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Cautionnement disproportionné : le régime matrimonial est à considérer !

[ 10 juillet 2018 ] Imprimer

Droit des obligations

Cautionnement disproportionné : le régime matrimonial est à considérer !

Désiré et Adhémar s’inquiètent pour leur amie Yseult. Ils s’étaient en vérité d’abord inquiétés pour son mari Tristan, ce dernier ayant accepté de cautionner un prêt qu’une banque avait consenti à une start-up qui semblait prometteuse jusqu’à que celle-ci ait été placée en redressement, puis en liquidation judiciaire. La banque a alors naturellement demandé à Tristan d’exécuter son engagement.

Désiré et Adhémar s’inquiètent pour leur amie Yseult. Ils s’étaient en vérité d’abord inquiétés pour son mari Tristan, ce dernier ayant accepté de cautionner un prêt qu’une banque avait consenti à une start-up qui semblait prometteuse jusqu’à que celle-ci ait été placée en redressement, puis en liquidation judiciaire. La banque a alors naturellement demandé à Tristan d’exécuter son engagement.

Pour y échapper, ce dernier lui a alors opposé une parade classique : la disproportion manifeste de son engagement de caution au regard de ses biens et revenus. L’argument est, il faut dire, convaincant, Tristan disposant d’un faible patrimoine et de revenus modestes alors même que l’engagement qu’il avait souscrit garantissait un prêt qui s’élevait à une somme conséquente. Toutefois, Yseult, elle, issue d’une riche famille d’industriels dont elle a sans doute hérité, outre de la fortune, du talent vu la réussite notable de sa carrière menée dans l’industrie pharmaceutique, pourrait contre toute attente (elle l’aime tant son Tristan !) porter préjudice à son mari. En effet, un de ses amis, avocat, lui a dit que comme elle était mariée à Tristan sous le régime de la communauté, la proportionnalité de l’engagement de son époux devait être appréciée également au regard de leurs biens communs, et donc des revenus d’Yseult. Cette information l’a terriblement contrariée, car elle tient plus que tout à ce que Tristan puisse se dégager de cet engagement de caution abusivement obtenu par la banque, mais que sa situation financière personnelle rééquilibrerait tout aussi injustement. Bons camarades, Désiré et Adhémar se font également, par ricochet, du souci… Ils espèrent que l’ami d’Yseult est un mauvais juriste ! Et sachant que vous échappez à ce grief, en appellent à votre éclairage sur cette question.

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Une banque consent à une société un prêt garanti par un cautionnement, souscrit par une personne physique mariée sous le régime de la communauté de biens. A la suite du placement en liquidation judiciaire de la société débitrice, la banque assigne la caution en exécution de son engagement. Celle-ci lui oppose la disproportion manifeste de son engagement au regard de ses biens et revenus propres, sans tenir compte dans la détermination de cette assiette des revenus de son épouse, qui sont des biens communs.

La disproportion de l’engagement d’une caution commune en biens doit-elle être appréciée au regard de ses seuls biens et revenus ou au regard de ceux communs au couple ?

L’ancien article L. 341-4 du Code de la consommation (art. L. 332-1 nouveau) dispose qu’: « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. ». A l’effet de protéger la caution personne physique qui offre sa garantie, ce dont les banques sont très majoritairement désireuses lorsqu’elles consentent des prêts à des sociétés dont la fiabilité financière est douteuse, le Code de la consommation a consacré un principe de proportionnalité, tempérant toutefois cette exigence d’équilibre en ne sanctionnant qu’une disproportion manifeste, c’est-à-dire flagrante, énorme, excessive. De surcroît, si la dette qui fonde l’objet de l’obligation de la caution existe dès la conclusion du contrat de cautionnement en sorte que la disproportion de l'engagement s’apprécie à cette même date, le retour à meilleure fortune de la caution est aussi pris en compte en sorte que le contrat, redevenu équilibré, continuera de produire ses effets si au moment où elle est appelée en garantie, la caution a recouvré les moyens de l’offrir. 

Par principe, la disproportion s'apprécie entre le montant de l'engagement de la caution et les biens et revenus de celle-ci. La jurisprudence a eu plusieurs fois l’occasion de préciser l’assiette exacte des biens et revenus de la caution devant être pris en compte pour apprécier l’éventuelle disproportion de son engagement, comme par exemple son endettement global, tel qu’il résulte notamment d’autres engagements qu’il aurait souscrit (Civ. 1re; 15 janv. 2015, n° 13-23.489). Aussi a-t-elle déjà pu mesurer l’influence du régime matrimonial de la caution sur l’étendue des biens et revenus à prendre en considération pour procéder à cette appréciation. Elle a ainsi jugé que lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, la proportionnalité de l’engagement de l’époux caution doit d’apprécier au regard de ses seuls patrimoine et revenus (Civ. 1re, 25 nov. 2015, n° 14-24.800 ; Com. 24 mai 2018, n° 16-23.036). L’analyse diffère en revanche lorsque les époux sont soumis à un régime communautaire : dans cette hypothèse, la proportionnalité de l’engagement s’apprécie logiquement à la fois au regard des biens propres de l’époux caution mais aussi au regard des biens communs, dont les revenus du conjoint de la caution relèvent, et ce même lorsque ce dernier n’a pas consenti à la conclusion du contrat de cautionnement. C’est ce que la Cour de cassation vient de rappeler dans une affaire dont les faits rappellent ceux énoncés (Com. 6 juin 2018, n° 16-26.182. V. déjà Com. 15 nov. 2017, n° 16-10.504), jugeant pour accueillir la demande de l’établissement bancaire que « la disproportion manifeste de l’engagement de la caution commune en biens s’apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu’il y ait lieu de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du Code civil, qui détermine seulement le gage du créancier, de sorte que devaient être pris en considération tant les biens propres et les revenus (de la caution) que les biens communs, incluant les revenus de son épouse ».

En l’espèce, il est donc très incertain que Tristan puisse échapper à son engagement de caution, dont le déséquilibre doit s’apprécier également au regard des biens qu’il a en commun avec Yseult, incluant les revenus de celle-ci. Elevés, ceux-ci pourraient conduire à faire disparaître le déséquilibre originel de l’engagement souscrit.

Références

■ Civ. 1re; 15 janv. 2015, n° 13-23.489 P : D. 2015. 204, obs. V. Avena-Robardet ; RTD civ. 2015. 183, obs. P. Crocq.

■ Civ. 1re, 25 nov. 2015, n° 14-24.800 : D. 2016. 1955, obs. P. Crocq ; AJDI 2016. 123.

■ Com. 24 mai 2018, n° 16-23.036 P : D. 2018. 1148 ; AJ fam. 2018. 315, édito. V. Avena-Robardet.

■ Com. 6 juin 2018, n° 16-26.182 P : D. 2018. 1204.

■ Com. 15 nov. 2017, n° 16-10.504 P : D. 2018. 392, note M.-P. Dumont-Lefrand ; AJ Contrat 2018. 93; RTD civ. 2018. 179, obs. P. Crocq ; ibid. 199, obs. M. Nicod.

Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz

 

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