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Le cas du mois
Droit des personnes
Amour fou
Désiré et Adhémar entament cette rentrée fâchés. En vérité, leur mésentente remonte au milieu de l’été, après qu’Adhémar a fait part à son cousin de son projet de se marier avec « l’amour de sa vie », rencontrée seulement quelques semaines avant que l’idée de la conduire à l’autel ait germé dans son esprit perturbé par la passion amoureuse autant que par sa grande vulnérabilité.
Très éprouvé par l’année mouvementée que le binôme a traversée, Adhémar apparaissait depuis quelques temps très perturbé, alternant crises de panique et coups de colère, passages dépressifs et délires paranoïaques… Une sorte de « burn out » que Désiré, désemparé, ne parvenait pas, malgré un soutien constant et appuyé, à tempérer. Il est vrai que depuis sa rencontre avec celle que Désiré ne voyait au départ que comme un simple amour d’été, Adhémar semble plus apaisé. Mais Désiré ne se leurre pas : son cousin reste fragile. Et de ce fait, peu lucide… Or nombreux sont ceux l’ayant averti du caractère peu fréquentable de la nouvelle amie de son cousin, afin de le dissuader de poursuivre cette relation qui promet d’être nuisible. Mythomane patentée, la « promise » aurait multiplié les séjours en hôpital psychiatrique. Longtemps restée sans activité professionnelle, en raison de sa maladie mentale, personne ne sait vraiment comment elle occupe ses journées. « Elle dit écrire des scénarios de science-fiction pour la télévision. Confondre le rêve et la réalité, c’est un domaine où elle doit sûrement exceller ! Le grand patron de télévision pour lequel elle prétend travailler doit être ravi de sa nouvelle recrue ! », ricanaient les habitants du village où les deux cousins passaient leur été. N’ignorant pas le mauvais esprit propre aux petites sociétés, Désiré se dit aussi qu’on a parfois la réputation qu’on mérite. Et s’il n’y a pas de fumée sans feu, Désiré ne souhaite pas que la flamme amoureuse de son cousin réduise ce dernier en cendres. Il a alors, dans un premier temps, tenté de convaincre Adhémar de renoncer à ce projet « délirant », insistant tant sur la rapidité de sa décision que sur la méfiance que devrait lui inspirer sa fiancée maintenant qu’il sait les bruits qui courent sur elle. Faute d’être parvenu à l’en dissuader, Désiré a finalement menacé son cousin, à la fin de l’été, de faire opposition à ce mariage s’il continuait ainsi à s’entêter. « Dépêche-toi, c’est dans un mois ! », lui rétorqua Adhémar. « Et puis replonge-toi dans tes cours de droit », ajouta-t-il, « tu te rappelleras que le mariage est une liberté fondamentale à laquelle presque rien ni personne ne peut porter atteinte. Personne ne pourra s’opposer à mon mariage ! A part peut-être mes parents, et encore, ça reste à prouver. Je suis majeur ! Et puis s’opposer pour quoi ? Malgré nos démons respectifs, on est, comme on dit, bons à marier figure-toi ! »
Doutant fortement de cette assertion, Désiré vous demande si et comment il pourrait efficacement s’opposer à cette liaison dangereuse.
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Sélection des faits : Sachant son cousin vulnérable, Désiré souhaite s’opposer au mariage qu’Adhémar projette de contracter avec une jeune femme que l’on dit mythomane.
Qualification des faits : Le cousin germain d’un futur marié, en état de fragilité psychologique, souhaite faire opposition à son projet de s’unir à une femme prétendument atteinte d’une maladie mentale.
Problème de droit : Un simple collatéral, tel un cousin germain, est-il recevable à former opposition à un projet de mariage et le cas échéant, à quelles conditions ?
Majeure : Si la liberté de se marier se présente comme une liberté fondamentale, l’opposition au mariage, entendue comme l’acte par lequel une personne fait connaître les motifs pour lesquels elle s’oppose à sa célébration, est un droit reconnu conforme à la Constitution : compte tenu des garanties prévues pour son exercice, le droit d’opposition ne peut, en effet, être regardé comme portant une atteinte excessive à la liberté du mariage (Cons. const., 22 juin 2012, n° 2012-261 QPC).
Quoiqu’elle ne soit pas jugée disproportionnée, l’opposition au mariage porte toutefois une atteinte grave au principe de la liberté matrimoniale, justifiant les contraintes probatoires qu’elle implique ; ainsi l’opposant doit-il rapporter la preuve certaine et non de simples indices présomptifs du motif justifiant, au regard de la loi, la suspension du mariage projeté.
Le droit de faire opposition n’est, de surcroît, ouvert par la loi qu’à un nombre restreint de personnes et limité à certains cas bien précis.
