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Le cas du mois
Droit des obligations
Au fond du gouffre
Las de son inertie professionnelle, le nouvel ami de Désiré et d’Adhémar avait opté pour une solution a priori compatible avec son handicap : acquérir un fonds de commerce et en confier l’exploitation à un membre de l’association « Jeunes travailleurs en difficulté » avec lequel il avait sympathisé.
C’est ainsi qu’il accepta l’offre de cession d’un fonds de commerce faite par un exploitant, assorti d’un droit au bail des locaux appartenant à une société civile immobilière ayant antérieurement cédé le fonds à l’offrant. Ce fonds comprenait un salon de dégustation en même temps qu’un espace de vente de café, thé, chocolat, confiserie, épices et boissons. Une fois les travaux d'agencement et de rénovation effectués, l’ami des deux cousins avait alors ouvert son commerce sous l'enseigne « Escapades Gourmandes ». Malheureusement, un mois seulement après l’ouverture, des intempéries étaient survenues dans le lieu où le fonds était situé, provoquant un important dégât des eaux au sous-sol ayant rendu impossible l'exploitation de la salle de dégustation et ayant endommagé le stock de denrées qui y était entreposé. Après avoir demandé une expertise judiciaire, leur ami, ayant cessé de régler ses loyers, s’était vu signifier par la bailleresse un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail. La résiliation prononcée, à laquelle il ne s’était pas opposé, il avait assigné son vendeur en résolution de la cession du fonds de commerce, que le tribunal prononça aux torts de ce dernier. Le vendeur était alors venu avertir notre jeune entrepreneur de son intention d’interjeter appel de cette décision. Or l’ampleur de son argumentaire a de quoi l’inquiéter. Tout d’abord, il lui a fait remarquer qu’aucun vice caché de nature à justifier la résolution judiciaire de la vente ne pourrait être établi : les désordres qu’il avait lui-même plusieurs fois subis lorsqu’il exploitait le fonds étaient, selon lui, extrêmement minimes et, d’expérience, très facilement réparables. Ensuite, il lui a opposé le fait que son commerce avait pu, même temporairement, être exploité, que sa fermeture définitive était sans lien avec les vices allégués et que la perte du fonds rendrait de toute façon sa restitution impossible. Noyé sous le flot de ces arguments, l’ami de Désiré et d’Adhémar s’est immédiatement rendu à l’association pour recevoir de l’aide. On lui a alors conseillé d’éplucher le rapport d’expertise dans l’espoir d’y trouver des éléments objectifs susceptibles de contredire les dires du vendeur. Or ses recherches se sont révélées concluantes, l'expertise judiciaire ayant mis en évidence les nombreux dégâts des eaux subis par le vendeur antérieurement à la cession, prouvant ainsi qu’il en avait connaissance. Il a également découvert que le cédant lui avait caché son refus de réaliser les travaux destinés à lever une interdiction administrative d’exploitation de la salle située au sous-sol, ordonnée avant la cession en l’absence de conformité aux normes applicables aux établissements recevant du public. C’est ainsi qu’il comprit que le vendeur, préférant céder le fonds qu'il savait entaché de plusieurs vices, savait pertinemment que l’exploitation du fonds lui serait, à terme, impossible. C’est pourquoi il n’entend pas se laisser intimider par son vendeur : lui empruntant sa détermination, il compte bien préparer sa défense, avec l’aide de Désiré et d’Adhémar, qui l’ont déjà assuré de l’insuccès de l’appel interjeté, l’existence de vices cachés ne faisant, selon eux, aucun doute.
Vous connaissez l’optimisme légendaire de nos deux comparses. Ne conviendrait-il, à votre avis, de le tempérer ?
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Sélection des faits : Est vendu un fonds de commerce destiné à la vente et à la dégustation de café, thé, chocolat, confiserie, épices et boissons. Divers désordres rendant impossible son exploitation, l’acquéreur cesse de payer les loyers au bailleur des locaux. Un commandement de payer visant la clause résolutoire lui est délivré et la résiliation du bail, ainsi prononcée. L’acquéreur assigne ensuite le vendeur en résolution de la cession du fonds. Celle-ci est judiciairement prononcée aux torts du vendeur, lequel interjette appel, soutenant qu'il n'existe aucun vice caché de nature à justifier la résolution judiciaire de la vente, et que la chose vendue a été perdue par la faute de l’acquéreur.
Qualification des faits : Un fonds de commerce de vente et de consommation sur place de denrées alimentaires est cédé. La cession du fonds de commerce comprend le droit au bail des locaux appartenant à une société civile immobilière. Ce bail est résilié en raison du non-paiement par l’acheteur-preneur des loyers à la société propriétaire des locaux, consécutif à l’impossibilité de les exploiter après des désordres survenus en leur sein. Sans contester cette résolution conventionnelle, l’acquéreur intente contre le vendeur, sur le fondement de la garantie des vices cachés, une action en résolution de la cession. Le tribunal prononce la résolution aux torts du vendeur, lequel interjette appel, soutenant l’absence de vices susceptibles de justifier la résolution et l’impossibilité de restitution du fonds perdu par la seule faute de l’acquéreur.
