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Le cas du mois

Adieu le confinement, bonjour les ennuis …

[ 3 juin 2020 ] Imprimer

Droit pénal général

Adieu le confinement, bonjour les ennuis …

Ça y est, le 11 mai 2020 est ENFIN arrivé et Désiré a décidé d’organiser une petite fiesta entre amis dans la maison de son oncle à l’île de Ré, où il est resté confiné. 

Le 11 mai 2020, donc, vers une heure du matin, alors que la fête bat son plein, des policiers, requis par un voisin, ont constaté, depuis l'intérieur du domicile de ce dernier, qu’ils pouvaient entendre de nombreux cris, rires et hurlements de jeunes gens, que ces cris étaient susceptibles d’importuner de nombreux riverains et qu’ils provenaient de la maison de tonton Dédé (pour André, l’oncle de Désiré). Les policiers sont intervenus pour faire cesser ce tapage et aussi signifier à tonton Dédé, qui s’était isolé dans la dépendance au fond du jardin pour « être tranquille et laisser les jeunes entre eux », qu’il allait être poursuivi pour complicité de tapage nocturne.  

Tonton Dédé est aujourd’hui inquiet et souhaite savoir si, en effet, il pourrait être poursuivi sous cette prévention. Qu’en pensez-vous ?

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Pour savoir si des poursuites sont possibles, il faut se poser 2 questions :

Quelle infraction principale a été commise ?

Quel acte de complicité pourrait-on reprocher à tonton Dédé ?

1/ L’infraction principale est celle de tapage nocturne. La qualification pénale précise est celle de « bruits ou tapages injurieux ou nocturnes », prévue à l’article R. 623-2 du Code pénal, qui punit de l’amende prévue pour les contraventions de la 3e classe « les bruits ou tapages injurieux ou nocturnes troublant la tranquillité d’autrui ». 

Il ressort de cette définition que l’infraction exige de caractériser des « bruits ou tapages » ainsi qu’un « trouble à la tranquillité d’autrui ».

Sur les bruits ou tapages, une jurisprudence, à la fois ancienne et abondante, nous précise que les bruits qui ont lieu dans l’intérieur des habitations pendant la nuit constituent la contravention de tapage nocturne lorsqu’ils sont entendus du dehors (Crim. 15 déc. 1928 : DH 1929. 68 ; Crim. 4 févr. 1970, n° 69-90.927 P : D. 1970. 288, note R. S.).

Ces bruits ou tapages doivent résulter d’agissements personnels et volontaires (Crim. 25 févr. 1972, Bull. crim. n° 139 : D. 1972. 442) : est par exemple responsable de tapages celui qui, à deux reprises, a volontairement disposé une mini-chaîne hifi sur le mur séparant sa propriété de celle de son voisin, de façon à l’importuner par la diffusion de musique à un niveau sonore très élevé (Crim. 24 févr. 1999 : Gaz. Pal. 14-18 mai 1999, p. 15). Et même en l’absence de toute volonté de nuire, et même si ces bruits peuvent résulter de l’exercice d’une profession, la contravention de tapage est caractérisée dès lors que le prévenu a eu conscience du trouble causé au voisinage par l’installation dont il était responsable et qu’il n’a pris aucune mesure pour y remédier (Crim. 19 nov. 1985, n° 84-94.850 P, pour les bruits et vibrations occasionnés par les installations d’une usine ; Crim. 17 janv. 1990, n° 89-83.504 P : RSC 1990. 791, obs. Levasseur, pour des motopompes utilisées par des agriculteurs ; Crim. 11 janv. 2005, n° 04-83.332 : Dr. pénal 2005, comm. 71 obs. Véron, pour les aboiements d’un chien).

Quant au trouble apporté à la tranquillité d’autrui, il s’agit d’une question de fait laissée à la souveraine appréciation du juge en l’absence de tout procès-verbal faisant foi (Crim. 8 nov. 1935 : Bull. crim. n° 125 ; DH 1936. 4) ; en outre, il suffit que la tranquillité d’une seule personne ait été troublée (Crim. 8 juill. 1949 : Bull. crim. n° 237 ; JCP 1949. II. 5128, note Colombani).

