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Le cas du mois
Droit de la responsabilité civile
Aider son prochain : un choix lourd à porter
Si Désiré est toujours prêt à rendre service aux membres de sa famille, il sait faire preuve de la même générosité envers de simples anonymes. C’est ainsi que la semaine dernière, alors qu’il rentrait de l’université en voiture, il aperçut sur sa route un homme titubant en pleine voie autour de son scooter, à terre. Contraint de s’arrêter, Désiré descendit de sa voiture pour relever l’engin et réconforter son conducteur qui, malgré le choc, se portait apparemment plutôt bien.
Rassuré, Désiré le quitta en le saluant par une chaleureuse poignée de main qui lui fit alors ressentir une vive douleur en haut de son bras droit. Incapable de reprendre le volant, l’homme au scooter l’aida à son tour en l’emmenant aux urgences, où fut diagnostiquée une « rupture de la portion distale du tendon » de son biceps droit. « C’est grave ? », demanda Désiré à l’urgentiste. « Grave, non, » lui répondit-il, « mais la guérison sera longue. Je ne vais pas vous mentir, vous en avez pour des mois de rééducation ». « Des mois ?! », rétorqua Désiré, incrédule. « Mais je n’ai fait que relever le scooter de monsieur », pointant non sans mal du doigt son conducteur, qui était gentiment resté auprès de lui. « Ce n’est quand même pas ce genre de manœuvre qui peut endommager un bras à ce point-là ! ». « Vous avez peut-être fait un faux mouvement, ou insuffisamment ménagé vos efforts. Et puis vous savez, soulever un scooter, ce n’est pas rien ! La preuve, vous ne vous êtes pas loupé ! ». Désiré ressentit alors, en plus de la douleur, une vive inquiétude. En tant que droitier, il allait être handicapé pendant des mois…Il se demandait alors comment il allait faire pour prendre ses notes de cours, rédiger ses TD et surtout, financer ses séances de rééducation. Il décida alors d’en parler à son cousin. « Il faut que tu assignes en justice l’homme au scooter », affirma Adhémar. « Clément ? Sûrement pas, on est devenus copains depuis l’accident. Les coups durs, tu le sais bien, ça crée des liens ! », lui opposa Désiré. « Je croyais que de nous deux, c’était moi le plus sentimental. », lui répondit Adhémar, en écho à leurs derniers échanges sur son amour insensé pour sa jeune épouse mythomane. « Seulement avec les femmes ! Moi, je le suis surtout en amitié. Je ne ferai jamais ça à Clément. », lui répéta Désiré. « Tu as bien tort ? car en tant que victime d’un accident de la route, tu serais largement indemnisé ! Tu sais, avec la loi Badinter les victimes gagnent à tous les coups ! ça te permettrait de payer ton kiné, ce qui t’arrangerait bien. Et puis pour les cours, t’inquiète pas, je suis là. Je te donnerai mes notes, et rédigerai tes exercices de TD à ta place », lui promit Adhémar. « Surtout pas ! Ce serait le redoublement assuré ! Pour le reste, je vais y réfléchir. Finalement, tu as peut-être raison. Il faut parfois savoir être opportuniste. Et puis après tout, je le connais à peine ce Clément. », concéda Désiré. « Attends », l’interrompit son cousin, d’un coup saisi d’un doute. « Il faudrait quand même vérifier que tu rentres bien dans le cadre de la loi car à bien y réfléchir, ton accident, ressemble plus à un accident de manutention que de circulation…En plus, ce n’est pas comme si vous vous étiez entrechoqués par hasard, c’est toi qui l’as volontairement secouru ; même lui ne t’avait rien demandé après tout ! ». « N’importe quoi ! Tu comprends maintenant pourquoi je ne veux pas que tu t’occupes de mes cours. Evidemment que j’ai été victime d’un accident de la circulation. J’étais en voiture, lui en scooter, et c’est en soulevant son scooter que je me suis blessé. Qu’est-ce qu’il te faut de plus ? », l’interrogea Désiré. « Il faut quand même vérifier… », insista Adhémar.
A vous maintenant, qui savez la fragilité des connaissances juridiques de nos deux comparses, de les aider à y voir plus clair.
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■ Sélection des faits : Après avoir arrêté sa voiture pour relever un scooter à terre, Désiré a été victime d’une rupture de la portion distale du tendon du biceps droit. Il pense que sa blessure a été causée par le redressement de l’engin et voudrait en conséquence assigner en justice son conducteur sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation.
■ Qualification des faits : Après avoir quitté sa voiture pour relever un scooter à terre, un conducteur a été victime d’une blessure qu’il considère imputable aux efforts effectués à cet effet. Il souhaite assigner le propriétaire du véhicule pour obtenir réparation de son dommage corporel sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation.
