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Le cas du mois
Droit des obligations
Assez d’être dupés !
Désiré et Adhémar en ont assez d’être dupés. Après avoir été récemment « hameçonnés », ils viennent d’être incendiés !
Ils avaient acquis, pour sécuriser le fonctionnement de leur cheminée, un foyer clos, dit « insert », fabriqué par une société mais qu'ils avaient eux-mêmes installé. Quelques semaines plus tard, un incendie s'est déclaré, ayant partiellement endommagé leur appartement. Selon l'expert désigné, l'incendie a trouvé sa cause dans les conditions d'installation de l'appareil. Même s’il est vrai que la société leur avait remis une notice d’utilisation leur précisant les dangers inhérents à l’installation de ce dispositif, Désiré et Adhémar estiment ne pas avoir été suffisamment informés ni mis en garde par leur vendeur sur le potentiel de dangerosité de l’appareil qu’il leur a vendu. Ils aimeraient en conséquence engager une action contre lui pour manquement à ces obligations et s’interrogent, dans cette perspective, tant sur leurs chances de succès que sur la preuve de tels manquements, dont ils ignorent s’ils ont la charge de les rapporter, ayant entendu dire que les juges s’étaient montrés longtemps hésitants sur cette question.
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Des acquéreurs déçus du bien qu’ils viennent d’acquérir, dont la dangerosité a endommagé leur lieu d’habitation, entendent engager une action contre le vendeur pour manquement à son obligation de d’information et de mise en garde.
Quelle est l’étendue de l’obligation d’informer pesant sur le vendeur d’une chose dangereuse ?
Le cas échéant, qui a la charge de prouver le caractère dangereux du bien vendu ?
Historiquement, imposer une obligation d’information au vendeur n’allait pas de soi. Le principe d’origine était même l’inverse : chacun a le devoir de veiller à ses propres intérêts et de se renseigner lui-même avant de contracter en faisant « usage de sa propre raison » selon les termes de Portalis. Le principe était donc celui du devoir de s’informer ; à l’acheteur de se montrer curieux.
Cependant, depuis déjà plusieurs décennies, le constat que cette foi en la rationalité des contractants n’était pas adaptée à la pratique et à la complexité des contrats de vente, il devint donc opportun sinon nécessaire de protéger l’intégrité du consentement de façon préventive et d’imposer une obligation d’information. Ainsi, à partir de dispositions légales témoignant ponctuellement d’une obligation d’information (par ex. C. civ., art. 1638, 1645, 1721), cette obligation s’est généralisée. Dans la vente, elle s’appuie sur les dispositions de l’article 1602 du Code civil : « le vendeur est tenu d’expliquer clairement ce à quoi il s’oblige ». Elle se manifeste surtout dans les rapports entre professionnels et non-professionnels et de manière plus générale, à chaque fois que l’une des parties ignore légitimement des informations qui lui auraient été utiles et que l’autre connaissait ou se devait de connaître.
En outre, avec la réforme du 10 février 2016, l’obligation précontractuelle d’information a été introduite dans le droit commun des contrats à l’article 1112-1 du Code civil : « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette info ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’info peut entraîner l’annulation du contrat (…) ».
L’obligation de renseigner autrui relève, désormais, de l’ordre public.
Cela étant, l’étendue et l’intensité de cette obligation générale d’information varient en fonction de l’objet concerné par la vente, de la qualité des parties, ou encore de la nature du contrat.
Au premier degré, il existe une obligation objective de renseignement, entendue comme la seule obligation du vendeur de renseigner sur des informations objectives proprement dites, par exemple les caractéristiques techniques d’un produit ou un mode d’emploi.
Au second degré : lorsque la chose présente un danger, l’obligation d’information se renforce au point de se muer en une obligation de mise en garde, qui implique d’informer l’utilisateur de certains risques ou dangers comme par exemple pour la vente d’un produit dangereux. Globalement, l’étendue de l’obligation d’information est d’autant plus rigoureuse que le bien vendu ou le service promis présentent des caractéristiques complexes ou dangereuses (V. par ex. à propos de la vente d’un terrain pollué, Civ. 3e, 16 janv. 2013, n° 11-27.101).
Au troisième degré : l’obligation d’information devient encore plus exigeante lorsqu’est imposée au professionnel l’obligation d’inciter son partenaire à agir ou à s’abstenir, celle d’orienter ses choix en l’éclairant sur l’opportunité de l’acte qu’il s’apprête à conclure. Dans ce cadre, l’obligation d’information se transforme en une obligation de conseil, qui exige du vendeur de proposer à l’acheteur la solution la meilleure et la plus adaptée à l’objectif contractuel poursuivi. Cette obligation se développe surtout dans les contrats de services (professionnels du droit, médecins, banquiers, mais aussi prestataires informatiques).
En l’espèce, s’agissant de la vente d’un dispositif dangereux, le vendeur était très certainement tenu, non seulement d’une obligation d’information mais au-delà, d’une obligation de mise en garde qui aurait dû l’inciter à prévenir les acquéreurs des risques inhérents à l’utilisation et à l’installation de la chose, cette obligation n’étant pas simplement satisfaite par la seule remise d’une notice d’utilisation car de fait, ces notices ne sont pas lues, (Civ. 1re, 18 juin 2014, n° 13-16.585, à propos d’un insert de cheminée).
Quant à la charge de la preuve, le texte nouveau prévoit, dans la ligne de la jurisprudence antérieure (revirement de jurisprudence : Civ. 1re, 25 févr. 1997, la preuve par la victime d’un fait négatif, l’absence d’information, étant particulièrement difficile à rapporter) que la charge de la preuve de l’information incombe au professionnel (le débiteur de l’information, c’est à dire le vendeur).
En conclusion, Désiré et Adhémar semblent avoir de bonnes chances de succès d’obtenir l’engagement de la responsabilité de leur vendeur. Ajoutons enfin que quoique le dernier alinéa du texte nouveau ne précise pas la nature de la responsabilité du débiteur de l’obligation, s’agissant de la sanction d’une obligation précontractuelle d’information, celle-ci devrait être extracontractuelle.
Références
■ Civ. 3e, 16 janv. 2013, n° 11-27.101 P : D. 2013. 676, note O. Sutterlin ; ibid. 647, point de vue B. Parance ; AJDI 2013. 361, obs. B. Wertenschlag et T. Geib.
■ Civ. 1re, 18 juin 2014, n° 13-16.585 P : D. 2014. 1376 ; RTD com. 2014. 678, obs. B. Bouloc.
■ Civ. 1re, 25 févr. 1997, n° 94-19.685 P : D. 1997. 319, obs. J. Penneau ; RDSS 1997. 288, obs. L. Dubouis ; RTD civ. 1997. 434, obs. P. Jourdain ; ibid. 924, obs. J. Mestre.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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