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Le billet
Une volonté croissante de maîtriser le cycle de vie humaine
Si l’examen du projet de loi sur la fin de vie a été suspendu à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, les débats auxquels il a donné lieu depuis plusieurs mois révèlent une profonde évolution quant à l’acceptabilité sociale du suicide assisté et de l’euthanasie en France. Tandis que le premier consiste à « donner les moyens à une personne de se suicider elle-même » (v. CCNE, Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir, avis, n° 121, juin 2013, p. 41), la seconde vise « un acte destiné à mettre délibérément fin à la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, à sa demande, afin de faire cesser une situation qu’elle juge insupportable » (CCNE préc., p. 43).
Les lois Léonetti du 22 avril 2005 (n° 2005-370 relative aux droits des malades et à la fin de vie) et Claeys-Léonetti du 2 février 2016 (n° 2016-87 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie) écartaient fermement toute forme d’assistance médicale à mourir. L’article R. 4127-38 du Code de la santé oppose ainsi clairement l’accompagnement du mourant jusqu’à ses derniers moments, auquel est tenu le médecin, et le fait de « provoquer délibérément la mort », qui est pour l’instant interdit. Le projet de loi sur la fin de vie envisageait, quant à elle, de légaliser l’ « aide à mourir », conformément, semble-t-il, au souhait de la majorité de la population française, 75,6 % des votants s’étant prononcés en ce sens lors de la convention citoyenne organisée au printemps 2023 (v. Conseil Économique, Social et Environnemental, Rapport de la convention citoyenne sur la fin de vie, avr. 2023, p. 38, ici). Cette aide active à mourir consisterait à autoriser et à accompagner la mise à disposition à une personne qui le demande d’une substance létale, pour qu’elle se l’administre elle-même ou, si elle n’en est pas capable, se la fasse administrer.
Les discussions menées dans le cadre de l’examen du projet de loi ont mis en exergue les difficultés à encadrer une telle possibilité. Doit-il être cantonné à l’hypothèse d’un « pronostic vital engagé » – comme le suggérait le texte initial du projet – ou l’existence d’une « affection grave et incurable en phase avancée ou terminale » est-il suffisant – comme l’avaient décidé les députés en commission, avant de réintroduire l’exigence d’un pronostic vital engagé en première lecture le 7 juin ? Le Conseil national de l’Ordre des médecins, dans son communiqué de presse du 5 juin, avait souligné que le texte amendé par la Commission spéciale rendait fort délicate l’appréciation de ce critère d’éligibilité ainsi élargi.
Sans prendre position sur la pertinence des critères envisagés, on ne peut que constater la tentation, en France comme à l’étranger, d’ouvrir cette liberté de choix au plus grand nombre. Un tel élargissement des conditions d’accès est clairement visible dans les États qui ont déjà admis une telle pratique. Ainsi, toute condition d’âge a été abandonnée en Belgique dès 2014, puis par les Pays-Bas en 2023 (après avoir été à plusieurs reprises assouplie). Si le projet de loi français sur la fin de vie réservait l’accès à l’aide à mourir aux seules personnes majeures, divers amendements – finalement non retenus – proposaient de l’ouvrir aux mineurs.
Ces débats sont le signe d’un nouveau rapport à la mort dans nos sociétés occidentales, avec l’émergence d’un désir de libre maîtrise du moment de cette dernière. La convention citoyenne de 2023 mettait ainsi l’accent sur la « liberté de choix des citoyens » (v. rapport du Conseil Économique, Social et Environnemental, préc.) en valorisant l’autonomie subjective.
Ceci n’est pas sans faire écho aux idées transhumanistes, dont les partisans revendiquent le droit absolu à disposer de leur corps. Si leurs positionnements sont divers, les militants transhumanistes ont tous pour point commun de rejeter l’idée d’une nature humaine immuable et sacrée. Ayant pour ambition de dépasser les capacités physiques et psychiques de l’Homme grâce aux technologies, ils ne perçoivent pas le vieillissement et la mort comme des fatalités, mais comme des maux contre lesquels il convient de lutter afin d’atteindre l’ « amortalité », autrement dit la disparition de la mort « naturelle » (par maladie ou vieillissement). Un être amortel serait dès lors encore mortel, la mort accidentelle, criminelle et surtout voulue restant possible. Les tenants du mouvement prolongéviste sont en effet très favorables à la légalisation de la « mort volontaire » : « dans l’optique transhumaniste, la possibilité de prolonger indéfiniment sa vie ou d’y mettre fin constitue un droit individuel fondamental qu’aucune norme juridique ne devrait pouvoir limiter » (C. Lafontaine, La société postmortelle, p. 203).
Envisager la légalisation d’une « aide à mourir » s’inscrit, plus largement, dans une volonté croissante de maîtriser le cycle de vie, sans laisser la nature le prédéterminer : au désir de maîtriser la mort – autrement dit la fin de vie –, répond parallèlement celui de maîtriser le début de la vie humaine, clairement perceptible avec le développement de la médecine procréative. Là encore, la liberté de choix est devenue centrale, avec un élargissement progressif des conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP), détachée de tout objectif thérapeutique depuis la dernière réforme bioéthique de 2021, ouvrant l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes. Le rôle de la médecine s’en trouve questionné, celui-ci n’étant désormais plus seulement thérapeutique, visant à soigner un état pathologique. Le critère traditionnel, consistant à distinguer le normal et le pathologique (G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, PUF, 1966), ne semble plus à même de déterminer ce qui relève ou non de la médecine, autrement dit ce qui doit être ou non autorisé.
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