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Une rentrée plutôt glaciale : « Libérée, délivrée… »
Le rédacteur de ces quelques lignes avait l’embarras du choix pour démarrer cette année. Les sujets sont multiples et révèlent avec une inquiétude non dissimulée un désenchantement généralisé, signe non pas d’une crise mais d’une substitution de valeurs. Face à l’actualité, la Reine des neiges avait toute sa place : « libérée, délivrée… »
Libérés, délivrés… les migrants. Fuyant la barbarie du régime syrien ou la menace de l’État Islamique, de nombreux migrants ont entamé une traversée périlleuse pour rejoindre les frontières de l’Europe. Loin d’être libérés et délivrés des atrocités dont ils ont été victimes dans leur pays, ils découvrent que la solidarité et la générosité ne sont pas toujours au rendez-vous. La crise des migrants et des réfugiés a fait ressortir le côté obscur d’une partie de la population. Après le choc des photos, notamment de la mort du petit Aylan, qui a suscité une forte émotion publique, a succédé le poids des mots de certains de nos élus politiques, dont Ménard et Devedjian sont les plus « beaux » représentants. Quant aux sondages, ils donnent un pourcentage de 53 % de Français favorables à l’accueil des migrants, pourcentage qui semble rassurer les medias qui en font état. Mais que doit-on penser des 47 % qui ne veulent pas les accueillir ? Récemment, un nouveau sondage établit que le discours porté par le front national sur la politique des migrants est celui auquel le plus grand nombre des sondés adhèrent ! Manifestement, le débat autour de la solidarité ne parvient pas à surmonter le mur des égoïsmes. Alors peut-être devons-nous, comme dernier recours et pour ceux qui ne raisonnent que par rapport à leurs seuls intérêts, leur rappeler un discours vieux comme le monde, immoral mais malheureusement efficace. Les riches qui veulent le rester ont tout intérêt à aider les pauvres. Comme le disait une manifestante lors d’un rassemblement pour la solidarité et contre la pauvreté : « Un jour les pauvres n’auront plus rien d’autre à manger que les riches ! ».
Libéré, délivré… le monde du travail. L’arlésienne de la flexécurité est de retour au sein de deux rapports : le rapport Combrexelle et le rapport Mettling. Pour le premier, auquel nous limiterons nos propos, il se compose de 44 propositions destinées à « donner plus de souplesse aux entreprises ». Le rapport propose de renforcer l’effectivité du « dialogue social » en mettant en place un système de poupées gigognes. Pour résumer : les grands « principes indérogeables » doivent être réaffirmés par le législateur et tout le reste doit faire l’objet d’un dialogue entre les partenaires sociaux. Les accords de branche sont encouragés et peuvent adapter les conditions de travail des salariés dans le respect de l’ordre public légal. On envisage de réduire la force du contrat individuel de travail et d’augmenter l’efficacité des accords de maintien dans l’emploi lorsque l’entreprise connaît des difficultés et souhaite augmenter, par exemple, les heures de travail. Enfin, il est prévu de réduire les délais d’action contre les accords collectifs pour en renforcer la stabilité. Libérer le monde du travail pour créer des emplois, le discours n’est pas nouveau. Est-ce faire du nouveau vin dans de vieilles outres ou n’est-ce tout simplement qu’une stratégie politique pour tuer dans l’œuf les futures critiques des « Républicains » lors des prochaines élections présidentielles ? Peu de chances en tout cas que le travailleur se sente plus libre après une telle réforme. Fragiliser le contrat individuel de travail n’a jamais été la source d’une plus grande liberté mais au contraire d’une plus grande dépendance !
Libérée, délivrée… l’économie. Comment parler de liberté et de libéralisme sans évoquer la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron. Libéraliser pour relancer l’économie et augmenter le pouvoir d’achat des ménages : Tout un programme ! Cette loi fourre-tout aborde tous les domaines : l’immobilier, l’urbanisme, le commerce, les transports, l’entreprise, l’environnement… La loi prévoit parmi tant d’autres mesures : l’ouverture des lignes d’autocars entre grandes villes, l’accélération des procédures devant les prud’hommes, l’augmentation du nombre de dimanches où les commerces pourront ouvrir. Surtout, elle entend s’attaquer à de nombreuses professions réglementées pourtant loin des analyses économiques prônées par Bercy. Tel est en particulier le cas des notaires : la liberté d’installation est consacrée dans une « zone libre » à déterminer et sera exclue dans les « zones réservées ». Comment s’effectuera ce partage ? Le critère est-il celui de la répartition territoriale des notaires, on encouragera alors l’installation des « notaires de campagnes », ou la répartition se fera-t-elle en fonction du nombre d’habitants et des clients potentiels, c’est alors Paris et les grandes villes qui deviendront une « zone libre » ? Les tarifs seront révisés selon une procédure bien technocratique : un avis de l’autorité de la concurrence, suivi d’un décret en Conseil d’État et d’un arrêté conjoint du ministre de l’économie et du ministre de la justice. Paradoxe étrange mais aujourd’hui peu surprenant : l’administration devient l’acteur principal de la libéralisation de l’économie. Pour ce faire, les différents protagonistes devront avoir égard aux « coûts pertinents », utiliseront des « critères objectifs » afin de déterminer une « rémunération raisonnable » (C. com., art. L. 441-1 s.). En somme, grâce à la magie des standards juridiques, l’administration fera un peu ce qu’elle veut. En quelque sorte, une administration libérée, délivrée !
Libérées, délivrées… les formations universitaires. Le système des LMD aurait dû en théorie supprimer toute sélection à l’Université. Or, les étudiants et les enseignants savent qu’en l’absence de sélection à l’entrée des Master 2, ce sont la qualité de l’enseignement et les conditions de travail qui seraient menacées. Ainsi, dans les faits, cette sélection a été, dans certaines filières, maintenue. Pourtant, cette révolte des faits contre le droit est en passe d’être écrasée en raison de nombreuses décisions des juges du fond condamnant cette pratique et face aux réactions du secrétaire d’État à l’enseignement supérieur, Thierry Mandon, qui ne cache pas sa volonté de rappeler formellement l’obligation de supprimer toute sélection à l’Université. Alors demain, les formations universitaires seront-elles libérées et de nombreux diplômes délivrés à nos chers étudiants ? On peut en douter. On se rappelle que le droit est la plus belle école de l’imagination et certaines Facultés de droit, pour ne parler que d’elles, ont déjà en tête quelques petites idées qui se retourneront probablement contre les étudiants. Si la sélection à l’entrée en Master 2 devenait à l’avenir impossible, une autre sélection pourrait se mettre en place par le biais d’une notation plus stricte dès les premières années. Pour répondre à la demande d’un Master 2 au sein du même établissement, les responsables pourraient également encourager la création de Master 2 de seconde zone dans lesquels seront réunis tous ceux qui n’ont pas pu obtenir le Master 2 de leur choix. La question n’est pas simple mais il n’y aura dans tous les cas aucun progrès ni pour les étudiants ni pour l’Université si le Gouvernement n’accompagne pas sa réforme de moyens supplémentaires. Car, en effet, si l’argent ne fait pas la liberté, il peut y contribuer…
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