Problème de droit : L'impossibilité matérielle et juridique d'exploiter une partie des locaux constitue-t-elle un vice caché du fonds de commerce vendu ?
■ Sur l'existence de vices cachés
Majeure
● En droit, aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rende impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
Conformément à l’article L.141-3 du Code de commerce, qui renvoie aux articles 1644 et 1645 du même code, le vendeur d’un fonds de commerce est tenu à la garantie des vices cachés.
Un vice caché est un vice inhérent à la chose, antérieur à la vente et non réparé. Il consiste dans un défaut suffisamment grave pour compromettre l’usage normal de la chose. En ce sens, dès lors que le défaut de la chose vendue rend celle-ci impropre à sa destination habituelle, le vice caché est constitué sans qu’il soit nécessaire d’établir si ce vice a déterminé le consentement de l’acheteur ; en revanche, la persistance du défaut, signe de sa gravité, caractérise la notion. Plus particulièrement, l’inexactitude des informations relatives au fonds cédé est assimilée à un vice caché (Civ. 1re, 3 juill. 1996, n° 94-16.196).
Mineure
● En l’espèce, l’acquéreur a subi un dégât des eaux au sous-sol des locaux peu de temps après la cession, rendant cet espace inexploitable pour le public et affectant les denrées qui s’y trouvaient rangées. Cette impossibilité matérielle d’exploiter une partie des locaux constitue un premier vice caché, qui était connu du vendeur, lequel avait subi des dégâts similaires dans le passé, et dont le caractère récurrent, manifestant sa gravité, caractérise le vice caché.
Majeure
● En droit, constitue également un vice caché du fonds de commerce vendu l'impossibilité d'exploiter une partie des locaux par suite d'une décision de fermeture administrative individuelle, dont l'existence n'a pas été révélée à l'acquéreur. L'impossibilité juridique de recevoir la clientèle affecte un élément déterminant pour l'exploitation du fonds, compromettant donc l’usage escompté du bien vendu (Paris, 10 nov. 2021, ch. 5-3, n° 20/01441).
Mineure
● En l’espèce, le cédant, qui avait lui-même utilisé la pièce du sous-sol comme salle de consommation recevant du public, avait fait l’objet d’une mesure administrative individuelle de fermeture de l'exploitation de cet espace, qu’il avait tue au cessionnaire. Il en résulte un second vice caché du fonds de commerce vendu, connu du vendeur.
Conclusion : Le fonds de commerce était affecté de plusieurs vices cachés le rendant impropre à sa destination.
■ Sur l'exercice de l'action rédhibitoire
Majeure
● En droit, l'article 1644 du Code civil donne à l'acheteur le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix. La perte de la chose fait obstacle à la résolution de la vente, sauf si cette perte résulte du vice lui-même, ou sauf à rendre la chose en valeur, alors égale non pas au prix convenu mais à la valeur effective de la chose au jour de la vente.
Reconnue par principe, cette liberté de choix offerte à l’acquéreur est néanmoins tempérée par la pratique judiciaire, sous l’influence de la gravité du vice : en effet, les juges du fond peuvent, appréciant souverainement la gravité du vice, estimer que ce dernier n’est pas de nature à justifier la résolution de la vente, mais seulement à une réduction du prix (Com., 6 mars 1990, n° 88-14.929 ; Civ. 3e, 25 juin 2014, n° 13-17.254).
Aussi bien, la perte de la chose fait-elle également obstacle à la résolution de la vente (Civ. 1re, 12 janv. 1994, n° 91-15.825), à moins que cette perte ne soit la conséquence directe du vice caché (Civ. 1re, 28 avr. 1976, P).
Mineure
● En l’espèce, la fermeture du commerce et la résiliation du bail, par l'effet d’une clause résolutoire dont la mise en œuvre n’a pas été contestée par l’acheteur-preneur, a entraîné la perte du fonds de commerce. Par ailleurs, le commerce a pu être partiellement exploité. Ainsi, la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers ne semble-elle pas directement liée aux vices cachés affectant le fonds de commerce. En outre, l’ami de Désiré et d’Adhémar se trouve désormais dans l'impossibilité de restituer la chose, ce qui fait obstacle à l'action en résolution de sorte que la juridiction du second degré refusera probablement d’y faire droit. En revanche, les vices cachés pourront justifier la restitution d'une partie du prix de cession (Paris, 10 nov. 2021, préc.)
Conclusion : seule une action estimatoire pourra être jugée bien-fondée.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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