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Le billet
Vers un effacement des ambitions économiques autour des valeurs européennes ?
Vous ne connaissiez pas la directive de l’Union européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (directive (UE) 2024/176 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024). Vous risquez de ne l’aborder que dans les livres d’histoire, bien loin du droit positif, conséquence des priorités changeantes des dirigeants européens, dont le président Emmanuel Macron.
Revenons tout d’abord sur cette directive relative au devoir de vigilance. Il s’agit d’un texte ambitieux, venant s’appuyer sur les valeurs défendues par l’Union européenne. Ainsi la directive vise à garantir que les grandes entreprises de l’Union européenne (UE) et de pays tiers, dont l’implantation est importante dans l’UE, intègrent des pratiques durables et responsables dans leurs opérations nationales et internationales. Concrètement les entreprises ont l’obligation d’évaluer et de remédier aux incidences négatives, réelles et potentielles, de leurs propres activités, de celles de leurs filiales et de leurs partenaires commerciaux sur les droits de l’homme et l’environnement, tout au long de la chaîne d’activités de ces entreprises. La directive a également pour objectif d’initier au sein des entreprises concernées un plan de transition pour l’atténuation du changement climatique. Les entreprises concernées par l’ensemble de ces dispositions sont celles de plus de 1000 salariés et ayant un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions. Ce texte s’applique à une partie seulement des acteurs économiques.
Cependant, le président Emmanuel Macron a indiqué lors du 8ème sommet Choose France, le 19 mai 2025, que la directive sur le « devoir de vigilance et quelques autres régulations ne doivent pas être simplement repoussées d’un an mais écartées ». Cette prise de position constitue un contrepied manifeste au contenu du programme européen de la présidence française du Conseil de l’UE en 2022. Parmi les priorités étaient expressément soutenues l’adoption des dispositions favorables à la transparence et la vigilance en matière de durabilité. Dans le même esprit, l’Elysée avait manifesté son enthousiasme lors de son adoption.
Pourquoi ce changement de position partagé par plusieurs chefs de gouvernement ainsi que la Commission européenne au travers d’une communication « Une Europe plus simple et rapide: Communication sur la mise en œuvre et la simplification » du 11 février 2025 ?
Le retournement de l’économie est la principale explication avancée avec en toile de fond l’exigence de compétitivité des entreprises européennes qui ont successivement subis la crise de la COVID 19, la guerre en Ukraine avec le choc sur les prix de l’énergie et l’éruption d’une guerre sur les tarifs douaniers. La directive sur le devoir de vigilance amène de nouvelles contraintes pesant sur les entreprises concernées avec l’instauration d’obligations administratives supplémentaires, ayant un coût.
Tout ceci est juste et reste difficilement contestable, mais ces éléments n’étaient pas inconnus en 2024 lors de l’adoption de la directive. Dès lors ce nouveau positionnement interroge sur ce que l’Union européenne souhaite défendre comme modèles économique et social. Les renoncements non seulement politiques, mais également juridiques fragilisent fortement la capacité de l’Union à défendre une stratégie en lien avec ses valeurs face aux États-Unis, à la Chine ou encore aux pays émergents. L’Union a pourtant franchi un premier pas dans le domaine du numérique en imposant des règles, y compris aux entreprises américaines, pour sauvegarder le droit à la vie privée, la protection des données ou encore les règles de concurrence. Ce choix a été audacieux, à susciter la colère des administrations Biden et Trump et pourtant l’Union a résisté jusque-là. L’Union est en mesure d’avoir les moyens de ses ambitions. Le marché intérieur de l’UE est un espace économique essentiel pour de nombreuses entreprises, étant donné le niveau de vie de la population. L’Union doit être collectivement consciente qu’elle est en situation d’imposer des contraintes, des normes s’inspirant des valeurs qu’elle défend en matière de droit de l’homme, de droits sociaux, de priorités environnementales. Tous signaux de renonciation donnent des capacités de pressions futures aux autres acteurs mondiaux.
Aussi, l’adoption d’une directive le 14 avril 2025 en faveur d’un report de l’entrée en application de la directive sur le devoir de vigilance à 2028 va déjà dans une mauvaise direction et il n’est pas certain que cette valse des textes, au gré des humeurs, favorise l’adhésion de chacun à l’Union, dont la spécificité jusqu’ici est de ne pas tomber dans l’illibéralisme.
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