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Le cas du mois
Introduction au droit
Chic, les vacances sont finies !
Après deux longs mois passés sur une île sauvage de la côte atlantique, qu’ils chérissent tant, Désiré et Adhémar reviennent pourtant de leur trêve estivale enragés…
Tout avait pourtant bien commencé, mettant à profit leurs premiers jours de vacances pour multiplier les plaisirs qu’offre l’océan : bains de mer, cours de surf, balades en catamaran. Jusqu’au jour où leur amie Marie, résidant dans une ville proche de leur maison de vacances, se présenta chez eux sans prévenir : « Coucou, c’est moi ! Pardon, j’arrive un peu par surprise. ! », concéda-t-elle. « Je me disais que cela pourrait être sympa de passer quelques jours de vacances ensemble, tous les trois. On en a si souvent parlé sans, finalement, l’avoir jamais fait ! Et puis, pour être honnête, je n’ai pas vraiment d’autres projets. Alors voilà, je me lance ! Seriez-vous d’accord pour que je m’installe chez vous pour une petite semaine ? On s’amuserait bien ! ». Choqués par le culot de Marie, Désiré et Adhémar n’osèrent cependant pas décliner l’invitation qu’elle s’était elle-même adressée. Grand mal leur en a pris, tant la semaine passée en trio se révéla être un désastre… Comme les conditions de sa venue l’annonçaient, Marie cumula tout au long de ce séjour forcé les comportements discourtois. Alors qu’elle était déjà arrivée les mains vides, elle n’a jamais pris l’initiative de faire les courses et même lorsque Désiré et Adhémar, contrariés d’avoir à la nourrir gratuitement, décidèrent de l’y contraindre, celle-ci revint du marché munie de ses tickets d’achat pour demander à ses hôtes de partager le prix pourtant modique des quelques vivres rapportés… Et le même jour, sans aucune gêne, Marie emprunta sans les prévenir la voiture de ses amis pour visiter une ville voisine, balade touristique dont elle revint sans avoir pris la peine, au retour, de faire le plein, ce que Désiré et Adhémar découvrirent avec agacement le lendemain matin, en même temps que les mégots de cigarettes laissés négligemment dans le cendrier du véhicule, alors qu’ils avaient prévu de faire un énième ravitaillement au supermarché du coin. Il faut dire que Marie a un solide appétit, que la chaleur estivale ne diminue manifestement pas, alors qu’elle augmente tout aussi ostensiblement sa soif, leur amie s’étant préparée chaque soir de savants cocktails, concoctés grâce aux sirops et diverses liqueurs que Désiré et Adhémar avaient pris la précaution d’acheter au cas où ils seraient amenés à recevoir des amis durant l’été. Ils auraient toutefois espéré qu’elle attendît que l’apéritif lui fût proposé… Au lieu de cela, Marie sirotait ses breuvages toute seule au fond du jardin, sans même leur proposer de les partager avec elle. Bref, une belle opportuniste cette Marie, ayant abusé sans le moindre sentiment de culpabilité de l’hospitalité et des commodités de ses amis. Très déçus par la répétition de ces comportements déplacés, nos deux comparses entendent bien se venger de cette effrontée, dont l’amitié affichée ne servait qu’à dissimuler une nature intéressée. Pragmatiques, ils voudraient surtout obtenir le remboursement des sommes que ce séjour forcé et gâché les a obligés à dépenser : frais de nourriture, essence, boissons diverses… Tout compte fait, cela atteint une certaine somme, qu’ils entendent bien récupérer. On ne peut plus avertis de la pingrerie de Marie, Désiré et Adhémar prévoient de soumettre leur cas au juge local. S’ils savent leur affaire mineure, ils pensent tout de même mériter d’être entendus : Marie ignore tout des règles de bonne conduite au point d’avoir grevé la quasi-totalité de leur budget d’été. « C’est presque du vol ! », s’insurgent-ils.
Comment appréciez-vous leurs chances de succès ?
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Sélection des faits : Après s’être invitée une semaine en vacances chez Désiré et Adhémar, une de leurs amies a persisté dans son incorrection en multipliant les comportements discourtois envers eux, gâchant ainsi le séjour de ses hôtes.
