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Le cas du mois
Droit de la responsabilité civile
Bouffée délirante en voiture
Alors qu’il était au volant de son Alpine Renault en train de conter fleurette à sa bonne amie, Marina Nanaire, Adhémar Tichaut a hébergé deux auto stoppeurs dans sa berline, qui s’avèrent être les frères Terrieur, Alain et Alex.
Soudain, chemin faisant, un des auto stoppeurs, Alain, pris d’une crise de bouffée délirante, ouvre brusquement la porte du véhicule d’Adhémar, bascule sur la chaussée et se fracture le bassin. Effrayé, Adhémar donne un énorme coup de frein qui emporte un dérapage de son véhicule. Il percute un cycliste, Bernard Balète, qui venait en sens inverse et qui roulait au milieu de la route. Le cycliste passe à travers le pare-brise et cause des dommages corporels à Adhémar et à Marina.
Adhémar vous demande si et comment seront réparés les préjudices corporels subis par Alain Terrieur, Marina Nanaire, Bernard Balète et par lui-même.
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Le préjudice corporel d’Alain Terrieur
Alain Terrieur était, au moment de l’accident, passager non-conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, lequel est bien impliqué dans l’accident qu’il a subi. Son indemnisation entre donc dans le champ d’application de la loi du 5 juillet 1985 sur l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation.
La question se pose de savoir si le débiteur de l’indemnité, précisément l’assureur du véhicule, pourra lui opposer sa faute (descendre du véhicule alors qu’il était en marche) pour diminuer le montant de son indemnisation.
Si Alain a moins de 16 ans ou plus de 77 ans, seule une faute intentionnelle peut lui être opposée en vue d’exclure son indemnisation. Mais, comme cette faute suppose la recherche de ses conséquences par celui qui l’a commise, elle est exclue puisque la victime était sous l’emprise d’un trouble psychique.
Si Alain est âgé de plus de 16 ans et de moins de 77 ans, seules ses fautes intentionnelle (exclue en l’espèce, v. supra) ou inexcusable peuvent lui être opposées pour exclure son indemnisation. Quant à la faute inexcusable, il s’agit d’une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience. Une personne qui souffre d’un trouble psychique au moment de l’accident peut-il commettre une faute inexcusable, laquelle suppose, pour être caractérisée, qu’elle ait été volontairement commise ? La 2ème chambre civile de la Cour de cassation, le 2 mars 2017, a répondu par la négative : il y a incompatibilité entre l’absence de discernement et la faute inexcusable (16-11.986 P).
Alain recevra donc l’indemnisation intégrale de son préjudice corporel.
Le préjudice corporel de Marina Nanaire
Marina a subi un préjudice corporel causé par le choc provoqué par le cycliste percuté par le véhicule dont elle était passagère, non conductrice.
On peut considérer que son préjudice est le résultat de deux causes.
D’une part, il procède du fait du véhicule terrestre à moteur conduit par Adhémar qui a percuté le vélo de Bernard Balète. Elle peut donc agir contre lui sur le fondement de la loi de 1985. Adhémar ne pourra pas lui opposer le fait d’un tiers, en l’espèce le comportement d’Alain qui en sautant de la voiture a provoqué le coup de frein d’Adhémar, car le fait d’un tiers même s’il présente les caractères de la force majeure n’exerce aucune influence sur le droit à indemnisation de la victime, quand elle agit sur le fondement de la loi de 1985.
D’autre part, il résulte du choc avec Bernard Balète, lequel n’était pas conducteur ou gardien d’un véhicule terrestre à moteur ; elle ne peut donc pas agir en réparation contre lui sur le fondement de la loi de 1985. Il lui faut agir contre lui en se fondant sur le droit commun de la responsabilité civile. L’action fondée sur le fait d’une chose est exclue, car son dommage n’a pas été causé par le vélo du cycliste qui l’a blessée. Il lui reste une action fondée sur la faute de l’auteur du dommage. A cette fin, elle pourra arguer de l’imprudence commise par le cycliste qui roulait au milieu de la route au moment de l’accident. Cette imprudence a contribué à la réalisation de son dommage, elle l’a causé. Cependant, Bernard pourra peut-être lui opposer le fait d’un tiers imprévisible et irrésistible, celui commis par Alain, pour s’exonérer de sa responsabilité.
