqu’à présent demeurent floues, contradictoires. Il faudra donc dans les semaines à venir attacher une particulière vigilance à cette question car c’est de la réponse qui lui sera donnée qu’il sera permis de prendre la mesure de l’ampleur, de la cohérence et de l’ambition du projet de réforme des institutions.
En 1869 les journaux d’opposition inventèrent le mot de « réformette » pour désigner le projet de Senatus Consulte par lequel Napoléon III entendait transformer l’Empire autoritaire en Empire libéral. Formons le vœu que l’on ne pourra pas affubler du même sobriquet les projets de réforme des institutions qui vont venir en discussion dans les prochaines semaines…
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