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Le cas du mois
Droit des obligations
Artistes maudits
Férus d’art contemporain depuis leur adolescence, Désiré et Adhémar commençaient à voir s’accumuler, dans leurs studios respectifs, les peintures et sculptures qu’ils avaient réalisés durant toutes ces années.
Invités par leur entourage à convertir cette passion en métier, ils avaient entrepris, en même temps que leur rentrée universitaire, la création d’une société, baptisée Nouveau Reg’Art, à l’effet de promouvoir et de vendre leurs œuvres. Pour contribuer à son financement, ils avaient obtenu un prêt d’un montant initialement trop élevé par rapport à leurs maigres revenus, mais dont ils avaient obtenu la réduction nécessaire, après d’âpres négociations avec leur banquier. Ils s’étaient par ailleurs porté cautions solidaires, à son profit, du crédit consenti à leur société. Par acte sous seing privé, chacun avait ainsi souscrit un engagement rédigé dans les termes suivants : "En me portant caution solidaire de X, dans la limite de..., couvrant le paiement du principal, des intérêts, des commissions, frais et accessoires et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens, si X n'y satisfait pas lui-même". Peu rompus aux affaires, nos deux artistes ont par suite rapidement connu des difficultés financières, justifiant de soumettre leur société à une procédure collective. La banque les a alors, en leur qualité de caution, assignés en paiement. Bien que la somme demandée ne soit pas particulièrement exagérée par rapport à l’état de leurs finances, les cousins se montrent rétifs à la débourser. En effet, optimistes par nature, nos deux jeunes entrepreneurs souhaitent « se refaire » et renouveler, en dépit de ce premier échec, leur entreprise artistique. Dans cette perspective, ils préfèreraient conserver la somme cautionnée pour financer la création d’une nouvelle société plutôt que de la restituer à leur banquier, qu’ils ont toujours jugé peu scrupuleux. Toutefois incertains de pouvoir se défaire de leur engagement, ils font appel à votre expertise pour les éclairer sur les moyens, s’il en existe, d’y parvenir.
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■ Sélection des faits : En septembre 2021, Désiré et Adhémar se sont portés cautions solidaires de leur entreprise au bénéfice d’une banque. L’acte de cautionnement précisait explicitement le contenu de leur engagement. Leur entreprise a ensuite été soumise à une procédure collective. La banque les a alors assignés en paiement, conformément à leur engagement de caution dont les deux cousins aimeraient toutefois se délier.
■ Qualification des faits : En septembre 2021, deux dirigeants de société se sont rendu cautions solidaires de cette dernière au profit d'une banque. Légalement requise, la mention manuscrite figurant dans leur contrat de cautionnement pour définir le contenu de leur engagement précisait la nature des différentes sommes garanties. Leur société ayant ensuite été soumise à une procédure collective, la banque a assigné ses cautions dirigeantes en paiement. Ces dernières ne souhaitent pas honorer leur engagement.
■ Problème de droit : Quels moyens s’offrent à la caution dirigeante pour se délier de son engagement envers un créancier professionnel ?
■ Majeure : Le dirigeant de société est par principe conduit à se porter caution au titre des prêts de sa société : il s’engage donc envers le créancier (généralement le banquier) à garantir l’obligation du débiteur principal (généralement la société créée), au cas où celui-ci n’y aurait pas lui-même satisfait.
Pour soustraire la caution dirigeante à son engagement, deux moyens principaux peuvent être envisagés.
1.La disproportion du cautionnement – En vertu des articles L. 332-1 et L. 343-4 du code de la consommation, il est interdit à un créancier professionnel de se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique, fût-elle dirigeante (v. not. Com. 30 mars 2010, n° 09-65.923 ; Com. 9 oct. 2019, n° 18-11.969), dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où elle est appelée en paiement, lui permette de faire face à son obligation.
Le caractère disproportionné du cautionnement s’apprécie non seulement au regard des revenus et biens de la caution mais également à l’aune de son endettement global, y compris des dettes résultant d’autres engagements de caution (v. not. Com. 22 mai 2013, n° 11-24812).
La caution supporte, lorsqu’elle l’invoque, la charge de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus ; une fois cette preuve rapportée, c’est naturellement au créancier qui entend se prévaloir de cet engagement d’établir le retour à meilleure fortune de la caution au moment où il l’a appelée en garantie (Com. 9 oct. 2019, préc.).
À la supposer établie, la sanction de la disproportion de l’engagement de la caution se traduit par l’impossibilité du créancier de s’en prévaloir.