Il lui est aussi possible d’agir contre Alain, dont le comportement a contribué à la réalisation de son dommage, puisque c’est parce qu’il a sauté de la voiture que Adhémar a donné un brusque coup de frein, a dérapé et a percuté Bernard qui, en passant à travers le pare-brise du véhicule conduit par Adhémar, lui a causé son préjudice corporel. A cette fin, il lui faudra démontrer que Alain a commis une faute susceptible d’emporter la mise en jeu de sa responsabilité. A cet égard, on relèvera que l’absence de discernement d’Alain, au moment où il a sauté de la voiture, n’est pas exclusif de faute. Depuis une loi de 1968 et des arrêts de 1984 (Cass., ass. plén., 9 mai 1984, n° 80-93.031 (arrêts Lemaire et Derguini) et Cass., ass. plén., 9 mai 1984, n° 80-14.994, Épx Gabillet , en effet, il est acquis, en droit positif, qu’une personne privée de discernement peut commettre une faute (objective) et engager ainsi sa responsabilité personnelle.
En définitive, le dommage corporel subi par Marina a deux causes. Elle peut agir en indemnisation intégrale contre l’un ou l’autre des deux coauteurs de son dommage (Adhémar et Alain), puisque, en vertu de la théorie de la causalité intégrale, chaque cause du dommage est réputée l’avoir causé en entier. Restera, ensuite, au coauteur solvens à se retourner contre l’autre coauteur du dommage pour que celui-ci contribue à l’indemnisation.
Le préjudice corporel de Bernard Balète
Le préjudice de Bernard Balète procède du choc qu’il a subi après que le véhicule terrestre à moteur conduit par Adhémar Tichaut l’a percuté.
Puisque ce véhicule est impliqué dans l’accident, implication qui ne fait pas le moindre doute puisqu’il était en mouvement et est entré en contact avec lui au moment de l’accident, Bernard peut agir en réparation sur le fondement de la loi de 1985.
Reste à se demander si la compagnie d’assurance d’Adhémar pourra lui opposer une faute intentionnelle, s’il est âgé de moins de 16 ans ou de plus de 77 ans, ou sa faute inexcusable, s’il a plus de 16 ans et moins de 70 ans, pour exclure son indemnisation. Quoiqu’il en soit, il parait douteux qu’il ait commis une faute intentionnelle. Quant à la faute inexcusable, au regard de la rigueur dont fait preuve la Cour de cassation pour la retenir, il est plus que douteux là aussi que le fait de rouler au milieu de la route suffise à la caractériser.
Il est donc probable qu’il recevra l’indemnisation intégrale de son préjudice corporel.
Le préjudice corporel subi par Adhémar Tichaut
Quant à lui, Adhémar a été blessé à la suite du choc avec Bernard Balète qui a traversé son pare-brise et l’a blessé.
Pour les mêmes raisons que Marina, il ne peut pas agir contre Bernard sur le fondement de la loi de 1985. Il lui faut donc, pour obtenir réparation, se fonder sur le droit commun de la responsabilité civile. Et pour les mêmes raisons que Marina, il ne pourra agir que sur le fondement de la responsabilité pour faute, laquelle semble caractérisée par le fait que Bernard roulait au milieu de la route au moment de l’accident et qu’il a donc contribué à sa réalisation. Mais, comme à l’encontre de Marina, Bernard pourra, en vue de s’exonérer le fait imprévisible et irrésistible d’Alain.
Comme Marina, il pourra aussi peut-être agir contre Alain dans les mêmes conditions que celle-ci. Reste que Alain pourrait alors peut-être lui opposer sa propre faute pour diminuer le montant de son indemnisation s’il parvient à prouver que le comportement d’Adhémar, dans la conduite de son véhicule au moment de l’accident, est constitutif d’une faute, ce qui est peu probable en l’espèce.
Sur la méthode du cas pratique, V. vidéo Dalloz
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