Concernant tout d’abord ses titulaires, le droit d’opposition est reconnu aux ascendants, en l’occurrence les père et mère ou à défaut, lorsque ceux-ci sont décédés ou empêchés d’agir, aux grands-parents, tous étant recevables à agir en cas de non-respect des conditions, de fond comme de forme, requises pour la validité du mariage (C. civ., art. 173, al .1er).
Les collatéraux, c’est-à-dire les frères et sœurs, les oncles et tantes, les cousins ou cousines germains, à la condition d’être majeurs, peuvent également former opposition, mais à des conditions plus restrictives : seules deux hypothèses justifient en effet qu’ils exercent leur droit : lorsque le consentement du conseil de famille, requis en cas de mariage d’un mineur, dont les ascendants sont décédés ou dans l’impossibilité de manifester leur volonté, n’a pas été obtenu ; lorsque l’opposition est fondée sur « l'altération des facultés personnelles » (« l’état de démence », avant la L. n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, art. 10) de l’un des futurs époux mais dans ce cas, l’opposant doit provoquer l’ouverture d’une mesure de protection juridique (avant la L. n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, il s’agissait d’une mise sous tutelle, art. 10) (C. civ., art. 174).
S’agissant des conditions de forme, l’opposition est un acte extrajudiciaire. Elle doit être impérativement signifiée par voie d’huissier, lequel devra signifier l’opposition à l’officier d’état civil ainsi qu’aux futurs époux. L’acte d’opposition doit mentionner le nom de l’opposant au mariage et sa qualité, par exemple s’il est le cousin du marié. Cet acte doit également contenir le ou les motifs de l’opposition, par exemple le non-respect de certaines conditions de fond requises ad validitatem, ou l’absence de discernement de l’un des conjoints. L’ensemble de ces mentions sont exigées sous peine de nullité de l’acte, et ce à l’effet d’éviter les oppositions abusives, notamment dilatoires, formées exclusivement dans le but de nuire aux futurs époux. Si malgré ces précautions, des circonstances particulières caractérisent un usage abusif du droit d’opposition, l’opposant malveillant engagera sa responsabilité pour faute ; cependant, le seul fait que l’opposition à mariage soit jugée mal ou non fondée ne permet pas de déduire un usage abusif du droit d’opposition (Civ. 1re, 11 juill. 2019, n° 15-17.718).
Quant à ses effets, l’opposition suspend la célébration du mariage. Une fois l’officier d’état civil informé de l’acte d’opposition, il doit donc surseoir à la célébration du mariage.
L’acte d’opposition cesse en revanche de produire effet après une année révolue (C. civ., art. 176, al. 3). Il en va de même en cas de mainlevée de l’opposition, sur décision du juge saisi par l’un des époux, quel que soit la date à laquelle celle-ci est prononcée.
Enfin, l’acte d’opposition peut toujours être renouvelé, soit après qu’il a cessé de produire effet un an après sa signification, soit qu’une mainlevée judiciaire ait été ordonnée, étant précisé que seuls les ascendants sont irrecevables à former une nouvelle opposition après une mainlevée de leur premier acte d’opposition (C. civ., art. 173, al. 2).
Mineure : En sa qualité de cousin germain, Désiré est recevable à agir mais Adhémar étant majeur, le seul motif sur lequel il pourra fonder son acte d’opposition est l'altération des facultés personnelles selon l’expression légale consacrée, de l’un des futurs mariés.
Pour des raisons sentimentales autant que médicales, il est peu probable que Désiré entende établir l'altération des facultés personnelles d’Adhémar, dont il ne souhaite certainement pas l'ouverture d'une mesure de protection juridique, outre le fait que les manifestations de son « burn out » sont déjà anciennes et sans doute insuffisantes à caractériser un état de démence (quoique ce point puisse être discuté).
En revanche, la mythomanie de la future mariée, à la condition d’être avérée, semble compatible, en tant que maladie psychiatrique, avec l'altération des facultés personnelles visée par la loi. Désiré pourra ainsi motiver son acte d’opposition.
S’il est jugé recevable, le mariage projeté par son cousin sera suspendu ; s’il ne l’est pas, il sera comme prévu célébré mais Désiré n’engagera pas, du seul fait du rejet de son opposition, sa responsabilité pour faute, l’exercice de ce droit d’opposition ne dégénérant en abus qu’en cas de circonstances particulières le caractérisant ce qui n’apparaît pas, en l’espèce, être le cas.
En cas de suspension du mariage et si Désiré maintient son opposition à sa célébration, Désiré devra cependant, à l’expiration du délai d’un an ou en cas d’obtention d’une mainlevée judiciaire qu’Adhémar aura probablement demandée, renouveler son opposition.
D’ici là, face à l’opposition réitérée de son cousin et aux mensonges répétés de sa dulcinée, Adhémar aura peut-être décidé, de lui-même, de renoncer…
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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