Qualification des faits : Au sein d’un groupe d’amis, l’un d’entre eux manque aux règles de bienséance, provoquant la colère et le ressentiment des autres dont la perte économique, qu’ils ont subie en conséquence de ce manquement, fonde leur prétention à en obtenir la réparation en justice.
Problème de droit : La violation d’une règle de bienséance peut-elle être sanctionnée en justice par l’octroi d’une réparation ?
Majeure : Le droit et la bienséance ont en commun de constituer des ordres normatifs. Si le droit constitue un système normatif qui pose des règles de conduite, il existe d’autres règles de conduite qui, comme le droit, tendent à réglementer les comportements humains. Les règles de bienséance, en font partie.
Droit et bienséance partagent une finalité commune : ce sont deux ordres normatifs qui tendent à organiser les rapports sociaux. Leur finalité est essentiellement sociale. Alors que la morale et la religion, deux autres systèmes normatifs auxquels le droit est fréquemment comparé, contiennent une dimension essentiellement individuelle, centrés sur le rapport de l’homme à sa conscience, le droit comme la bienséance sont dépourvus de cette finalité individuelle propre à la morale et à la religion qui tendent vers le perfectionnement de l'homme. Au contraire, ils ont pour seule vocation de régler les rapports avec autrui, leur existence présuppose un élément d’altérité, leur objet est centré sur le for externe des personnes.
De surcroît, les règles de bienséance, à l’instar des règles de droit, imposent une conduite et dans cette perspective, ont un caractère abstrait et obligatoire égal à la règle juridique, dans la mesure où ne pas les respecter expose celui qui les enfreint à une sanction, la plus connue étant la désapprobation ou l’exclusion du groupe.
Cependant, la nature de leur sanction impose de les différencier. Le droit se distingue des règles de bienséance par le fait que la violation de ses règles donne lieu à une sanction socialement organisée visant à assurer leur respect. Cette sanction présente trois caractéristiques qui confèrent à la règle juridique sa singularité : tout d’abord, elle est prévue par l’autorité étatique habilitée à cet effet ; ensuite, elle peut être demandée en justice et prononcée par un juge, tiers impartial et désintéressé ; enfin, elle peut donner lieu à une exécution forcée qui se traduit par une coercition sur les personnes ou sur les biens, laquelle est assurée, le cas échéant, grâce au concours de la force publique.
Si la méconnaissance d’une règle de bienséance est également susceptible d’une sanction extérieure (réprobation ou exclusion du groupe, vengeance, etc.), elle n’est pas susceptible d’une contrainte étatique. Il n’y a pas de juge ou de tiers impartial habilité à juger du respect de la norme. Certes, la société, ou une micro-société, peut émettre une opinion sur la conformité d’un comportement aux règles de bonne conduite sociale, mais ceux qui la composent n’ont pas l’impartialité d’un juge. Leur jugement est nécessairement empreint d’une subjectivité dont le juge doit être débarrassé lorsqu’il rend le sien. Le caractère coercitif de la règle de droit en résulte : son application est assurée au moyen de la contrainte étatique. Or quelle que soit l’intensité de la sanction d’autres règles de conduite, elle ne peut jamais bénéficier de la contrainte étatique et du recours au juge dont le droit a le monopole.
Ainsi, la règle de bienséance se distingue-t-elle par sa sanction de la règle juridique : sauf à être reprise par le droit, ce qui n’est pas rare compte tenu de la faveur actuelle à la juridicisation des rapports sociaux (codes de déontologie, interdiction du téléphone portable dans les établissements scolaires ou du tabac dans les lieux publics …), elle se démarque de la règle de droit par son absence de coercition étatique et de recours possible au juge en cas d’infraction.
Mineure : En l’espèce, Marie a enfreint, au préjudice de ses amis, les règles de bonne conduite sociale. Cela étant, Désiré et Adhémar ne pourront faire appel au juge pour en obtenir une sanction, laquelle ne peut être, concernant la violation des règles de ce type, qu’extra-juridique. Leur demande de réparation de la perte financière causée par le manque d’éducation de Marie ne pourra donc aboutir.
Eux seuls pourront sanctionner l’indélicatesse de son comportement en cessant de la fréquenter, ce qui la dissuadera sans doute de s’inviter chez eux en vacances l’été prochain !
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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