2. L’irrégularité de la mention manuscrite – Selon la date de souscription de son engagement, la caution dirigeante peut se prévaloir, à ce titre, de deux dispositions.
D’une part, depuis le 1er janvier 2022, le formalisme du cautionnement s’appuie sur le nouvel article 2297, alinéa 1er du code civil, qui dispose qu’ « (à) peine de nullité de son engagement, la caution personne physique appose elle-même la mention qu'elle s'engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d'un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, le cautionnement vaut pour la somme écrite en toutes lettres ».
Sanctionné par la nullité du contrat de cautionnement, ce formalisme manuscrit légal est obligatoirement requis pour toutes les cautions personnes physiques et s’applique, sans distinction, envers tous les créanciers, professionnels ou non.
D’autre part, pour les cautionnements souscrits avant cette date, la caution dirigeante peut arguer du non-respect des prescriptions légales relatives à la mention manuscrite dans les termes prévus par l'article L. 341-2 du code de la consommation (devenu C .consom., art. L. 331-2, abrogé depuis le 1er janvier 2022), qui dispose que toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : "En me portant caution de X, dans la limite de..., couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens, si X, n'y satisfait pas lui-même". Pour protéger les personnes physiques qui se portent garantes et s’assurer ainsi que leur consentement soit parfaitement éclairé, les cautions doivent écrire de leur main une formule prévue par le législateur. À l’origine, la jurisprudence considérait strictement qu’une mention manuscrite de la caution qui ne serait pas exactement conforme à celle prévue par la loi rendait le cautionnement nul (Com. 11 avr. 2011, n° 09-14.358). À l’effet de tempérer la rigueur excessive d’un tel formalisme, la chambre commerciale a ensuite considéré qu’en cas d’irrégularité formelle de la mention manuscrite, la nullité du cautionnement n’était justifiée que si l’absence de reproduction de la formule légale avait eu pour effet d’induire la caution en erreur sur le sens ou la portée de son engagement ; ainsi a-t-elle eu l’occasion de préciser que, pour que le cautionnement soit considéré comme nul, l'ajout d'une mention à celle prescrite « modifiait la formule légale ou en rendait la compréhension plus difficile pour la caution » (Com. 4 nov. 2014, n° 13-23.130).
■ Mineure : En l’espèce, la disproportion du cautionnement ne semble pas pouvoir être invoquée par les cousins. En effet, eux-mêmes reconnaissent l’adéquation de la dette cautionnée à leur surface financière. Par ailleurs, rien n’indique qu’ils soient tenus d’autres dettes qui seraient susceptibles d’être prises en compte pour l’évaluation de la proportion de leur engagement. Partant, la banque créancière demeure en droit de se prévaloir de leur engagement de caution.
En revanche, ressort des faits une absence d’identité de la mention qu’ils ont souscrite avec celle légalement prescrite par l’article L. 331-2 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à la date de la conclusion de leur contrat. En effet, ont été ajoutés, entre le mot « intérêts » et le mot « et », les mots « des commissions, frais et accessoires ». Ainsi cette mention comportait des termes non prévus par la loi, trahissant donc les prescriptions légales impératives concernant le formalisme du cautionnement. Cependant, conformément à l’évolution de la jurisprudence commerciale sur ce point, encore faut-il déterminer si ce non-respect de la formule légale pouvait conduire Désiré et Adhémar à se méprendre sur le sens et/ou la portée de leur engagement. Il serait naturellement dans leur intérêt d’établir que l'ajout des mots « des commissions, frais et accessoires » avait produit cet effet, qui justifierait la nullité de leur engagement. Toutefois, dans une affaire dont les faits rappellent ceux énoncés, la Cour de cassation, pour rejeter le pourvoi formé par une caution solidaire ayant souscrit une mention comportant, en complément des éléments prescrits, les mêmes termes que ceux adjoints en l’espèce, vient de juger que l’ajout de ces termes, quoique non prescrits par la loi, n'était pas de nature à modifier le sens ou la portée de l'engagement de la caution, mais conduisait seulement à préciser la nature des sommes couvertes par le cautionnement, sans en modifier la limite, fixée à un certain montant (Com. 21 avr. 2022, n° 20-23.300).
■ Conclusion : Faute de pouvoir s’en délier sur le terrain de la proportionnalité comme du formalisme requis en matière de cautionnement, Désiré et Adhémar devront honorer leur engagement.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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