■ Problème de droit : La personne qui se blesse en relevant volontairement un scooter à l’arrêt est-elle victime d’un accident de la circulation au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ?
En droit, c’est l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 qui définit le champ d’application de la loi : « Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways sur des voies qui leur sont propres »
Il en ressort trois conditions pour mettre en jeu le dispositif :
1°) Un véhicule terrestre à moteur (VTM)
Tout véhicule destiné au transport de choses ou de personnes circulant sur le sol et mû par une force motrice quelconque.
- Vocation au transport terrestre
- Apte à l’autopropulsion : moteur + roues
Ex : automobiles, motocyclettes, engins agricoles ou de chantiers.
- Extension aux remorques et aux semi-remorques, en vertu de l’adage selon lequel l’accessoire suit le principal.
- La loi ne s’applique pas aux véhicules empruntant les chemins de fer, et aux tramways circulant sur leurs voies propres.
En l’espèce, 2 VTM interviennent : la voiture de Désiré, et le scooter de Clément.
En conclusion, cette première condition est remplie.
2°) L’implication d’un VTM dans l’accident
- Différence entre causalité et implication : Les travaux préparatoires révèlent la volonté du législateur de définir, dans la première disposition de la loi, un concept beaucoup plus lâche que celui de la causalité, ce qui a été confirmé par la jurisprudence : Civ. 2e, 11 avr. 1986, n° 85-11.092: « L’absence d’un lien de causalité entre la faute d’un conducteur et le dommage subi n’exclut pas que le véhicule puisse être impliqué dans l’accident au sens de la loi de 1985 ».
Certes, tout rapprochement entre causalité et implication n’est pas exclu, mais il faut constater qu’elles n’affectent pas le même événement : la causalité pose la question du lien entre le fait du véhicule et la survenance du dommage, tandis que l’implication pose celle de la participation ou de la contribution du véhicule, non pas à la survenance du dommage, mais à celle de l’accident.
- Définition jurisprudentielle large de l’implication : elle se traduit par une simple intervention du VTM dans l’accident, et peut être déduite de circonstances variées : Civ. 2e, 18 mars 1998, n° 96-13.726; Civ. 2e, 24 févr. 2000, n° 98-12.731: « Est impliqué tout véhicule qui est intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l’accident ».
Plus précisément, l’étude de la JP permet de dire que :
- En cas de contact avec le VTM, la condition d’implication est irréfragablement remplie, que le véhicule soit en mouvement ou à l’arrêt. « Est nécessairement impliqué dans l’accident tout VTM qui a été heurté, qu’il soit à l’arrêt ou en mouvement » (Civ. 2e, 25 janv. 1995, n° 92-17.164).
- A défaut de contact avec le VTM, l’implication peut néanmoins être retenue, surtout si le VTM est en mouvement (ex : irruption soudaine d’un camion effrayant un motard, piéton surpris par une marche arrière) ; si le véhicule est à l’arrêt, l’implication est sans doute plus exceptionnelle, son rôle perturbateur est alors exigée : stationnement irrégulier, perturbation, d’une manière ou d’une autre, de la circulation (Civ. 2e, 25 janv. 1995, préc.).
En l’espèce, alors qu’il circulait en voiture, Désiré s’est arrêté pour relever le scooter, qui était à terre, de Clément. Alors qu’il redressait le cyclomoteur, il s’est blessé, étant observé que les deux VTM étaient à l’arrêt. Cependant, cette circonstance n’exclut pas, en soi, l’implication. De surcroît, le rôle perturbateur semble caractérisé : scooter de Clément gisant au milieu de la route, donc entravant voire empêchant la circulation, ayant contraint Désiré à s’arrêter.
En conclusion, l’implication semble pouvoir être retenue.
3°) Un accident de la circulation
- Notion d’accident : un accident est soudain, fortuit et imprévisible, ce qui revient à écarter l’application de la loi lorsque le dommage trouve son origine dans un acte intentionnel ou même simplement volontaire. La jurisprudence n’a jamais précisé si l’accident s’entendait de tout fait non volontaire ou plus étroitement, d’un fait non intentionnel. La Cour de cassation, quant à elle, a retenu les deux possibilités : pour exclure l’accident, elle a parfois exigé que l’acte considéré ait été intentionnel (Civ. 1re, 14 oct. 1997, n° 95-18.361; Civ. 2e, 22 nov. 1995, n° 93-21.221), mais le plus souvent, elle a considéré que le fait simplement volontaire, commis même sans intention de provoquer le dommage, excluait la présence d’un accident (Civ. 2e, 2 mars 1994, n° 92-18.818; Civ. 2e, 30 nov. 1994, n° 93-13.399 et 93-13.485; Civ. 2e, 15 mars 2001, n° 99-16.852 ; Civ. 2e, 12 déc. 2002, n° 00-17.433 ; Civ. 2e, 18 mars 2004, n° 03-11.573).
