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[ 22 septembre 2025 ] Imprimer

Vers l’intégration du contrôle coercitif dans le Code pénal ?

Ces dernières années, la prise de conscience sociétale et étatique sans précédent des violences intrafamiliales, principalement faites aux femmes et aux mineurs, conduit le législateur à sans cesse tenter d’élargir la gamme des moyens utilisés pour lutter contre ce phénomène criminel. Ces derniers mois, son attention se tourne vers l’insertion du contrôle coercitif dans la loi (proposition de loi n° 156 visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles).

D’inspiration sociologique, la notion de contrôle coercitif a intégré la jurisprudence du fond depuis les cinq arrêts de la cour d’appel de Poitiers du 31 janvier 2024, et ce pour mieux préciser certains faits de harcèlements conjugaux et/ou de violences conjugales et entrer en voie de condamnation (v. Y. Muller, « La consécration du contrôle coercitif en matière de violences conjugales – retour sur les cinq arrêts de la cour d’appel de Poitiers rendus le 31 janvier 2024 », Dr pén., n° 5, mai 2024. Étude 1 ; v. encore A. Casado, « Le contrôle coercitif : réflexions sur une nouvelle étape du droit des violences conjugales, Gaz. Pal., 5 mars 2024, n° 4, p. 18 ; I. Drean-Rivette, « Le contrôle coercitif : une révolution pour les VIF », AJ pén. 2024. 149 ; Y. Mayaud, « "Le contrôle coercitif", un enjeu de pluralité », RSC 2024. 331). Mais la députée Aurore Bergé, à l’origine de la proposition de loi, estime qu’une nouvelle étape doit être franchie avec la création d’une infraction prohibant spécialement le contrôle coercitif, entendu alors comme une stratégie globale de l’auteur regroupant des actes destinés à dominer le quotidien de sa victime (privation de ses ressources financières, privation de ses droits, violences psychologiques, violences verbales, pressions, surveillances, enfermement à domicile, etc.). Le texte a été adopté par l’Assemblée nationale le 28 janvier 2025.

La proposition interpelle pour au moins deux raisons.

D’une part, les éléments constitutifs de l’infraction proposée ne répondent pas au principe de légalité criminelle et à l’exigence de textes clairs et précis qui en résulte (C. pén., art. 111-4). Outre le recours à des faits subjectifs difficiles à caractériser (comme l’état de peur ou la crainte), les moyens et le résultat de l’infraction semblent se confondre. Comprendre le sens de l’interdit devient alors difficile et établir son périmètre paraît impossible. À partir de combien d’actes le délit pourrait-il être caractérisé ? La nouvelle infraction exposerait les juridictions du fond à une surcharge de travail avec des faits qui ne devraient pas être condamnés et qui ne seraient jamais ne serait-ce qu’une prémisse de violences conjugales.

D’autre part, à moins d’être conçu comme une infraction de prévention (infraction de mise en danger), comme une infraction obstacle à des faits plus graves (notamment des violences volontaires et homicides), le délit proposé viendrait se cumuler avec des interdits déjà existants. Il ne se distinguerait pas du délit de harcèlement moral commis au sein du couple (autrement appelé le harcèlement conjugal ; C. pén., art. 222-33-2-1 créé par la L. n° 2010-769 du 9 juill. 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants) ou du délit de sujétion psychologique ou physique (C. pén., art. 223-15-3). Ces deux infractions exigent un résultat très proche de celui proposé par le délit de contrôle coercitif. Le nouveau délit de coercition se confondrait également en partie avec les violences psychologiques (C. pén., art. 222-14-3) en ce que les éléments constitutifs proposés visent des actes psychologiques. Ce doublon d’infractions risquerait de complexifier le travail de qualification des juges sans que la peine encourue envisagée ne les invite à le retenir prioritairement (même peine principale encourue que le délit de harcèlement conjugal).

Il est à noter toutefois que la notion de contrôle coercitif s’éloignerait de celle d’emprise, qui a intégré l’article 226-14 du Code pénal avec la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, pour permettre au professionnel de santé de dénoncer certains faits de violences conjugales, y compris sans l’accord de sa victime. Là où l’emprise opère un focus sur la victime (et un fait subjectif), le contrôle coercitif, infraction autonome, proposerait de mettre l’accent sur le comportement de l’auteur (et en partie des faits objectifs).

Le choix de recourir à une infraction autonome s’ancre dans la volonté de punir la finalité poursuivie par l’auteur. Mais tous les moyens ne sont pas toujours bons pour atteindre un objectif. Le 3 avril 2025, le Sénat a adopté en première lecture une version modifiée de la proposition de loi n° 1256. Plutôt que de l’ériger en infraction autonome, le contrôle coercitif devient, sans même être expressément nommé, une nouvelle forme du harcèlement conjugal : « constituent l’infraction mentionnée au premier alinéa les propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet de restreindre la liberté d’aller et venir de la victime ou sa vie privée ou familiale ou de contraindre sa vie quotidienne par des menaces ou des pressions psychologiques, économiques ou financières ». La proposition balaie les difficultés résultant de la première version du texte en ne retenant que des termes clairs et fréquemment rencontrés en droit pénal. L’amendement (n°COM-10, 24 mars 2025) voté était accompagné d’un objet justifiant les modifications apportées au texte de l’Assemblée nationale. Lier le contrôle coercitif au harcèlement conjugal et non aux violences psychologiques s’y justifie non seulement par le fait que les actes répréhensibles peuvent être d’une autre nature que psychologique, mais aussi par l’idée selon laquelle un contrôle coercitif s’inscrit nécessairement sur une certaine durée. Enfin, le texte voté par le Sénat présente également toute une série de circonstances aggravantes. Le Sénat opère une modification raisonnée et raisonnable en consacrant et valorisant le travail de réflexion opéré jusqu’alors par les juges du fond.

Et demain alors ?

Le texte a été transmis à l’Assemblée nationale le 4 avril 2025 pour une deuxième lecture qui n’a pas encore lieu. Il est à espérer désormais que cette dernière ne détricote pas la nouvelle version de la proposition et qu’in fine, le contrôle coercitif entre bel et bien discrètement mais efficacement dans le corpus pénal.

 

Auteur :Julie Leonhard


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