L’infraction, en l’espèce, semblait bien caractérisée ; des cris et hurlements imputables aux convives de Désiré provenaient de l’intérieur de la maison et s’entendaient depuis chez le voisin ; on peut imaginer qu’ils étaient, a fortiori, perceptibles pour nombreux autres riverains (et même si la tranquillité du seul voisin a été troublée, le texte est applicable). 

2/ En présence d’une infraction principale, un acte de complicité peut être envisagé.

NB : Il faut vérifier le champ d’application de la complicité : l’infraction principale est ici une contravention (de la 3e classe), de sorte que la complicité doit être spécialement incriminée.

C’est ce que prévoit l’alinéa 3 de l’article R. 623-2 qui dispose que « le fait de faciliter sciemment, par aide ou assistance, la préparation ou la consommation des contraventions prévues au présent article est puni des mêmes peines ».

Est ainsi réprimée un mode de complicité (par référence à l’art. 121-7 du Code pénal, applicable en cas de crime ou de délit) : la complicité par aide ou assistance, qui consiste à faciliter la préparation ou la consommation de l’infraction en fournissant des moyens matériels ou un simple encouragement à commettre l’infraction (V. X. Pin, Droit pénal général, Cours Dalloz, n° 299 s.).

Cette aide ou assistance doit, en principe, être antérieure ou concomitante à l’infraction et résulter d’un acte positif. Sur ce dernier point, en particulier, il ne saurait donc y avoir en principe de complicité de la part de celui qui s’abstient ou assiste passivement à la commission d’une infraction. Toutefois, par exception, l’abstention peut être punissable au titre de la complicité si elle révèle une collusion punissable, laquelle suppose, cumulativement, le pouvoir de s’opposer effectivement à l’infraction, la volonté de laisser l’auteur principal accomplir les actes délictueux, et la connaissance que ces actes se commettent actuellement ou vont se commettre prochainement. Une complicité par abstention pourra ainsi être retenue quand elle procède d’un accord antérieur avec l’auteur de l’infraction principale.

Ainsi, sont coupables de tapages non seulement ceux qui prennent une part active aux bruits ou tapages nocturnes ou injurieux mais encore tous ceux qui, par leur présence ou leur fait, ont facilité ou favorisé la commission de l’infraction (Crim. 17 févr. 1988: Bull. crim. n° 80, pour le débitant de boissons qui laisse se perpétrer la contravention dans son établissement ; Crim. 15 janv. 1974 : Bull. crim. n° 22, pour l’organisateur de bals en plein air dans l’enceinte d’un parc thermal). 

En l’espèce, tonton Dédé n’a pas participé à la fête de déconfinement mais il a permis à Désiré de l’organiser dans sa maison et laissé les personnes présentes sous son toit commettre ces désordres ; il est complice par aide ou assistance.

C’est la solution adoptée par la chambre criminelle dans un arrêt du 26 février 2020 (n° 19-80.641 P) : « se rend complice de la contravention de tapage nocturne, la personne qui, présente à son domicile, laisse se perpétrer des bruits troublant la tranquillité d'autrui ».

L’infraction, commise le 11 mai 2020, n’étant pas prescrite (la prescription de l’action publique pour les contraventions est d’un an, C. pr. pén., art. 9), Tonton Dédé pourrait donc être poursuivi pour complicité de tapage nocturne (et encourir une peine d’amende d’un montant maximum de 450 euros ; C. pén., art. 131-13).

Pour finir, sur les modalités de mise en mouvement de l’action publique, à supposer que le procureur de la République choisisse de le poursuivre (C. pr. pén., art. 40), il pourrait le citer devant le tribunal de police, compétent pour juger les contraventions, recourir à la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale contraventionnelle (C. pr. pén., art. 524 s.; applicable à toute contravention, sauf de la 5e classe commise par un mineur ou prévue par le Code du travail) voire à la procédure de l’amende forfaitaire contraventionnelle (C. pr. pén., art. 529 s.   ; l’art. R. 48-1 du C. pr. pén. fixant le champ d’application visant l’art. R. 623-2 C. pén.).

Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz

 

 

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