- Notion de circulation : fait l’objet d’une conception extensive :
- Une circulation en tout lieu, et pas seulement dans les lieux de circulation routière ; la loi s’applique aussi bien aux voies de circulation publique, qu’aux accidents survenus en des lieux privés (parkings, enceintes d’entreprises, pistes de ski, champ agricoles)
- La circulation n’implique pas que le VTM ait été en mouvement lors de l’accident (Civ. 2e, 22 nov. 1995, n° 94-10.046)
- La circulation implique en revanche que l’accident soit lié à la fonction de déplacement du véhicule : ce qui signifie que sont exclus de la loi de 1985 les cas où le VTM était utilisé non dans sa fonction de déplacement, mais dans sa fonction d’outil (dommage causé par une benne basculante par ex.), à condition que le VTM ait été immobile au moment de l’accident.
En l’espèce, l’accident s’est produit sur la voie publique, ouverte à la circulation, la condition liée à la notion de circulation est sans aucun doute remplie. En revanche, Désiré a agi volontairement en relevant de sa propre initiative le scooter. Cet acte volontaire pourrait être jugé incompatible avec la notion d’accident. Cependant, la Cour de cassation a très récemment jugé, dans une affaire proche de celle relatée, que cette circonstance n’excluait pas de constater qu’un accident de la circulation s’était bien produit. Sans se prononcer sur le caractère accidentel de l’événement, elle a jugé que la cour d’appel ayant relevé que le scooter était un véhicule terrestre à moteur et que c’est en le redressant que la victime s’était blessée, ces éléments suffisaient à constater que le dommage subi était bien la conséquence d’un accident de la circulation au sens de la loi du 5 juillet 1985 (Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-20.910). De surcroit, pour exclure l’accident, la jurisprudence exige parfois que l’acte n’ait pas été seulement volontaire, mais intentionnel.
En conclusion, en dépit du fait que sa démarche constitue un acte volontaire, Désiré pourrait donc néanmoins bénéficier de la loi de 1985.
Ainsi, l’ensemble des conditions d’application de la loi de 1985 semblent-elles pouvoir être réunies, en sorte que Désiré pourrait valablement agir contre Clément sur ce fondement.
- Cependant, encore convient-il d’examiner si une cause d’exonération est opposable à Désiré.
En droit, il résulte de l’article 2 de la loi du 5 juillet 1985 que la force majeure ou le fait du tiers ne sont jamais exonératoires, quelle que soit la victime et quel que soit le dommage. Il résulte également des articles 3 et 4 de la même loi qu’en matière de dommages corporels la faute de la victime a un effet exonératoire, variable selon que la victime était conductrice (art. 3) ou non-conductrice (art. 4), cette qualité se déduisant du fait qu’elle n’était pas ou plus aux commandes d’un véhicule lors de l’accident, ces dernières bénéficiant du régime de faveur des « victimes privilégiées ».
En l’espèce, la qualité de non-conducteur de Désiré, qui avait quitté les commandes de son véhicule au moment de l’accident, ne fait pas de doute. Il pourra donc bénéficier du statut des victimes privilégiées.
En droit, l’article 3 (al. 1er et 3) énonce ainsi leur régime : seule la faute inexcusable de la victime non-conductrice qui est la cause exclusive de l’accident est exonératoire. La faute inexcusable se définit comme « la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » (Civ. 2e, 6 nov. 1996, n° 95-12.428)
Est également prévu un régime spécifique au profit des victimes dites « super-privilégiées » : aucune faute de la victime non-conductrice âgée de moins de seize ans ou de plus de soixante-dix ans ou présentant, quel que soit leur âge, au moment de l’accident, un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité au moins égal à 80% n’est exonératoire ; cependant, le droit à réparation est exclu si la victime a volontairement recherché le dommage (ex: démarche suicidaire).
En l’espèce, Désiré n’a ni moins de 16 ni plus de 70 ans, et n’est pas davantage concerné par une incapacité ou une invalidité ; il ne reste donc « qu’» une victime privilégiée.
Il n’a en toute hypothèse commis aucune faute majeure, peut-être éventuellement une faute d’imprudence, en tout cas aucune faute pouvant être considérée comme inexcusable.
En conclusion, il n’y a pas de cause d’exonération opposable à Désiré pour la réparation de son dommage corporel.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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