Actualité > Le billet

Le billet

[ 26 mars 2018 ] Imprimer

Vox medias sociaux, vox Dei !

Quel déchaînement, amis juristes ! Depuis que notre ancien Président de la République a été mis en examen, le 21 mars 2018, pour « corruption passive », « financement illégal de campagne électorale » et « recel de fonds publics libyens » et placé sous contrôle judiciaire, les réseaux sociaux ont rendu leur implacable verdict : le présumé innocent est coupable, évidemment coupable ! 

Sa mise en examen révèle suffisamment qu’il a bel et bien bénéficié de financements provenant de la Lybie et profité des largesses de Mouammar Kadhafi pour la campagne présidentielle de 2017. Sur Facebook, les internautes s’enflamment : cette fois, plus de doute, le compte du vilain petit canard de la politique française est réglé. Justice a enfin été rendue !

Sans pouvoir être suspecté de la moindre sympathie envers l’ancien Maire de Neuilly, il nous semble tout de même opportun de doucher quelque peu ce touchant enthousiasme.

D’abord, on rappellera, même si désormais cela peut paraître dérisoire, que la mise en examen ne rime pas avec la culpabilité et n’emporte donc pas nécessairement la condamnation de celui qui en est coupable. Tant que la juridiction de jugement n’aura pas statué, et le chemin est long entre la mise en examen et la décision et parsemé de nombreuses étapes entre l’une et l’autre, le mis en examen est toujours présumé innocent. Pour preuve, ce n’est pas la première fois que Nicolas Sarkozy fait l’objet d’une telle mesure et qu’il en est ressorti blanc comme neige. Ainsi, dans l’affaire Bettencourt, alors qu’il avait mis en examen pour « abus de faiblesse », Nicolas Sarkozy a bénéficié en octobre 2013 d'un non-lieu « en l'absence de charges suffisantes ». A l’occasion de cette même affaire, il a été soupçonné d'avoir tenté d'obtenir des informations auprès d'un très haut magistrat de la Cour de cassation, contre une promesse d'intervention pour un poste de prestige. Placé en garde à vue, puis mis en examen pour corruption active, trafic d'influence actif et recel de violation du secret professionnel, il a bénéficié d’une décision de la cour d’appel de Paris qui a annulé des actes d’enquête et, par conséquent, reportant sine die la perspective d’un procès.      

Ensuite, dans l’imposante liste des affaires judiciaires dans lesquelles l’ancien Président de la République est impliqué, aucune condamnation pénale et peu de mises en examen ont été prononcées. Ainsi, il était impliqué dans une affaire d’abus de confiance relative aux pénalités qui lui avaient été infligées en raison du dépassement de son plafond de dépenses de campagne en 2012, pénalités qui avaient finalement été réglées par l’UMP. Témoin assisté, il a finalement bénéficié d'un non-lieu dans cette affaire. Dans l'affaire Bygmalion, qui porte sur un système de double comptabilité et de fausses factures destiné à imputer à l'UMP des dépenses de la campagne de la présidentielle 2012 pour éviter le dépassement du plafond autorisé, il a bien été renvoyé par un des juges d’instruction devant le tribunal correctionnel, procès pour financement illégal de campagne électorale, mais l'autre juge d'instruction n'a pas signé l'ordonnance de renvoi. Nicolas Sarkozy a donc interjeté appel et la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris n’examinera la question qu’au mois de mai prochain. A suivre, donc…   

Enfin, outre la patience dont ils devront s’armer, on rappellera à ceux qui s’enflamment à l’idée de voir Nicolas Sarkozy, un jour ou l’autre derrière les barreaux, que le mis en examen le plus célèbre de France a plus d’un tour dans son sac. Passons sur le fait qu’il sait parfaitement s’entourer et que ses avocats font partie du gratin parisien ! Il a parfaitement compris qu’il fallait, pour assurer sa défense, déployer sa défense sur le terrain sur lequel ses détracteurs font feu de tout bois, à savoir les médias. Journal de 20 heures sur TF1, Journal du dimanche, depuis le 21 mars, jour de la mise en examen, Nicolas Sarkozy est omniprésent dans la presse écrite et audiovisuelle. Et il a beau jeu, avec le talent indéniable qui est le sien, de crier au complot, de dénoncer ces journalistes qui le harcèlent depuis des années et qui veulent sa peau. A ceux qui pensent que cette fois-ci la ficelle, tant elle est grosse, ne prendra pas, on leur rappellera qu’en 1995, il était donné politiquement pour mort après avoir rallié Edouard Balladur et trahi Jacques Chirac. Conspué, honni, chahuté comme jamais par les militants, pendant un temps, Nicolas Sarkozy avait finalement refait surface et connu le destin que l’on sait… Même frappé de plein fouet, un animal politique ne meurt jamais. 

Alors, en dépit de la curée médiatique dont il est aujourd’hui l’objet et de la nasse judiciaire dans laquelle il est pris, il est opportun de ne pas sous-estimer un tel spécimen.

 

Auteur :Denis Mazeaud


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr